Qu’il produise un résultat hasardeux aussi irrationnel que
la pulsion spontanée de l’animal, ou un choix calculé
au mieux d’un bon équilibre du prix et du bien, ou une décision
éthiquement correcte, l’outil cybemétique, en le technicisant,
assiste le vouloir de l’homme qui peut s’en trouver dispensé.
Mais les industries afférentes au plan du vouloir ne sont pas
encore épuisées. L’art permet aussi d’agir tant sur
le désir que sur son assouvissement.
(a) Tandis que les artifices de l’aléatoire remplacent
la pulsion de l’homme, il en est d’autres qui, en agissant sur sa
physiologie, la produisent ou la favorisent : de même qu’au
plan de la représentation les lunettes par exemple assistent
la vison naturelle ou qu’à celui de l’être l’aliment
contribue à la vie, ici l’apéritif, comme son nom l’indique,
" ouvre " l’appétit et l’aphrodisiaque active le
désir sexuel. Ils ne sont, bien entendu, pas à confondre,
même s’ils se prennent également par la bouche, avec
l’aliment que spécifie sa fonction nourricière et non
le mode d’absorption (qui d’ailleurs, pour être le plus souvent
buccal, peut être aussi bien le goutte à goutte); ni
avec les poppers, godmichés et autres " paradis artificiels "
qui produisent du plaisir sans avoir pour tâche d’y inciter.
Leur fonction, que faute d’un mot usuel nous dirons " orectique ",
est d’ "exciter un appétit " qui n’est pas seulement
alimentaires en dépit du sens médi-cal d’ "anorexie ".
Celle-ci, cette " non-appétence " peut d’ailleurs,
elle aussi, être artificiellement provoquée : à
l’aphrodisiaque ou, magiquement, au philtre d’amour répond
le bromure des casemes d’autefois. Pulsion et répulsion étant
du même ordre, ils ressortissent à la même catégorie
industrielle d’altération artificielle du désir.
(b) La technique peut intervenir aussi, non plus sur l’excitation
du désir, mais sur son assouvissement. Rares sont les artifices
qui l’assistent. Le plus souvent ils visent au contraire à
l’entraver : tels sont - même s’ils relèvent aussi du
vêtement ou du logement par certains de leurs dispositifs -
la ceinture de chasteté du moyen âge, l’appareil antimasturbatoire
du siècle demier, les prisons en tout genre, de la " fillette "
de Louis XI à ce qu’on appelle aujourd’hui l’ "univers
carcéral ", et, bien entendu aussi, puisque l’animal accède
également à la boulie et à la valeur, tout ce
qui dans sa cage tient de l’incarcération (5, 177-178), etc.
De tout cela, l’exploitation est le plus souvent sociale car l’entrave
à la volonté vient ordinairement d’autrui, mais il se
peut qu’on en use soi-même pour s’empêcher de faire ce
qu’on désire sans pourtant l’approuver, en sorte qu’une ceinture
de chasteté peut fabriquer un refus, une nolition morale.
Pour désigner ces obstacles à la satisfaction du désir,
l’usage, ici non plus, ne propose aucun terme générique
: puisqu’il s’agit tant d’empêcher que de s’empêcher,
de garder que de se garder, nous choisirons le terme de " phylactique ".