5- Apéritifs et orectique
Tabous et phylactique

Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut: Artistique et archéologie

Les industries orectiques et phylactiques

167. Le désir peut être artificiellement excité ou freiné, de même que son assouvissement être favorisé ou entravé.

Qu’il produise un résultat hasardeux aussi irrationnel que la pulsion spontanée de l’animal, ou un choix calculé au mieux d’un bon équilibre du prix et du bien, ou une décision éthiquement correcte, l’outil cybemétique, en le technicisant, assiste le vouloir de l’homme qui peut s’en trouver dispensé. Mais les industries afférentes au plan du vouloir ne sont pas encore épuisées. L’art permet aussi d’agir tant sur le désir que sur son assouvissement.

(a) Tandis que les artifices de l’aléatoire remplacent la pulsion de l’homme, il en est d’autres qui, en agissant sur sa physiologie, la produisent ou la favorisent : de même qu’au plan de la représentation les lunettes par exemple assistent la vison naturelle ou qu’à celui de l’être l’aliment contribue à la vie, ici l’apéritif, comme son nom l’indique, " ouvre " l’appétit et l’aphrodisiaque active le désir sexuel. Ils ne sont, bien entendu, pas à confondre, même s’ils se prennent également par la bouche, avec l’aliment que spécifie sa fonction nourricière et non le mode d’absorption (qui d’ailleurs, pour être le plus souvent buccal, peut être aussi bien le goutte à goutte); ni avec les poppers, godmichés et autres " paradis artificiels " qui produisent du plaisir sans avoir pour tâche d’y inciter. Leur fonction, que faute d’un mot usuel nous dirons " orectique ", est d’ "exciter un appétit " qui n’est pas seulement alimentaires en dépit du sens médi-cal d’ "anorexie ".

Celle-ci, cette " non-appétence " peut d’ailleurs, elle aussi, être artificiellement provoquée : à l’aphrodisiaque ou, magiquement, au philtre d’amour répond le bromure des casemes d’autefois. Pulsion et répulsion étant du même ordre, ils ressortissent à la même catégorie industrielle d’altération artificielle du désir.

(b) La technique peut intervenir aussi, non plus sur l’excitation du désir, mais sur son assouvissement. Rares sont les artifices qui l’assistent. Le plus souvent ils visent au contraire à l’entraver : tels sont - même s’ils relèvent aussi du vêtement ou du logement par certains de leurs dispositifs - la ceinture de chasteté du moyen âge, l’appareil antimasturbatoire du siècle demier, les prisons en tout genre, de la " fillette " de Louis XI à ce qu’on appelle aujourd’hui l’ "univers carcéral ", et, bien entendu aussi, puisque l’animal accède également à la boulie et à la valeur, tout ce qui dans sa cage tient de l’incarcération (5, 177-178), etc. De tout cela, l’exploitation est le plus souvent sociale car l’entrave à la volonté vient ordinairement d’autrui, mais il se peut qu’on en use soi-même pour s’empêcher de faire ce qu’on désire sans pourtant l’approuver, en sorte qu’une ceinture de chasteté peut fabriquer un refus, une nolition morale.

Pour désigner ces obstacles à la satisfaction du désir, l’usage, ici non plus, ne propose aucun terme générique : puisqu’il s’agit tant d’empêcher que de s’empêcher, de garder que de se garder, nous choisirons le terme de " phylactique ".