IL N’Y A PAS DE TRANSGRESSION SANS SANCTION
A Nîmes, en 1993, une exposi-
tion consacrée aux objets dans
l'art contemporain rassemblait
notamment des ready made de
Marcel Duchamp, dont le célèbre
urinoir qu'il avait signé R. Mutt.
Entrant dans l'exposition, un cer-
tain Pinoncelli, qui se dit " artiste
de comportement ", avise l'urinoir,
y urine et le brise ensuite d'un
coup de marteau. Il affirme que
son geste est artistique. En uri-
nant, il aurait d'abord rendu l'ob-
jet à sa vocation première, défai-
sant ainsi la mystification mise en
place par Duchamp. En fracassant
l'objet, il affirme avoir accompli
une oeuvre.
Interviennent alors le Centre
Pompidou, propriétaire de l'oeu-
vre, et sa compagnie d'assurance,
Axa, qui veulent faire payer au
sieur Pinoncelli les frais de restau-
ration de l'objet. Dans cette affaire
aussi extraordinaire qu'instructive,
le tribunal de Tarascon a rendu un
jugement très intelligent, en con-
damnant Pinoncelli pour " parasi-
tisme de la gloire ". En brisant un
urinoir célèbre, il cherchait à s'ac-
caparer la notoriété de l'artiste qui,
y avait apposé sa signature. Cette
histoire révèle aussi comment
Duchamp a provoqué un télesco-
page entre le droit d'auteur et le
droit des marques, en faisant jouer
sur le terrain de l'art la commercia-
lisation de la notoriété.
cet exemple peut-il se relier à
la question de la protection de
la transgression, qui en un sens
traverse tout le livre ? .
Duchamp affirme que ce qu'il
fait n'est pas une oeuvre d'art,
mais en même temps il demande
que son travail soit protégé com-
l'est une oeuvre d'art. On retrouve ici
une sorte d'aller et retour aux frontières
du droit, mouvement caractéristique
se retrouvant ailleurs: je détruis l'idée
d'oeuvre, j'exige que cette destruction
soit protégée comme oeuvre, tout en
précisant qu'elle doit demeurer destruction.
Propos recueillis par Roger-Pol Droit
Sans la virtuosité de Criqui, serait-on
pleinement convaincu par la démarche
d’André Cadere, adepte, dans les années
1970, d’une forme peu visible de performance _
déposer une barre de bois ronde dans
l’exposition d’un autre
artiste ?
Ph.D Le Monde du 1er nov. 2002
Dans le narcissisme, on aurait affaire,
au contraire, à une prégnance de la fonction,
à une culture autolytique du pour soi ;
" le narcissique s’autolyse d’une application
du, pouvoir à lui-même ".
L’idée nous paraît décisive qui lie le
narcissisme non à l’amour, auquel il est
toujours rattaché, mais au pouvoir.
Elle permet en tout cas de le répartir
sur les deux faces de la personne.
(...)Nous avons proposé de voir plutôt
dans la paraphrénie le trouble en question.
(...) Pour le paraphrène, la fonction est reine
(...) comme le statut est adulé par le fétichiste.
p.216, Jean-Luc BRACKELAIRE, La personne et la société, De Boeck Université.
On doit donc en conclure,
si du moins on s’en tient à ce qui est dit, que le Sieur Pinoncelli est
fétichiste à l’encontre de l’étiquetage ordinaire visant
les artistes.
Du point de vue du droit entendu au sens médiationiste, ce fait montre
que la seule légitimité de la valeur d’un bien ne suffit pas à
sa valorisation par le groupe (ce serait stricto sensu, le plein droit) :
il faut un aval, une caution, un faire-valoir qui, fort d’une reconnaissance,
sans parler d’une célébrité, fera admettre la dénomination,
l’appellation d’Art.