JAN FABRE
GAUDE SUCCURRERE VITAE
( Se réjouir en supportant la vie)

 

Jan Fabre (Anvers, 1958) connut la renommée comme artiste de performance à la fin des années 70 avec ses " money performances ", dans lesquelles il demandait au public de brûler de l'argent et de dessiner avec les cendres. En 1982, son " It's Theatre As Could Be Expected " (C'est du théâtre comme on pourrait le prévoir) et " As Could Be Predicted " (Comme on pourrait le prédire) ont eu l'impact d'une grenade explosant sous les sièges du public. Il confirma sa réputation deux ans plus tard, lorsqu'il fut invité à la biennale de Venise et qu'il créa The Power of Theatrical Madness (la puissance de la folie théâtrale). Ces deux travaux sont répertoriés dans toutes les études sur le théâtre contemporain et firent le tour du monde. Pendant ce temps, Fabre était devenu un de ces artistes aux multiples talents sur la scène internationale et il le resta par la suite. Les critiques acclamèrent Jan Fabre l'artiste plasticien, le metteur en scène, le chorégraphe, le styliste et l'auteur. Il enfreignit les codes du théâtre existant en créant des " performances en temps réel ", qui sont parfois appelées live installations (installations vivantes) et explora des possibilités chorégraphiques radicales pour renouveler la danse classique. Avec son opéra trilogique " The Minds of Helena Troubleyn " (les pensées de Helena Troubleyn), il réalisa son rêve ultime : une œuvre d'art totale. Ces textes de théâtre constituent une collection de miniatures rares et nous confrontent à un style ouvert. A partir du début des années 80 - une époque où ce sujet n'était pas encore à la mode - le corps constitue le thème central de son travail d'artiste.
L'univers des insectes, le corps et les stratégies de la guerre sont les trois métaphores principales, qui apparaissent constamment dans le travail de Fabre. Elles étaient déjà présentes au milieu des années 70, lorsque l'adolescent produisit son " Design for a Nocturnal Territory " ( projet pour un territoire nocturne), qui consistait en un espace particulier dans le jardin familial où lui seul, pouvait pénétrer. Au milieu de ce territoire se trouvait The Nose (le nez), une sculpture faite de vieux habits, d'une table et d'une lanterne. The Nose servait de laboratoire où Fabre effectuait des expériences, surtout avec des insectes et des araignées, qu'il transformait pour leur donner une nouvelle vie.
Les insectes sont devenus le symbole le plus étroitement en lien avec l'œuvre de Fabre et il les utilisa comme métaphores de la société, comme des soldats et des instruments de guerre, comme des êtres qui nous menacent et nous emprisonnent ainsi que des membres d'une communauté indépendante et organisée.
Les fourreaux des ailes des hannetons sont tous deux des ossatures et des habits et l'artiste les utilise pour donner forme à des figures imaginaires ou pour recouvrir les objets de tous les jours, ce qui leur confère la qualité de relique.
Par l'intermédiaire du film, Fabre cherche des moyens pour réconcilier les différents domaines de la connaissance. Ses dessins sont la marque directe de sa manière de penser. Pour certains dessins, il part de taches d'encre ou de sang, pour d'autres il utilise du sperme, du crayon, du sang ou de la pointe bic bleue. Dans les premiers dessins, on remarque déjà un intérêt pour les métamorphoses qui caractérisent le monde nocturne des insectes et une imagination qui est très fortement sensorielle et tournée vers des expériences.
Le concept dramatique de l'exposition donne lieu à une vue kaléidoscopique tandis que la mise en scène formée de différents cabinets est conçue comme un labyrinthe.

 

1
Moi, rêvant, 1978
Cette sculpture est un auto-portrait.
L'artiste est en train de rêver. Après avoir regardé dans un microscope.
Il est recouvert d'une nouvelle peau faite d'une cuirasse et de clous.
Pour éloigner les éléments extérieurs de l'esprit et du corps ?
La sculpture a été faite la même année que la performance Body Becomes Object. Object Becomes Body. (Corps devient objet. Objet devient corps.)
Dans cette performance, l'artiste utilisait du papier de verre pour poncer la peau de ses jambes et la peau des pieds de la table et de la chaise/du fauteuil.
La sculpture exprime aussi un proverbe typiquement flamand qui dit : Il a du lard sur ses jambes.
Signification : Il ne peut pas arrêter de faire ce qu'il a envie de faire.
Il ne peut arrêter d'être un artiste.
Il doit continuer à chercher.

2
Une rencontre, 1997
Nous y voyons Jan Fabre et l'artiste russe Ilya Kabakov, chacun métamorphosé en son insecte favori, le scarabée et la mouche.
Fabre fit les deux costumes à partir d'ossements humains, de morceaux d'un costume constitué de cuirasse/armure et de peaux d'animaux.
La rencontre a lieu dans la cave et sur la terrasse du gratte-ciel new-yorkais dans lequel vivait Kabakov.
Chacun utilisant son propre langage, la mouche et le scarabée engagent un dialogue sur l'importance politique, sociale et artistique cachée mais de longue portée des insectes, en dansant et en appréciant la discussion.

3
Rorschach, 1979
Dans cette série de dessins, l'artiste fait des taches d'encre des miroirs. En psychologie, on appelle cela le test Rorschach : les patients doivent dire à quoi les taches leur font penser.
Fabre utilise ces taches pour créer un monde drôle et hallucinatoire faits de petits monstres et de cocasseries.


Le scarabée sacré, 1978-1979
Un festin de petits amis. Dormir, dormir et dormir, Petits animaux, 1977

Ces travaux trahissent la fascination de Fabre pour les curieuses métamorphoses qui ont lieu dans le monde nocturne des insectes. Ils représentent des tentatives réussies d'achever le potentiel de transfiguration par une imagination fortement sensorielle et expérimentale.
Les dessins se basent sur les expériences de Fabre dans The Nose, une sculpture faite de vieille toile de tente qui fonctionne comme un laboratoire et à l'intérieur duquel il inhale la nuit, explore le monde des insectes, annote des dessins et écrit des textes. Nous rencontrons, surtout dans la seconde série des dessins, des éléments cruciaux qui continueront à jouer un rôle dans l'univers de Fabre : le scarabée et ses boules/abris" pills ", la croix, la mante religieuse assoiffée de sang et Prométhée dont le foie est dévoré par des oiseaux de proie, qui repousse, est à nouveau dévoré…tel un châtiment éternel.

4
Ange de la mort, 2002
Le chorégraphe, William Forsythe danse, recouvert d'un pagne blanc et tient un monologue parmi des meubles à tiroirs/secrétaires et des étagères du plus ancien musée d'anatomie européen à l'Université de médecine de Montpellier. Les pas du danseur semblent prendre naissance dans ses propres organes internes. Des images déconcertantes d'une série de restes humains conservés dans de l'alcool alternent avec un monologue de l'ange de la mort.
Les mots visionnaires composent un texte sur les " dernières choses ", sur la mort. Le film porte le témoignage de ce que, seul le corps et la mémoire insondable peuvent exprimer. Les couleurs font référence à celles utilisées par les primitifs flamands. Le texte est de Jan Fabre, les commentaires de John Berger et la musique a été composée par Eric Schleichim.

5
Une rencontre. Le secret de l'art, 1997
Cette série a été produite en parallèle avec le film qui enregistra une rencontre entre le hanneton Fabre et la mouche Kabakov. Les dessins forment une sorte d'étude préliminaire, et sont maintenant des œuvres à part entière, assez amusantes.

6
Les gants de la vie capturant la mort, 2001
Ces deux sculptures sont une célébration de la vitalité de la vie et de la mort.
Les deux crânes (une partie du squelette interne d'un homme) sont momifiés avec le squelette externe de différentes sortes d'hannetons.
Le crâne humain est le ballon le plus vieux mais aussi le plus beau.

Instrument pour se souvenir, Mâle, 2001
Un instrument de notre époque que l'homme du futur n'utilisera plus parce que nous ne perdrons pas nos jambes. Nous ne serons plus infirmes.
Les quatre têtes de canards mâles (la stupidité la plus sauvage) gardent l'appareil dans l'air en souvenir du temps passé.
La structure est momifiée dans une armure d'hannetons verts mordorés.

7
Auto-portrait en juster dans la Ommeganckstraat, 1997
L'artiste en marionnette dans l'Ommedanck.
L'Ommedanck à Anvers était une parade de marionnettes. Marionnettes qui représentent des mauvais esprits (ennemis) et des esprits bienfaisants (amis).
L'artiste en tant que corps spirituel (une coquille vide remplie de mémoire) flottant sans défense dans le vent comme un épouvantail avec le chapeau d'un bouffon du Moyen Age.
Sa peau est faite de hannetons de différentes couleurs.

Salvator Mundi, 1999
Cette sculpture est une main en métal, d'une armure de chevalier portant un globe recouvert de hannetons dorés.
La croix catholique est un os humain avec des cheveux d'ange.
Un combat réalisé dans le ciel entre la puissance de la verticalité (l'espèce humaine) et la puissance de l'horizontalité (l'insecte).

8
Des corps dans des corps
Le corps, comme une boîte faite de blocs, comme une construction faite de différents morceaux. Comme une poupée, cassée en plusieurs morceaux, griffée, sans jambes, avec deux têtes, aux couleurs vives, qui saigne.
L'artiste joue avec la frontière entre le réel et l'imaginaire. Le corps est présenté comme un laboratoire chimique, la somme de ses différentes parties et de ses liquides.

Cicatrices, Vers et publicités Bosch 2001
Selon Jan Fabre nous sommes tous des êtres médiévaux. Il mélange des fragments de l'univers visuel hallucinatoire de Bosch avec des publicités du 20ème siècle et ajoute une poignée de vers et de mille-pattes. Les publicités se réfèrent à la densité de la publicité, dirigée vers le monde extérieur mais aussi au vide entre les espaces utilisés pour la publicité.
Cela correspond au symbole de l'Eglise à l'époque médiévale.


9
La rivière Scheldt. Oh, quelle folie agréable !
1988
Un hommage magnifique à la rivière Scheldt et à la ville natale de Fabre, Anvers. Nous voyons d'abord la vue générale d'Anvers, puis un bateau à rames à partir duquel l'artiste lance les mots de verre " Oh quelle folie agréable ! " suivis d'une chouette en verre. La chouette est le messager de la mort, un sacrifice fait à la rivière. L'artiste utilise une pellicule couleur et filtre toutes les couleurs hormis le bleu du verre vénitien. Le sérieux et le jeu, la gravité existentielle et l'ironie légère comme une plume, la vie et la mort sont étroitement liés dans ce film.

10
Tivoli, 1990
Le château de Tivoli a été recouvert de stylo à bille et filmé pendant 24 heures en plan fixe. La projection accélère les images. La succession rapide de lumière et d'obscurité, de réel et d'imaginaire, d'eau et de ciel, de jour et de nuit et les métamorphoses variées du château bleu et de son reflet créent ensemble, une sorte de monde intermédiaire.

11
La falsification d'une fête secrète II. (Peurs)
1993-1995
Par l'action physique de rayer avec une pointe bic, l'artiste essaye de contrôler le monde oppressant des peurs. L'atmosphère tendue est en partie neutralisée et les dessins acquièrent même un certain pouvoir de séduction, venant duper le spectateur.

12
Beekeeper, 1994
Cette sculpture se base sur un dessin du maître flamand Pieter Bruegel l'ancien.
Fabre voit ce moine qui est le gardien d'un univers en tant qu'ange mâle, messager et astronaute spirituel.
Le corps spirituel est rendu visible par une peau collective constituée de petits corps innombrables (hannetons).
" ceux que nous imaginions morts ont été envoyés au devant de nous. "

Kriggers Rozenkrans, 1997
Cette sculpture est un hommage à un groupe de chevaliers qui promettaient d'aider les personnes en détresse.
L'artiste voit dans la croix un symbole spirituel.
L'arbre de vie.
Cet arbre de vie a une structure extérieure en métal.
La peau de l'armure/cuirasse recouvre les jambes et les bras.
Sur son bras droit nous voyons une grappe de hannetons vert mordorés (en forme de cocon).
Une métaphore de la préparation pur un état post-mortem de la vie.
13
Terre de la montée des anges, 2001
Cette sculpture est un ange femelle (moitié chouette et moitié sirène).
Il flotte au-dessus du sol, prêt à s'élever.

14
Tombe (crânes, épées et croix), 2001
Une installation qui trouva son inspiration dans les peintures de vanité flamandes.
Une tombe, un endroit spirituel. Un point intermédiaire entre les crânes, représentant la mort attrapant la vie à pleine vitesse.
Les animaux entre les dents symbolisent les corporations d'artisans pendant le moyen-âge.
Les croix ont une queue légère faite de hannetons.
Les épées ont une queue taillée en pointe, solide, faite de hannetons.
Les croix et les épées sont colorées en bleu avec de l'encre de pointe bic et des noms latins et flamands de différents insectes y sont gravés.
Chaque insecte symbolise un groupe d'artisans.

15
Mon corps, mon sang, mon paysage, 1978
(Mes gouttes de sang, mes empreintes de sang), 1978-1982
La série de dessins Mes gouttes de sang… est clairement en lien avec la performance Mon corps, mon sang, mon paysage, dans laquelle Fabre utilise son propre sang pour réaliser les dessins. Avec la performance l'artiste voit le résultat de son propre corps physique comme un lien entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'individu et le paysage, entre le dessinateur, le dessin et l'image. Il utilise clairement son corps comme un objet de recherche. Le sang comme moyen de dessiner évoque des connotations symboliques variées. Un des dessins les plus saisissants représente un vagin sur lequel sont inscrits les mots " ecce homo ". Beaucoup de médiévaux pensent que l'on peut discerner un vagin sur les peintures médiévales du " vrai visage " du Christ.

Sanguis, Mante, 2001
Cette œuvre est liée à la performance la plus récente de Fabre, à Lyon en 2001. Là aussi l'artiste dessine avec son propre sang, qui est drainé toutes les heures. Après avoir travaillé intensément pendant vingt ans autour du thème du corps spirituel, érotique et physique, Fabre a une vision d'un corps futur. Dans cette vision, la structure médiévale du corps en tant que combinaison de peau, de chair et d'os est remplacée par celle d'un corps spirituel constitué uniquement de sang.

16
Globe/le problème, 2001
Une des boules que l'artiste et les philosophes utilisent et font rouler dans le film.
La boule/le globe repose sur un matelas. Mais elle/il ne dort pas/il n'a pas sommeil.
La boule/le problème émet de l'énergie et des connaissances physiques et mentales.

17
Le problème, 2001
Le problème décrit l'étrange rencontre de Fabre avec les philosophes Peter Sloterdijk et Dietmar Kamper dans un champ boueux et pentu en Allemagne.
Vêtus d'habits noirs, les trois hommes se comportent comme des bousiers travailleurs, chacun poussant de manière infatigable une boule et commentant son action. En latin " boule " veut dire " problème ". La boule d'Atlas, le globe en déplacement, la boule que Sisyphe pousse apparemment sans discontinuer en haut de la montagne. Ils roulent, folâtrent, peinent dans la boue, en poussant la boule de la mémoire.

18
La fontaine du monde, 1979
Du stylo de Fabre coule un corps érotique, entraîné dans des excès obscènes variés. Mais comme le suggère le titre, le corps érotique obscène est imprégné d'un spiritualisme fort. La corporalité extrême, peinte dans un festin abondant de liquides corporels se transforme en un désir mystique de transcendantalisme.

19
Instrument pour se souvenir, femelle, 2001
Un instrument de notre époque que les futures femmes n'utiliseront plus.
Parce qu'elles ne perdront pas leurs jambes ni ne seront infirmes.
Les quatre têtes de canard femelles (la stupidité sauvage) conservent l'appareil en l'air en souvenir du temps passé.
Le bâton de promenade est momifié avec une armure/cuirasse de hannetons verts mordorés.

Cercueil avec chevalier, 2001
Un animal mythologique en pleine vitesse de la vie, attrapé par la bouche de la mort.
Le cercueil avec sa peau de hannetons verts mordorés est un endroit dans lequel se subit un changement.

Bain (Düsseldorf), 2002
Une baignoire comme endroit de purification physique et mentale.
Cette sculpture est une " niche " dans laquelle quelqu'un vient de sortir ou est en train d'entrer.

20
Corps, corps sur le mur…, 1997
Le film est le résultat d'un dialogue entre Fabre et le danseur-chorégraphe Wim Vandekeybus. Bien que le film soit une œuvre autonome, c'est aussi l'intégrale d'un solo de danse de Vandekeybus, chorégraphié par Fabre (il fut projeté en son entier pendant la performance du danseur). Le corps est présenté comme une peinture, métamorphosé par les couleurs qui y ont été appliquées. Les sons sont ceux faits par les os et les fluides du corps. L'œuvre intrigue du fait des sons amplifiés, du corps coloré et des mouvements agressifs qui donnent à l'ensemble une apparence physique et irréelle. La musique a été composée par Charo Calvo.