Les murs sonores

Les murs délimitent un espace physique et acoustique,

isolent de la vue les domaines privés et servent d'écrans aux inter-

férences acoustiques. Ce dernier rôle n'est pas toujours rempli,

surtout dans les constructions modernes. Pour pallier cette insuf-

fisance, l'homme d'aujourd'hui a découvert ce que l'on pourrait

appeler l'audio-analgésie, à savoir l'utilisation du son comme cal-

mant, une diversion qui protège de la distraction. L'usage des

audio-analgésiques commence sur le siège du dentiste. Il s'étend à

la musique de fond diffusée dans les hôtels, les bureaux, les res-

taurants et à bien d'autres lieux publics et privés. Les appareils

climatiseurs et leur bruit continu sont aussi des audio-

analgésiques.

Il est important, à ce sujet, de savoir que ces sons écrans ne

sont pas là pour être écoutés. Ainsi l'industrie Moozak a-t-elle

délibérément choisi une musique qui ne passionne personne,

qu'elle soumet à des orchestrations anodines et inoffensives, lui

donnant une enveloppe " gentillette " destinée à masquer toute

diversion déplaisante, à la manière de ces emballages superbes

que l'on vous fait, dans le commerce, pour cacher, souvent, la

banalité du produit.

Les murs servaient autrefois à isoler des bruits. Ce sont

aujourd'hui les murs sonores qui en isolent. Ainsi l'amplification

de la musique pop favorise moins la sociabilité qu'elle n'exprime

de désir d'individualité,,,, de solitude,.., de désengagement. Pour

l'homme moderne, le mur sonore est devenu, autant que le mur

dans l'espace, une réalité. L'adolescent vit en permanence avec sa

radio, la ménagère avec sa télévision, l'ouvrier avec la musique

qu'on lui diffuse pour améliorer sa prqductivité.

De Nouvelle-Ecosse nous parvient un rapport sur l'utilisa-

tion continue d'une musique de fond dans les salles de classe. Le

proviseur est satisfait des résultats et qualifie l'expérience de suc-

cès. De Sacramento, en Californie, ce sont les échos d'une autre

expérience insolite qui nous arrivent : une bibliothèque qui diffuse

de la musique rock et où l'on encourage à parler. Sur les murs,

des écriteaux, SILENCE INTERDIT. Résultat : la fréquentation,

surtout parmi les jeunes, est en hausse.

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