I - A D'AUTRES
" A d'autres ", ou bien " on ne me la fait pas à
moi ", toutes deux locutions qui dénient la croyance confiante
.
" A d'autres ", c'est aussi le non-dit de l'hommage qu'on
leur rend. Certes, d'une autre manière que " à ma
compagne qui ..,etc " ou " à mon ami untel, à
qui ...etc "; mais la dette habituellement signalée en début
de livre, comment est-elle assumée, mise à part cette
ostentation ?
" A d'autres ", sans exclamation ...
Ce sont les oeuvres elles-mêmes qui les convoquent ici par les
fragments qu'elles présentent ou représentent. Fragments
" lourds de nos différences et de nos obligations "
si je me réfère à la dissociation de l'Autre opérée
par J. Gagnepain en " un autre qui n'est pas nous-mêmes et
un autrui à qui nous devons d'être ".
A - LES COLLAGES ET LA QUESTION DE L'AUTEUR
La question est d'importance puisqu'en contrepoint de ce texte s'affiche
une production réalisée en partie par découpage
et collage de celle d'un autre . Elle se pose ici avec acuité,
du fait de l'utilisation répétée d'une seule image,
vignette autocollante offerte en prime à l'achat d'une boîte
de fromage " Vache-qui-rit " et représentant Pinocchio
allant à l'école de Walt Disney - rendant ma propre intervention
minime sinon minimale .
Notons que l'acception de collage (1) englobe le découpage
préalable; elle suppose donc des fragments qui l'anticipent.
A l'inverse, tous les fragments ne se finalisent pas en un collage,
bien qu'ils posent aussi la question de l'auteur par la charge négative
qu'ils portent souvent.
Le morcellement de l'image de Pinocchio a pour point de départ
un glissement de finalité (cf. " CHIO ", Album, p.
2, 5, 4): ce qui devait n'être qu'une simple opération
technique dépourvue de sens devint un jeu de combinaisons, tel
un puzzle perverti où l'image à reconstituer ne serait
plus un but. Chaque combinaison, avant d'être détruite
pour en rechercher une autre donnait lieu à un relevé
par calque, traquant les monstres " pinocchiesques " qui ne
manquèrent pas d'apparaître. Pour développer ce
principe d'une combinatoire, je réalisai des planches me permettant
d'agrandir et de multiplier les fragments du dessin initial sur toute
la surface du support (cf. l'album SERIPHOCCHIO et SERIGRAPHOCCHIO,
p.18,19).
Par ce fait, les monstres qu'initialement je composais, pièce
par pièce, me firent alors la surprise de leur présence
dans l'enchevêtrement du réseau; une attention visuelle
même distraite suffisait : des agglomérats se constituaient
pour former des images. Différents à chaque fois, ils
étaient aussi suffisamment compliqués pour donner lieu
à des interprétations ambivalentes. En somme, le réseau
linéaire faisait fonction de test projectif à l'instar
des planches de Rorschach (2) favorisant des associations
d'idées relativement libres comme dans toutes les réalisations
" all-over " qui, par définition ne déterminent
aucune focalisation, et bien avant elles dans ces barbouillages dont
parle Léonard de Vinci (3), cité par
Brassaï dans son livre " Graffiti ". Et " les propositions
du mur " que présente ce dernier, de même que les
frottages de Max Ernst procèdent du même principe. Ce principe
de projection étayant l'analyse de Gilbert Lascault sur "
les monstres dans l'art occidental " (4) requiert
des conditions particulières pour intervenir dans le perçu
: " moins la situation est structurée, plus les stimuli
sont ambigus, et plus le sujet trouvera lieu de savoir ".
Les monstres n'ont donc pas besoin d'être fabriqués
en images stables et isolées pour apparaître, ils surgissent
sans avoir été invités par l'opérateur des
formes qui les convoque. Ce que je peins m'apparaît alors "
aussi étranger qu'à tout autre "(5)
et cependant je sais que c'est le produit de mon histoire subjective.
Autrement dit, l'image de Walt Disney me renvoie à " mon
" image par le biais de sa mise en pièces.
Le découpage en fragments est le mode privilégié
de fabrication des monstres, " Les arts fantastiques " de
Claude Roy (6) le signalent avant l'étude approfondie
de Gilbert Lascault. Claude Roy donne en effet du fantastique la définition
suivante, p. 14 :
" Le fantastique, c'est ce qui dément et " démantibule
" l'ordre des choses admis. "
Et, de fait, son ouvrage comporte une série importante de références
à des oeuvres constituées de fragments, " fragments
" seulement si les fantômes des absents
hantent le visible.
Ainsi, p.9, cette figuration d'une mandragore extraite d'un " Livre
de nature ", dessin allemand du XV siècle,
p.11, ces personnages aux têtes de renards, miniature tirée
du Livre des merveilles " de Marco Polo XV siècle,
p.15, ce dessin d'un " schizophrène " où l'homme,
la femme, le poisson, l'oiseau, l'arbre se rencontrent,
p,16 ce dieu-ibis, Thot déjà cité ,
p.20, ce photomontage pour carte postale " 1900 " affublant
d'ailes de papillon une figure féminine,
p.26 cette gravure hollandaise du XVè siècle de phoque,
p.36 cette sculpture de Pablo Picasso,
p.45 ces armoiries à la tête de mort,
p.52 cette chauve-souris, femme et chat extrait d'un ouvrage d'Athanase
Kircher, " de la Chine ", du XVIIè siècle,
p.55 ces " Hommes à tête de cheval ", gravure
du XVIIè siècle,
p.57 " La vache à l'ombrelle " de Marc Chagal,
p. 81 cette image populaire de Montbéliard représentant
des âmes damnées, volatile-serpent, chien ou loup tout
à la fois,
p.81 cette allégorie, gravure danoise
p.94 ces études de Diables de Jérôme Bosch,
p.101 et enfin, ce collage de Max Ernst extrait de " la semaine
de Bonté "
En plus de cette liste déjà longue, signalons les cas
où un seul fragment de motif est mis en scène :
p.59 cette peinture naïve américaine
p.54 cette sculpture d'Alberto Giacometti
p.77 " Partout des prunelles flamboient " d'Odilon Redon
Ajoutons encore les cas où les fragments appartiennent au même
motif, tels:
p.59 cette " Explosion dans une église " peinture du
XVIIè siècle,
p.87 " L'étonnement du masque Wouse " de James Ensor,
p.93 " L'enlèvement " de Max Klinger,
p.98 " Prémonition de la guerre civile " de Salvador
Dali;
Dans tous les cas, il y a du manquant, du fantôme dans ce procédé
qui taille. En faisant appel à une pluralité de motifs,
il est retenu un détail - la taille et le détail -. L'endroit
de " la coupe " convoque les compléments dont le passage
à la limite est l'inverse de l'image montrée.
Image " non vue ", sauf lorsque le procédé tout
entier est exhibé par Magritte qui " soude " ce qui
reste de la sirène, autre " Invention collective ".
Il ne fait pas seulement que reconnaître l'antériorité
du procédé, il rend hommage à l'inventeur "
collectif " en l'arrachant à sa banalité pour le
réactiver, inventer à son tour.
Dans ce procédé, " Qui est l'auteur ? ", Ph.
Dubois, interrogeant (7) le lecteur de son commentaire
qui accompagne le diaporama sur le collage du CNDP, signale en même
temps que Max Ernst efface le plus souvent le nom ou la griffe du graveur
qui figurait sur l'image d'origine, on peut remarquer en tous cas que
la signature grattée ne fait place à aucune autre marque
: ni la signature de Max Ernst, ni le masque d'un autre motif.
On peut s'interroger sur l'objet de l'emprunt en notant que la gravure
d' origine " la femme escamotée " met en scène
un numéro d'illusionnisme où la femme précisément
disparaît . De la disparition à la réapparition
métamorphosée, il y a une interprétation de l'image,
et non pas une utilisation d un matériau détaché
de sa finalité représentative initiale . Le sens qui surgit
de ces collages, et particulièrement en ce qui concerne "
la rencontre de deux sourires " - autre oeuvre citée par
Ph. Dubois - doit à celui d' une image de fond et ne résulte
pas seulement de " la rencontre fortuite de plusieurs éléments
relevant d'images séparées " .
Cette image de fond dont le passage à la limite serait cette
" inimage' dont René Passeron s'exhibe par simple "
ablation ", opération quasi-chirurgicale puisqu'elle consiste
à " tailler dans le vif d'une image " . Opération
de refus de l'image d'autant plus incisif qu'il s'appuie sur son "
respect " . Image latente, que le plaisir organise et c'est pourquoi
il en sera davantage question plus loin (IVème partie: "
Au plaisir "), notamment pour cerner de plus près la productivité
de ce rapport à l'image dans ma pratique .
Il est à noter dès à présent combien ici
deux questions interfèrent puisqu'en effet, c'est le refus d'adhérer
à l'image publique qui est à la source de l'inimage et
en même temps, le plaisir qu'on y prend autorisé de son
analyse respectueuse .
Que " les monstres " soient produits par combinaisons de fragments
d'images séparées, ou qu'ils soient issus d'une décomposition-recomposition
d' une seule et même image, une image en appelle une autre qui
définit la personne par l'acceptation ou le refus de la précédente
.
Il n'est cependant pas possible d' assimiler tous ces cas pour y voir
des symptômes de l'Autre; ces exemples n'affichent pas tous et,
de la même manière leur référence à
l'autre et à autrui, même si implicitement la personne
y est mise en oeuvre, ici comme ailleurs.
À cet égard, il est nécessaire de préciser
l'hypothèse proposée par J. Gagnepain et rappelée
comme suit par Ph. Bruneau dans un article sur " le portrait "
(8) :
" À mon avis, dans la définition du portrait, on
ne peut se tirer d'affaire
sans la dissociation (...) du sujet et de la personne par laquelle nous
sommes
capables d'analyser notre appartenance à l'espèce, c'est-à-dire
que, sans cesser, comme sujet animal, d'être un spécimen
interchangeable, nous la nions en nous posant comme autre, en instaurant
dans sa continuité biologique la rupture qui nous fait tendre
à la divergence ".
1- LA NEGATIVITE INITIALE ET LE MEURTRE DU PERE
Mes interventions sur l'image de Pinocchio, même
si elles la détruisent, lui doivent aussi, précisément
par la négation qu'elle suggère en tant qu'image sécurisante
de l'élève joyeux et confiant dans l'école, miroir
idéologique de l'obéissance.
L'image de Pinocchio porte en effet une injonction à obéir
: elle est celle de l'album à colorier, des zones " à
mettre en couleur ", sans dépasser. Elle prétend
éduquer le geste en le limitant à une zone pour développer
ainsi sa " maîtrise ". Dès lors, ma pratique
ne pouvait que singer ce qui m'apparaissait comme parodie de "
hard edges ".
Mais c'est essentiellement par le découpage que se réalise
le rapport iconoclaste avec la vignette autocollante. Elle se colle
toute seule et même sur soi, trop " collante " en somme.
c'est que l'image de type Walt Disney accentue un travers de l'éducation
: il suffit d'en tracer le contour et se profile une autre silhouette
qui rapproche ce Pinocchio de l'oiseau, voire du canard métaphore
dont se sert Maud Mannoni (9) pour décrire
certains " enfants arriérés ". Par cet "autocollant"
Pinocchio apparaît, en effet, massif, ramassé sur lui-même,
" rondouillard à la limite de la boule de ce dessin d'une
agrégée"- coïncidence? - Les membres de Pinocchio,
version " Walt Disney ", sont plus affirmés, comme
pour le clouer au sol et le rendre, par ces boulets, encore plus empoté.
Les pieds ainsi lestés, on ne peut imaginer qu'il puisse se mouvoir
autrement que selon la démarche " maladroite " du canard.
A l'époque où je commençais ce travail par référence
à Pinocchio, je pratiquais parallèlement des exercices
d'écriture, en répétant une dictée extraite
des " contes du chat perché " de Marcel Aymé.
Là encore le fragment de texte, " morceau choisi "
par les bons soins de l'éducateur, mettait en scène l'image
de deux bons élèves. Je m'attachais alors à brouiller
la lecture pour rendre visible la facilité du geste de l'écriture
avec parfois le désordre des taches et des surcharges.
La charge négative qu'il y eu dans ce dépeçage
initial - mise en pièces de l'image, opération privative
de sens - fait donc partie d'un réglement de compte avec les
"éducastreurs "de tous poils qu'ils soient ou non de
métiers. Et par-delà le conflit avec l'école, c'est
dipe revécu. En témoigne le choix d'une image commune
que l'histoire de l'art ne prend pas à son compte telle quelle,
mais sous condition de remédiatisation, " warholisée
", "lichtensteinisée ", "rancillaquisée
".
Ainsi la même image est tantôt appréhendée
comme un stéréotype aliénant, tantôt comme
une promesse d'ouverture sur les arts qu'on ne dit pas " beaux
". Par cette ambivalence, ou bien je pervertis le protocole habituel
de la reproduction d'une image en couleur - déviant l'utilisation
du matériel, préférant recombiner l'image approximative
de Pinocchio à partir de l'envers des morceaux de planches découpés
(" CHIO ", cf. Album p.1, 2, 3) ou du même fragment
répété de son dessin (SERIPHOCCHIO et SERIGRAPHOCCHIO
- cf. Album, p. 18 et 19) - ou bien je concède à la vignette
ses
douze couleurs les prenant pour code, ou une partie des cernes qu'elle
présente, les prenant pour diviser la surface du support. Cette
attitude alternée se repère encore dans la plus ou moins
grande soumission de l'image au format du support (cf. " Ne talv
ket ur boen ", Album, pp.52-55 ; et aussi dans les études
préparatoires de " Laket hé én TU-rall ",
album, p.26 )
Cette expression de négativité tempérée
face à une image de base n'entame pas la question du respect
ou de l'irrespect vis-à-vis des antécédances que
l'histoire de l'art a consacrées. Elle est cependant du même
ordre.
2 - LE MEURTRE DU PERE ET LA RECONNAISSANCE DE DETTE
La charge oedipienne ne se manifeste pas toujours
avec l'éclat de l'effaçage d'un travail de W. de Kooning
par R. Rauschenberg. Le meurtre du père ne s'accomplit pas non
plus forcément de façon fracassante, dans le dénigrement
de l'art tout entier . Et de la même façon, la reconnaissance
de dette qu'est l'hommage, n'a pas besoin d'être ostentatoire
.
Le simple dessein de faire une oeuvre originale témoigne déjà
du procès. D'abord, et à titre d'indice, 1'édition
de 1948 du dictionnaire " Larousse " donne 1a définition
suivante de 1'originalité :
" Qui sert de modèle et n'en a point eu; ex : tableau original
"
Ensuite, 1'avant-garde qui 1a revendique n'est-i1 pas emprunté
lui-même au vocabulaire militaire ? René Passeron note
à ce propos (10): " Ce mûrissement,
qui fait de 1'emprunt un choix et de 1'influence une révolution,
implique, chez le peintre, une intention essentielle de s'arracher à
la répétition possible, et en générale,
confortable, de ce que ses maîtres directes lui ont appris; il
y a un jeu, pour certains, et, pour d'autres, de la révolte,
il y a toujours de la combativité à la racine de l'activité
créatrice ".
Considérons encore ce tableau d'Equipo Cronica qui rassemble
les maîtres et dotte chacun d'eux d'une arme : " Summa Artis
".
Ajoutons encore " En garde ", cet intitulé d'exposition
que Sylvie Zavatta voudrait ne pas prendre au pied de la lettre (11).
L'oeuvre exige aussi le support de 1'autre qui se réalise dans
1a relation avec le maître, l'amateur, le critique, tous ceux
qui placent l'artiste dans la condition d'un apprenti, dans la situation
d'attention et d'écoute.
En témoigne " La ronde de nuit "
de Rembrandt. Si la question est posée de savoir quel est le
portraituré qui y figure en porte-étendard - voir à
ce sujet l'étude d'Ulysse Moussalli - c'est que1'autre est toujours
1e passager clandestin. Ainsi, le portrait d'Honthorst, un des maîtres
de Rembrandt, serait à côté de l'autoportrait de
celui-ci bien que la seule obligation imposée à l'artiste
par la commande soit de figurer Frans Banningh Cocq, " le jeune
seigneur de Puimerland qui en tant que capitaine, ordonne à son
lieutenant, le seigneur de Vlaardingen, de mettre en marche sa compagnie
de la garde municipale " - inscription attenante à un dessin
aquarellé d'un album ayant appartenu à Frans Banningh
Cocq lui-même, précise Ulysse Moussalli - Et si Rembrandt
parvient ainsi à s'acquitter d'une partie de sa dette, il est
à remarquer que son regard n'est pas rivé à l'étendard
d'Honsthorst; il regarde ailleurs (12).
Reste l'autre partie de sa dette.
L'autre n'est pas seulement là avec l'image du maître,
de l'amateur, du critique, du mécène ou du marchand, l'autre
et le sujet coagissent, et i1 s'agit de répérer leur collaboration
ou leur division dans la production de l'oeuvre. Reste donc l'autre
partie de sa dette, celle dont le débiteur qu'est Rembrandt ne
se libère pas par une quittance ostentatoire : le luminisme d'Honthorst.
Le luminisme de Rembrandt lui rend hommage mais avec une nuance : ici,
1a distribution des zones de lumière se moque de la logique de
l'éclairage et 1a figure des deux jumelles tend à se dissoudre
en une tâche de lumière.
La reconnaissance de dette se confronte au meurtre " symbolique
" du père ; deux procès qui ne sont pas exclusifs
l'un de l'autre.
En témoigne encore cette toile aussi exemplaire
par son titre, " Le peintre et son modèle " de Matisse.
Dans son rapport au traitement plastique de l'intérieur, le paysage
entrevu par la fenêtre apparaît comme le fragment d'un autre
travail, celui d'une toile qu'aurait pu faire son ami Albert Marquet.
L'architecture du chevalet reprend en écho, par ses obliques,
l'embrasure grillagée de la porte-fenêtre. Entre les cieux
prend place la figure du peintre; figure vide, seule sa silhouette apparaît,
aux contours simplifiés, peu soucieux des détails et sans
volume. L'ouverture de la fenêtre fait entrevoir un paysage réaliste
avec notamment un bâtiment représenté dans les détails
de son architecture. L'hétérogénéité
du tableau tient surtout à ce rapport de la figure et du paysage
proche de l'antagonisme. Certes, le peintre " ne tourne pas le
dos " au paysage, il articule même les deux zones du chevalet
et de la fenêtre; mais notons que le modèle est doublement
représenté et avec un parti pris proche du traitement
de la figure du peintre, Matisse s'éloignant ainsi de la facture
d'Albert Marquet.
Le rapport à l'autre est la problématique
posée par certaines oeuvres présentant des objets personnels
en l'absence de leur propriétaire.
" Les vieux souliers aux lacets " de Van Gogh ont ainsi polarisé
les études et notamment celle d'Heideger, de Meyer Schapiro et
enfin, celle de Jacques Derrida - dans " La vérité
en peinture " (13) - 0n mesure à l'ampleur
de leur débat le rendement élevé de la fonction
métonymique du fragment.
Plastiquement pourtant, nul fragment : l'espace présenté
est fermé par une zone qui fait le fond et le tampon entre le
motif des souliers et les bords du tableau. Bien que, par ces faits,
l'illusion du plan illimité n'a pas lieu qui aurait pu favoriser
un rattachement fictif à quelqu'un, - celui dont Heidegger, Meyer
Schapiro se disputent l'identité - le regard posé sur
ces souliers en éloigne et se détourne vers celui - le
fantôme dont parle Derrida- susceptible de les chausser. La fiction
fait le vide autour de l'analogon qui devient alors fragment de quelqu'un,
objet personnel, autoportrait par 1e détour d'une " représentation
diplomatique ": les souliers, substitut d'une figure.
L'intérêt de l'analyse de Derrida est de relier la fiction
de la reconnaissance de dette en montrant que celle-ci est propre au
métier qui établit les obligations de chacun (14).
L'obligation ici n'est rien moins que de dire " la vérité
"
à l'exemple de Cézanne qui la devait à Emile Mâle
: " je vous dois 1a vérité en peinture " lui
disait-il. Un peintre et un des porte-paroles du métier de peintre
se rejoignent dans l'absolutisation de leur être par la parole
et par la peinture.
Derrida montre aussi que cette fiction est basée sur un accord
tacite entre Heideger et Meyer Schapiro qui, tous deux, font des "
vieux souliers " une paire. En cela il est proche de l'analyse
de Lacan pour lequel " la croyance suppose le support de l'autre
" (15). La fiction suppose ici, en effet, une
croyance partagée.
Montrer l'éloignement de l'étude des " vieux souliers
aux lacets " - ce mouvement " fort " dont parle aussi
Heideger qui marque ici la " proximité " (" da
") de1a peinture - par l'effet de l'acquittement recherché,
c'est marquer de la prudence et de la patience pour cerner le concept.
S'en rendre compte suppose qu'on tienne pour un raisonnement ce qu'on
prend vite, dans la hâte d'aboutir à une conclusion (porteuse
de vérité) pour de 1a ratiocination - hâte à
se débarrasser, là aussi, d'une dette, celle contractée
par 1e fait d'avoir pris un livre intitulé " la vérité
en peinture ".
En l'occurence, l'attribution par Heidegger des " Vieux souliers
" à une
paysanne va dans le sens du travail de Van Gogh qui avait une dette
envers le monde paysan et qui, pour s'en acquitter, voulait peindre
une " véritable peinture
paysanne " avec des paysans " peints avec la terre qu'ils
ensemencent ". Il en fait,
lui aussi, une soif de vérité comme plus tard avec les
estampes japonaises qu'il
copie. La dette, alors, change de créancier;.mais, dans le même
temps, elle récu-
se les pères de l'histoire de la peinture occidentale à
l'exemple de beaucoup
d'autres qui empruntèrent aux arts non-occidentaux ainsi que
l'a montré Jean Laude (16).
3 - LA RECONNAISSANCE DE DETTE ET LES EMPRUNTS
La réalité des produits concrets offre
parfois une apparence fragmentaire
de déjà vu, de déjà fait, qu'il s'agisse
de l'hommage explicite ou de la citation.
Et les exemples ne manquent pas où s'exerce le prégnance
de modèles qu'ils soient d'autres temps - l'antiquité
greco-latine a servi et sévit encore dans les beaux-arts occidentaux
- ou d'autres lieux - la confrontation avec les produits non-occidentaux
a réactiver les recherches en occident au début de ce
siècle - mais les cas sont moins nombreux où il est possible
de rapporter telle oeuvre à telle autre précédente
ou contemporaine.
L'oeuvre de Pablo Picasso en comporte toutefois de fameux; citons :
· Le.Déjeuner sur l'herbe
· L'enlèvement des Sabines
· Les femmes d'Alger
· Les demoiselles de la Seine
· Les ménines.
Son attitude vis-à-vis des oeuvres correspondantes de Manet,
de David, de Delacroix, de Courbet, de Vélasquez se précise
quand on l'oppose à celle de René Magritte qui peint "
Perspective de Madame Récamier de David ". Tandis que la
rencontre entre ces derniers tient à une image et à sa
célébrité, l'intérêt de Picasso se
porte sur le problème plastique posé. A cet égard,
il est intéressant de rapprocher sa pratique d'emprunt de celle
de Louis Cane dont le travail prend aussi d'autres oeuvres pour support
(17) - celles de Matisse, d'Uccello, de Manet, d'El
Greco, et de Picasso lui-même - Ce sont avec Cane plus que des
hommages sporadiques rendus à des oeuvres : à l'inverse
de Picasso qui soumet celles-ci à sa fabrique, Cane définit
sa problématique à partir d'elles; et au lieu de les réduire
à l'unité de son style, il en déduit plusieurs,
les pratiquant conjointement. Leur voisinage concurrent ou concourant
sur une même toile établit une solidarité - parité
célébrée - entre les peintres, ses pairs et ses
pères, de cette façon convoquée (18).
Si l'attitude de Cane se différencie de celle de Picasso; ils
sont encore proches si on songe à les opposer à celle
de Lichtenstein, d'Equipo Cronica, ou même à celle de Loulou
Picasso. Bien que ce dernier utilise le mélange des styles, citant
Juan Gris, Georges Braque, Lempika, Malévitch, Pougny ou Pollock
comme le réalisme photographique - un emprunt peut en cacher
un autre - et mélange parfois le sien à celui des autres
du groupe Bazooka, le souci y prédomine de faire participer l'autorité
de ces références à l'efficacité du message
à communiquer. Quant à Equipo Cronica, leur visée
de communication par l'image doublée de la " distanciation
" brechtienne aboutit à une pratique de citation où
la facture est gommée. Reste l'image, mais avec une certaine
facture propre à beaucoup d'affiches sérigraphiées.
· un emprunt peut en cacher un autre -
Attitude proche de celle de Roy Lichtenstein qui passe son musée
imaginaire à la " moulinette " de " ses "
trames, unifiant les particularismes par l'effet du style " typographique
" (19).
" Un emprunt peut en cacher un autre ":
il n'y a pas ici l'intention anti-art de Marcel Duchamp qui réduit
une reproduction d'une toile de Rembrandt à la fonction de planche
à repasser ou fait un pied de nez à la Joconde en l'affublant
d'une moustache et d'un autre titre. Son dénigrement s'oppose
à l'hommage des autres, mais leur action vise les mêmes
choses : ce sont les oeuvres célèbres. La rivalité
favorise l'emprunt.
Ajoutons à ces travaux d'emprunt celui d'Erro, d'Art & Language,
de Kosuth, de Giulio Paolini, d'Alain Jacquet. Il ne s'agit là
que des emprunts ostentatoires - et l'arbre, ici aussi, cache la forêt
" - mais le fait de montrer l'emprunt c'est, en plus, faire déjà
une analyse d'un procès qui définit et destine l'artiste.
Il est significatif, à cet égard, que Florence de Méredieu
parle de " filiation " et " d'engendrement " des
styles " à leur propos : c'est que le père est au
coeur de l'emprunt, qu'il s'agisse de le tuer ou de lui rendre hommage.
Qu'en est-il maintenant des emprunts dans ma pratique
? Après le morcellement de l'image et le réassemblage
des morceaux qui emprunte à Bellmer son jeu combinatoire, intervient
la couleur. Ce troisième temps s'apparente à un aspect
de la pratique d'Alechinsky: les fragments d'image jouent la môme
fonction de provocation au travail que les actes notariés et
les titres de propriétés auxquels se juxtaposent ou se
superposent ses peintures et gravures. Ils font perdre, par l'effet
de leur découpage et de leur pose en tous sens, le référent
Pinocchio. S'ils donnent lieu à des monstres, c'est de façon
occasionnelle et limitée; ceux-ci cohabitent avec d'autres interventions
: ainsi, SERIPHOCCHIO et SERIGRAPHOCCHIO (cf. Album, p, 18 et 19) présentent
trois formes. Si l'une est monstrueuse, l'autre n'est qu'une bande qui
reprend en écho le bord du format, tandis que la troisième
désigne l'emplacement de la planche, matrice et module du réseau.
Les monstres sont restés une " tentation " comme ce
" cahier de dessin " transposant en images le principe de
morcellement combinatoire producteur des " cent mille milliards
de poèmes " de R. Queneau (20). (Et ils
n'ont pas non plus le réalisme des figures caricaturées
d'Helen Oxenbury surgissant du " pêle-mêle " des
pages découpées de son livre (21).
Ils m'interrogent malgré cela et peut-être à cause
de cela : leur présence pourrait bien être ailleurs; par-delà
le procédé de fabrication des agglomérats qui visuellement
les constitue, je les interprète comme les symptômes d'un
corps morcelé ". En ce sens, c'est l'hétérogénéité
qui est vécue comme monstre; et je la repère, non seulement
à l'intérieur d'un même produit, mais, d'un produit
à l'autre, en conflit avec le projet unitaire. Pour ce qui concerne
chacun des produits, il se pourrait qu'ils portent les marques de l'autre
aussi sûrement que ceux désignés parfois "
oeuvres collectives": tels ces cadavres exquis, ce tableau effacé
de W. de Koonig par Rauschenberg, celui modifié de Mortensen
par ses complices du groupe COBRA, ces inclusions d'épreuves
d'Alechinsky par Arman, etc ... C'est que les fragments qu'on peut y
déceler, zones issues de la division du format, fragments de
l'image elle-même (" GROCCHIO ", cf. Album, p.10 et
11), formats assemblés (" Laket hé én TU-rall
", p. 26,27,28, " Peinsérature ", p. 56, 37),
châssis à demi séparés de la toile ("
Ne talv ket ur boen ", p. 32., "ROC ! torred eo ", p.
28, " Seinture ", p. 38), châssis lui-même fragmenté
(CHIO eid tameu koèd dastumed, p. 30,31 ) témoignent de
la part des autres dans cette production morcelée les convoquant
tour à tour par des façons de faire différentes
qui empruntent, singent ou contrefont.
Revenons-y : " A IO atav ", cf. Album p. 20, 21, " OCCHIO
" p. 22, 25, " Ne Talv ket ur boen... ", p. 32, 33, "
SERIGRAPHOCCHIO ", SERIPHOCCHIO ", p. 18,19, présentent
une partition de leur surface par laquelle les façons de peintres
- autant que les façons de peindre - différents se composent.
Ainsi la partition en étages de " a IO atav " commence
(de bas en haut) avec une pratique qui singe le coloriage et la répression
du geste qu'il comporte, pour ne pas dépasser et réaliser
les zones plates sans la moindre variation qui monterait trop la pulsion.
Ce principe, présenté comme l'élément valorisant
de l'image du type Walt Disney est toutefois repris avec une légère
nuance qui voudrait désigner la parodie : l'ordre des douze couleurs
n'est pas asservi aux motifs; plus de short rouge et de noeud de papillon
bleu mais des zones de couleurs cernées de noir. Par-dessus,
la perversion gagne et la forme du noeud " papillon " délimite
une seconde zone, sans souci des fragments d'image combinés auxquels
elle se superpose. Le brouillage s'achève dans une troisième
zone à la manière " all-over " mais dérisoire
par sa taille. La dernière zone laisse vierge le réseau
comme un ciel d'Arroyo citant " 'l'abstraction lyrique " (puisqu'il
y a un bas et un haut dans ce produit) c'est-à-dire avec l'illusionisme
du plan illimité correspondant à la répétition
sans fin du même fragment d'image; plages blanches à la
manière de " l'Hourloupe " proliférante de Dubuffet
à qui le produit doit encore.
" OCCHIO ", p.22, 25, est composé suivant ce même
principe de division par étage mais superposé à
un fond de papier en feuilles de cahier qui impose son " architecture
" tandis que son ordonnancement orthogonal obéit rigoureusement
au format de la toile (minimalisme enfoui qui n'affleure que par bribes).
Autre élément différenciateur, la succession en
bande transversale des plus petites zones de l'image, de même
que la bande brisée suivant la disposition des fragments modulaires
et à la rencontre de certaines lignes de l'image. Ces deux bandes
doivent à Arroyo une certaine bande de couleur qui court d'un
point à l'autre de l'image. Arroyo est " décidément
" présent, et il me rappelle sa parodie des styles "
dans le respect des traditions " qui serait alors à l'origine
de cette division par styles et par zones séparées.
" Ne talv ket ur boen... ", p. 32, 33, comporte la logique
de Max Bill confrontée à la déductivité
des formats en forme de F. Stella. Chaque rupture introduite par le
fragment modulaire est l'occasion d'un changement sinon de style, du
moins, de mode d'occupation de la surface.
Si je soumets ce format tronqué à une solution Max Billienne,
telle qu'en traçant intérieurement les parallèles
aux bords passant par un angle, quatre premières lignes droites
s'en déduisent qui, orientant le marouflage des fragments d'image,
donnent lieu à deux autres parallèles; celles-ci engendrent
à leur tour deux parallèles. En conjugant ce système
de lignes avec la structure déductive de la sous-couche de feuilles
de papier vierge s'ordonnant par rapport au coin coupé, j'obtiens
un réseau régulateur qui taille lui-même dans l'image,
la soumettant à son ordre sans souci de son dessein. Ainsi, le
fragment de vignette ne fait plus image ; par ces faits de collage et
découpage, il est subordonné à une géométrie
exorbitante, négatrice de son référent Pinocchio.
Quant à SÉRIPHOCCHIO et SÉRIGRAPHOCCHIO, p. 18,19,
ils rappellent par les trois formes de base trois pratiques aux motivations
différentes : un monstre pinocchiesque rassemble mes souvenirs
d'Adami, seule image entre une bande élément de "
structure déductive " propre à F. Stella et une surface
rectangulaire bleue renvoyant indirectement à l'empreinte de
la planche et aussi à celle de l'éponge de Viallat . Entre
ces trois formes SERIGRAPHOCCHIO développe un " dialogue
" triangulaire : le monstre pinocchiesque brandit son semblant
de poing, ou bien la bande se barriole - elle doit alors à Arroyo
plus qu'à Stella - des douze couleurs de Pinocchio en traversant
le réseau, ou bien encore, la surface de l'empreinte se rétrécit
en éventail jusqu'à la verticale de la bande. Une analyse
similaire pourrait être menée s'agissant des autres produits
déjà signalés.
L'hétérogénéité se constate aussi
par les différences de propositions d'un produit à l'autre
:
il n'y a pas, d'abord, unité de référent; l'image
de Pinocchio ne se retrouve pas, en effet, dans " ROCCHIO ",
p. 4, 5, 6, 7; " VUROCCHIO ", p. 8, 9; " SÉRI
" , p, 14,15 ; " SÉRIPHO " , p, 16 ,17 ; "
COEURS PEINSÉS " , p. 42 , 45 . Si cette diversité
sémantique (dessin d'enfant, pique-nique sous-bois, une visiteuse
devant l'Annonciation de Léonard de Vinci) ne suffit pas à
établir le caractère disparate de l'ensemble, elle est
du moins l'indice d'une diversité d'emprunts qui doit être
distinguée d'une diversité de techniques d'autant plus
qu'en cours d'activités, ils se présentent dans la confusion.
(Tout occupé que je suis à réaliser ce que je crois
être les opérations techniques, il s'avère que c'est
une recette que j'applique rigoureusement, cédant à l'argument
fallacieux de " la contrainte purement technique ". Placé
dans ces conditions, il est clair que " le respect des traditions
" comme leur transgression ne peut réellement avoir lieu
puisqu'on croit être technicien quand on est imitateur.)
Les pratiques de la peinture, gravure et sérigraphie étaient
initialement séparées autant par leurs lieux sociologiques
que par leurs modes techniques de réalisation. Et en orientant
progressivement mon travail vers leurs interférences, alliances
" monstreuses ", des " influences " de divers milieux
furent rassemblées dans leurs divergences. Chaque produit comporte
ainsi comme le fragment de la production d'un autre.
" VUROCCHIO ", p. 8, 9, introduit avec la photogravure une
pratique qui apparaît nettement étrangère à
l'ensemble des travaux, de même que " SÉRI ",
p, 14,15 et " SÉRIPHO ", p, 16,17, avec la photosérigraphie.
Par elles, je rencontrai les milieux des imprimeurs et graveurs "
industriels ", directement pour le travail à faire, indirectement
par les livres de leurs techniciens, surtout Alain Bargilliat (22)
et Michel Caza (23). Pourquoi fallait-il aller
à eux ? La raison de leur savoir-faire n'est pas la seule; les
trois réalisations citées ont en commun d'être attentives
à la fonction du réalisme photographique, c'est-à-dire
à cette fiction qui ancre une fascination pour l'image dans un
rapport très serré qui ne peut s'établir de la
même manière avec une image aussi irréaliste que
le Pinocchio de Walt Disney.
Et ce rapport est d'autant plus serré que les images de base,
ici, ne sont pas déjà faites. Ce sont des " prises
de vue ". L'expression consacrée renvoie à la capture;
ce sont des prises ... " à mes yeux ". Cette autre
locution adjointe signale le piège d'une appropriation du visible
par l'appareil photographique : les images me captent à leur
tour. Et ces photos font ainsi les évènements de mon histoire
subjective autant si ce n'est plus qu'elles ne les rappellent. Voulant
accentuer cet effet mémoratif de la photo, je la combine à
la gravure par la photogravure. La gravure apparaît en effet comme
la technique privilégiée de la mémoire historique
: ce qui fait date est gravé et vice versa. Le choix des matériaux
les plus durs et les mieux à l'abri de la détérioration
prend alors de l'importance. Multiplier une image qui n'a d'intérêt
que pour l'album de famille c'est la montrer comme telle, poussée
de fièvre narcissique qui fait des conserves.
Attachée à les bien faire, elle sacrifie alors entièrement
au protocole institué. Et, de ce fait, croyant saisir le personnel,
ce qui m'appartient en propre, je réalise ce qu'il y a de plus
impersonnel, de plus stéréotypé. Inversement, en
choisissant une image de base impersonnelle, celle de Pinocchio de Walt
Disney, je me l'approprie indépendamment de son découpage
et de son collage par le simple fait de sa reproduction. Même
si j'utilise un procédé dit " mécanique "
- à moins de disposer d'un double - je ne peux en effet réduire
la différence qui me sépare du mode de production dominant
au point de réaliser une parfaite duplication. Autrement dit,
quand bien même je le voudrais, je ne peux contrefaire totalement.
Par analogie avec la conversation, la production artistique (beaux-arts
et " lézards " confondus) s'inscrit dans un échange
où la question de l'auteur n'a lieu d'être que par ses
manifestations extrémistes de paranoïa ou de schizophrénie.
Si, dans l'entretien, celui qui parle, l'interlocuteur, se situe entre
les locuteurs, celui qui agit est dans une entreprise dont il n'est
toujours que le collaborateur.
Combiner des morceaux réalisés par d'autres, c'est vouloir
affirmer combien ils sont présents dans l'ouvrage. Le mythe de
l'originalité dont parle G. Lascault a le bricolage en aversion
et " l'authenticité " veut ignorer le simulacre - en
est-elle un qui s'ignore ?
C'est pourquoi mon attention se porte aussi bien sur
les emprunts dont je me suis servi consciemment (le rapport à
l'image typographiée de Lichtenstein, les interpénétrations
d'images d'Adami, les " shaped canvas " et la série
des oiseaux exotiques de Stella et ceux déjà mentionnés
ou à mentionner plus loin) que sur ceux qui me sont révélés
rétrospectivement. Ceci m'amène à suspecter les
" parentés " que je découvre après coup
et à les considérer comme des emprunts bien souvent.
Tels ces " benches " de tom Philipps que j'ai rapproché
tardivement de " Laket hé én TU-rall " en regardant
une reproduction que j'avais déjà vue dans un moment d'attention
distraite (non de distraction) dont je ne me souviens pas.
Tels ces " assemblages " de Dominique Gauthier combinant des
fragments de tulle et de toiles peintes travaillées séparément.
Tels ces reports de fragments de peinture, taillés en forme,
puis arrachés par la tarlatane encollée.
Telle, la pratique de J.Y. Langlois jouant de la rencontre de la gravure
et de la peinture.
Telles ces toiles brûlées et lacérées de
Joan Miro en exibant la peinture comme " pansement du vide "
que révèle René Passeron et qui rejoint ici la
pratique du " trou et de l'écran " de la sérigraphie.
Tels ces fragments de cadre de fenêtres par lesquels Pierre Buraglio
abolit en même temps " la fenêtre sur le monde "
(M. Pleynet), tels ses assemblagres agrafages qui montrent ce qu'ils
camouflent.
Tels ces châssis qui n'en sont pas de Daniel Dezeuze, l' "hourloupe
" sans fin de Dubuffet, les drippings surt plexiglas par-dessus
des matières diverses de Pollock, ces " ré "vélations
" de Malaval proches des métamorphoses par la couleur de
Jasper Johns, cette collaboration de Dotremont et d'Alechinsky.
Ceci m'amène aussi à une particulière attention
aux rencontres que je rapporte à mon travail; Paolo Gioli et
ses interférences de la photo et de la sérigraphie, Curt
Asker et le rapport au vide de ses structures volantes et ce bloc de
terre projetée, accrochée au grillage, qu'elles aient
lieu par analyse ou interprétation.
Est-ce à dire qu'en traquant le fantôme
de l'Autre par ce qui en serait les fragments, la production ne vise
qu'à éponger sa dette ?
Le degré variable d'intégration des fragments, qu'ils
apparaissent nettement rapportés par leur registre formel (comme
dans cette oeuvre de Enrico Baj, " Adam et Eve chassés du
paradis ") ou qu'ils s'intègrent subrepticement au plagiage
comme dans ce faux tableau imitant Gauguin, n'oppose pas seulement la
parodie au pastiche : c'est pourquoi ils sont bien mal avisés
les dénonciateurs zélés qui ont instruit le procès
d'Ingres pour le présenter comme " pilleur d'images "
(24). La provenance du fragment identifié,
il reste encore l'intervention de celui qui s'en est emparé :
qu'elle soit banale ou " originale ", qu'elle appartienne
aux médias de l'information ou au milieu des beaux-arts, la question
de l'invention est déplacée et ne porte pas sur la fabrication
de l'image mais sur la façon dont les fragments sont transformés
en eux-mêmes ou par leur assemblage. La manière de combiner
les apports ou d'en articuler un à sa " propre " production
est à elle seule un problème.
" Laket hé én TU-rall ", p. 29, 31, peut être
apparenté aux " benches " de Tom Phillips mais les
trois toiles assemblées puis peintes " en forme " peuvent
l'être aussi aux " shapeds canvas " de Stella. Si j'utilise
en effet une image publique - Tom Phillips utilise une carte postale
- pour en déduire des bandes colorées égales en
nombre aux couleurs répertoriées, aucun texte n'y est
adjoint et les bandes se conforment pour la plupart au format jusqu'à
la tranche y comprise : il s'agit de peindre un objet. Le travail à
faire est défini par la rencontre des fragments assemblés
avec ces bandes de couleurs - un troisième emprunt intervient
donc par ce marouflage de fragments d'images; Alechinsky n'est pas loin.
La couleur, opaque, dans son rapport au réseau sert de masque
révélateur : elle dégage ainsi et d'abord par le
jeu des douze bandes parallèles, douze fragments de lignes, en
les différenciant au maximum. Retour de l'image sur elle-même
par sa couleur revue et corrigée en sa surface par le format.
Puis, elle s'interrompt à la lisière-diagonale qui la
sépare du réseau linéaire des cernes enchaînés.
Le troisième moment est une traversée en demi-masque.
Les trois formats délimitent de cette façon trois lieux
de théâtre où se joue à chaque fois un évènement
différent noué comme une rencontre renouvelée par
le format de deux composantes de l'image : la couleur et le dessin.
J'ai déjà signalé combien une certaine négativité
pouvait être à l'origine de cette production; c'est encore
elle à mon sens qui me fait sortir des " beaux-arts "
- quitte à y revenir - pour aller vers les " arts et métiers
" (25).
Certes tous mes emprunts aux arts plastiques ne sont
pas en même temps redevables à d'autres métiers
par un principe technologique commun; mais c'est la référence
à cette raison technologique échappant au sujet qui suscite
mon intérêt pour les démarches qui affirment le
décentrement du sujet : Sol Levitt, Jasper Johns, Tom Phillips,
J.F. Dubreuil opèrent le retour sur la condition même de
l'opérateur qui s'efface par l'observance d'une règle
de production choisie, le développement du cube ou un nombre
de couleurs et de produits liés à la forme d'un chiffre
ou aux couleurs d'une carte postale, un code de transcription des unes
de journaux. c'est d'un parti pris qu'il est question alors. Et si les
" Jeux graves " de G. Dupuis ont soutenu le déblocage
des articulations du rapport imprimant-imprimé, figé par
une pratique " de métier ", " l'invention en gravure
" (26) les complète en l'ouvrant par
la référence aux trois principes du " creux et du
relief ", du " trou et de l'écran ", du "
passage ". Principes technologiques incorporés tant aux
produits qu'au matériel, par une analyse implicite doublant les
intentions du sujet - l'opérateur fait toujours autre chose que
ce qu'il croit faire - qui réaffirment autrement le décentrement
du sujet. Enfin, par la même attention à la raison technique
que la raison ne connait pas, deux autres démarches théoriques
confrontent ici leur questionnement : " la théorie de la
médiation " (27) et " la poïétique
" (28).
Les emprunts effectués ignorent donc aussi la frontière
théorie pratique, vécue trop souvent comme une coupure,
voire une antinomie que soutient le partage social du travail entre
les métiers de praticiens-plasticiens d'une part et de leur porte-paroles
d'autre part .
A ce stade, la question de l'auteur s'estompe; elle amorce celle de
l'échange qui pose deux problèmes : celui de savoir comment
l'identité est vécue et celui de la productivité
de l'échange lui-même.
4 - LA " CRISE " DE L'IDENTITE
Parmi les emprunts signalés ou suspectés,
une distinction s'impose entre un emprunt-cible et des emprunts-flèches
puisqu'en somme, l'appropriation de l'image - emprunt-cible - que réalisent
les découpages, la reproduction et l'assemblage s'appuie sur
des pratiques autres - emprunts-flèches - qui ont en commun de
contribuer à l'émancipation de ma conduite. La mise en
pièces de l'image idéologique de l'obéissance -
ce Pinocchio de Walt Disney à la démarche de canard -
s'effectue avec l'aide, le support d'autrui par l'entremise de son oeuvre
dont les enseignements sont fonction du problème que je me pose,
ce qui assure ma différence.
Les exemples de monstres signalés par Claude Roy et Gilbert Lascault
ne sont pas tous des assemblages compliqués d'emprunts tous azimuts.
Ils n'affichent pas tous et de la même manière leur référence
à l'autre et à autrui même si la personne y est
également mise en oeuvre.
Parmi les oeuvres reproduites par Claude Roy et citées
plus haut, les armoiries d'Albrecht Dürer sont comme une exception;
elles signalent clairement en tant qu'armoiries soumises à un
régime juridique contrôlé l'appartenance à
la chevalerie, la noblesse militaire, le casque est là pour l'établir.
Mais en tant qu'armoirie particulière, l'écu à
la tête de mort contre-balance singulièrement cette monstration
de statut social. Albrecht Dürer s'est approprié le système
commun des armoiries en opposant les armes extérieures aux armes
intérieures, leurs deux parties principales. Ce rôle des
armoiries de signal du classement social, quelque peu dévié
ici ne se retrouve pas s'agissant des autres oeuvres citées.
Pour les rejoindre, il faut parler du protocole qui règle l'héraldique.
Dans la pratique modèle, l'écu porte des " pièces
honorables " et exhibe les deux lignages; l'image sociale du quidam
est déjà là par deux insignes antérieures
à son vécu et qu'il ne fait que " marier ".
Un nouveau motif se compose par la réunion des motifs antérieurs
donnés par hérédité et par mariage. L'image
est donc reçue d'autrui qu'elle célèbre par reconnaissance
de dette et de l'autre qui contribue à confirmer le classement
antérieur. A ces motifs s'ajoutent des éléments
liés à d'autres procédures d'alliance : on concède
son insigne en reconnaissance d'une aide militaire à qui juge
bon de s'en honorer.
Si l'on rapporte maintenant cette pratique à son principe fondateur
de classement et de dette, on est amené à l'actualiser.
Dès lors, les cartes d' identité et de visite, le registre
d'état civil et ses fiches, les badges et les macarons, les marques
commerciales rejoignent les armoiries. Ajoutons-y ces maillots des vedettes
du football déchirés par leurs supporters, ces boutons
arrachés par lesquels la gloire de l'autre se distribue et se
dispute. Ces insignes et il y en a bien d'autres, ont suscité
bon nombre d'objets du Pop'art où se dessinent et se peignent
l'importance et la parodie de ces images montrant l'appartenance sociale.
Ainsi, la remarque de Laurence Alloway concernant la pratique de Mel
Ramos (29) : " la technique artistique ondoie
à travers le schéma héraldique ", peut s'étendre
à bien d'autres productions du Pop'art.
Citons :
John Wesley " Plaque pour un petit poste de la Légion "
1962. - huile sur toile, 76 x 76 cm
Richard Lindner " Ice " 1966. - 177,8 x 152,4 cm
Robert Rauschenberg " Plan Coca Cola " 1958, Construction,
68,5 x 66 cm
Robert Indiana " The American dream " 1961, 180,5 X 150,5
cm
Ray Donarski " Lions International " l964, Huile sur deux
toiles, 99 x 127 cm
Phillip Hefferton " La Lignée " l962, huile sur toile,
150,5 11 120,5 cm
Peter Phillips " Tribal 1 x 4 " 1962, 107 x 99 cm.
Enfin, l'autoportrait de Peter Blake, 1961, 175 x121 cm, que je retiens
pour être porteur tant du schéma héraldique que
d'un " décentrement " de la personne - à mettre
en parallèle avec " Drum majorette " 1957, 64 x 64
cm -
Ce dernier travail met la représentation du visage en concurrence
avec celle d'un soulier de type " basket ", la couverture
de ce qui pourrait être une biographie d'Elvis Presley, un blason,
emblème des Etats-Unis, une série de badges et un vêtement
" modèle courant " dont certaines parties comme le
revers du bas de pantalon sont très détaillées.
" L'équipage " en quelque sorte prend le dessus sur
le visage. Et parmi " l'équipage " un autre portrait
prédomine, celui d'Elvis Presley deux fois répété
(la deuxième fois en badge). En se reportant à l'analyse
du " portrait " (déjà citée) de Ph. Bruneau,
un point est ici mis en évidence :
" Si chacun n'a pas son portrait, ce n'est pas seulement faute
d'en avoir les moyens pécuniaires ni d'y trouver plaisir, c'est
largement faute d'y avoir droit ".
Si l'image d'Elvis Presley n'étant pas prescrite comme la photographie
d'identité relève du portrait, celle de Peter Blake revendique
ce droit au portrait avec de l'ironie. La surcharge insolite de badges,
d'emblèmes et de blasons, la mise en valeur d'une chaussure que
des milliers de gens identifient à la " basket " qu'ils
portent, de même pour le vêtement, tous ces éléments
concourent pour dresser le contrat, affabulé ou non, d'appartenance
à " l'américain moyen ".
Ce portrait est donc multiple au sens où (l'entend Ph. Bruneau)
une multitude de personnes s'y disputent la place du sujet représenté.
Il est de ce point de vue, proche des portraits morcelés où
la représentation du visage du portraituré s'insère
dans l'image d'un sujet pour fabriquer une fiction en contradiction
avec la condition sociale de ce protraituré (ce sont les images
de prédilection des magazines satiriques).
Et de proche en proche, prêter un corps animal à un sujet
humain, ainsi que
le réalisent bon nombre d'oeuvres citées par Cl. Roy,
c'est mettre en doute son appartenance à l'espèce et mettre
en évidence la personne en tant qu'elle ne coïncide pas
avec l'individualité biologique. Une telle pratique systématisée
en un livre aux feuilles fragmentées fait l'attrait du recueil
pour enfants d'Helen 0xenbury (30). Se fabriquent
ainsi dans le " Péle-mêle ", des personnages
interchangeables.
Au fil des pages de " l'Histoire de la peinture surréaliste
" - René Passeron (31) - et avec 1e Dadaïsme,
on rencontre maints fragments avec des degrés d'intégration
divers qui vont de 1a juxtaposition en rupture ou en continuité
- et ce principe a un rendement élevé en ce qui concerne
les oeuvres de René Magritte précédemment étudiées
dans un mémoire de D.E.A. - jusqu'à 1a présence
moins ou plus discrète d'une double image, comme le " Marché
d'esclaves avec le buste invisible de Voltaire " de Salvador Dali.
L'auteur n'est pas remis en cause à chaque
fois par ces fragments, - et à cet égard, si les "
cadavres exquis " font valoir l'être ensemble pour ses potentialités
imaginaires, ils ne font que juxtaposer des productions puisque tel
opérateur ignore ce qui a été fait et ce qui se
fera, et qu'ainsi aucun échange n'est possible. Il est tentant
de conclure qu'ils n'ont pas le caractère de " création
collective ",- que signifie ce terme dès lors que l'individuel
en science n'est objet que pour la biologie?- mais si l'oeuvre comporte
par eux l'autre configuré, on peut s'attendre à ce qu'il
ne soit pas seulement représenté et qu'il agisse à
la place de l'opérateur (le fragment n'étant que l'index
du rapport à l'autre et à autrui).
L'image de l'autre peut encore revêtir d'autres apparences qui
engagent l'emprunteur imagier.
La pratique des masques en offre un exemple, qu'il se porte ou se peigne
(maquillage). Cantonné au visage, il réalise un morcellement
du sujet et soumet ses mouvements aux apparences qu'il propose, aux
volontés qu'il affiche, aux rôles qu'il suggère
et aux modes d'emploi techniques qu'il permet. Les masques sont aussi
la coiffure; les lunettes; le chapeau, la cigarette, le foulard ou le
décolleté avant d'être celui que l'expression physionomique
montre. Ceux d'Urs Lüthi montrent et démontrent que le masque
est constitutif de la personne - par delà l'identité du
sujet et que le stéréotype guette le singulier, le tournant
en dérision : " You are not the only who is lonly "
(vous n'êtes pas le seul à être seul) (32).
L'image de l'autre ne préjuge en rien de l'attitude
de l'artiste qui peut aussi bien se faire l'écho de la pratique
d'un tiers - jusqu'à se confondre pathologiquement avec lui -
ou à l'opposé, prendre le contre-pied systématique
jusqu'à la divergence absolue où l'autre n'existe pas
.
La suggestion est d'autant plus opérante et le tiers s'immiscie
d'autant plus qu'elle s'accomplit à son bénéfice;
il devient le complice de l'acte avec une conscience à la limite
plus claire que son " auteur " présumé.
On est proche de ce versant pathologique de la personne avec l'analyse
de Viviane Forestier, " Van Gogh ou l'enterrement dans les blés
" (33). Deux coauteurs " y accompagnent
Van Gogh : " un autre frère, cet homonywe inaperçu,
ce disparu qui apparaît cependant dans certaines toiles sous forme
d'ailes, d'initiales au-dessus des paysages forclos " et puis Théo
: " les cieux frères (Vincent et Théo) peu à
peu se découvriront au sein d'une oeuvre que l'un donne, que
l'autre reçoit, tandis que celui-ci fournit de quoi la poursuivre
et que dans ces échanges on ne saura plus qui prend, ni qui offre,
ni tout à fait qui peint ".
" Biographie ", cette analyse n'en est une que si elle tend
à singulariser Vincent Van Gogh, à en faire un cas non
détachable de circonstances particulières. Si maintenant
on abandonne le biologisme qui consiste à confondre le sujet
biologique et la personne qui oscille entre des " usurpations d'identité
", des simulations et des originalités négatrices
de tout autre, la notion d'auteur se pulvérise. Et avec elle
disparaît celle du corps assimilé à l'individu physiquement
limité. S'y substitue un processus qui organise la condition
humaine par une dialectique de la divergence et de la convergence doublée
d'une différence et d'une dette (34).
Les références faites à l'héraldique et
aux guillemets de la peinture endettée, au portrait et au masque
se soutiennent du principe que ces réalités partagent
: la division du sujet. Ce décentrement apporté par les
analyses freudienne - latent / manifeste - et Lacanienne - l'Autre -
ruine les prétentions de l'auteur en éclairant sa notion.
Si ma pratique peut évoquer la question de l'auteur c'est qu'elle
est jalonnée de multiples emprunts dont l'hétérogénéité
les rend suspects de simulation. Mais si toute pratique comporte du
travail " mâché " par d'autres, l'emprunt
peut être vécu selon plusieurs modes :
· Il peut être l'effet d'un conditionnement par l'autre
tel qu'il n'est simplement qu'une conduite en écho, calquée
sur celle de l'influent. Le passage à la limite étant
l'effet caméléon mis en scène par Woody Allen dans
" Zellig " et pathologiquement la paranoïa - (écho).
· Il peut servir à autoriser une pratique, à cautionner
une conduite qui a besoin du support de l'autre telle que l'hommage,
la citation mais aussi le calembourg, le détournement d'image
qui manifestent une contre-dépendance, un soutien nécessaire.
· Il peut servir à tromper un tiers dans les deux sens
: soit que l'on veuille faire croire à une attribution - cas
de " faux tableau " - soit que
l'on veuille s'en attribuer l'invention - cas de l'enfant, qui a la
conscience de tricher en décalquant - (contre-façon).
· Il peut, d'une façon tout à fait différente,
apporter une solution à une problématique à laquelle
il était étranger.
Il est tentant d'assimiler cette dernière attitude à de
l'authenticité légitimant l'appellation d'auteur. Mais
cette fonction n'exclut pas celle de soutien déjà mentionnée.
Si l'on adopte maintenant l'analyse de décentrement du sujet
introduite par Freud, la question n'est plus de définir l'auteur.
La question de l'auteur n'est posée que par une façon
de vivre son identité par la recherche aiguë de la divergence
par l'aversion de l'endettement et la proclamation de sa différence.
L'originalité désigne autrement cette tendance de la personne
à vouloir " s'originer " (sic Lacan). Et l'authenticité
légitime cette recherche de l'être - non pas pour "
retrouver ses origines " comme avec l'héraldique - tentative
vouée à l'échec comme le signalent ces dessins
de Steinberg où les pseudo-cachets, signatures et contre-signatures
sont les aveux parodiés de l'impuissance à être
authentique. Le dessin à lui seul n'atteste pas l'authenticité,
un tiers témoin est toujours requis. La compréhension
d'une oeuvre a'appuie sur d'autres auxquelles elle a'apparente et les
actes que l'on fait en ont tenu compte pour se faire valoir. Le simulacre
est au coeur de cette procédure qui vise à authentifier
un acte - seulement vrai par le certificat d'un autre - l'authentique
se confond avec l'authentification. La condition d'auteur est ainsi
malheureuse puisqu'elle doit pour s'affirmer, chasser ceux-là
mêmes qui cautionnent l'authenticité de sa conduite. Il
a les échanges en aversion par crainte de l'endettement et cependant
il n'existe pas en dehors d'eux. Il a de plus une conscience aiguë
de son intégrité. Il est saisi de l'angoisse du corps
morcelé pour a'être identifié à son oeuvre.
Et sa réalité est quotidienne; cette façon de vivre
transparaît dans les expressions consacrées du type : "
il se cherche ", " être ailleurs ", " être
dans la lune ", " avoir la tête en l'air ", "
il m'a mis hors de moi ", " être à côté
de ses pompes " - et dans les pleurs de l'enfant qui est tombé
sans se faire mal, dans le côté toujours un peu ridicule
du fait de tomber - que l'homme ne partage pas avec l'animal - qui marque
notre division en màme temps que notre impuissance puisqu'il
atteste que le sujet humain, perdant l'équilibre, peut croire
que son corps est ailleurs,que là où il est. Sauf l'enfant
autistique qui, n'ayant pas accéder à l'humain, ne tombe
pas.
Mais pour que l'auteur mette par son oeuvre, son identité
en question, encore faut-il qu'il s'identifie à elle. Cette condition
n'est pas exceptionnelle, le plaisir narcissique n'a pas besoin d'être
cultivé pour être.
Bien des conduites présentent les indices d'une identification
:
· Tel cet auto-portrait de R. Lichtenstein, photographie réaliste
que masque une figure typographiée.
· Telle Mael, trois ans, qui utilise un assemblage de châssis,
le parcourant comme un appartement, s'emparant des cloisonnements pour
en faire des chambres à ses poupées.
· Tels ces " Rêves à la Cocteau " qui
recherchent les points de jonction avec la réalité par
ces deux personnages faisant à moitié corps avec le plan
de la représentation de leur autre moitié.
· Tel encore - mais par la métaphore, cette fois - l'hommage
rendu à Chirico par ce collage de Cieslevich qui inclut dans
l'oeuvre le portrait de son auteur.
Relier son sort au sort de son oeuvre peut aller jusqu'à
la confusion du corps biologique avec ce qui en devient alors une extension,
comme une prothèse, n'est pas une attitude rare. Le régime
juridique français de la propriété artistique en
comporte bien des indices - qui ne peuvent logiquement se justifier
que du principe de " l'intégrité de la personne humaine
" tant les prérogatives de l'auteur sont exorbitantes du
droit commun de la propriété (35).
On ne peut saisir le fondement de ce statut que si l'on abandonne l'idée
du corps biologique, c'est-à-dire cette idée que le corps
s'arrête aux frontières définies par notre individualité
physique. Sinon, comment rendre compte de ce droit moral que comporte
ce régime de la propriété artistique ?
L'article 6 de la loi du 11 mars 1957 qui régit la propriété
littéraire et artistique définit ce droit comne perpétuel,
imprescriptible et inaliénable et comme un droit de la personnalité.
" Perpétuel ", cela signifie que le droit moral peut
être exercé après la mort de " l'auteur ".
Ce détachement de la personnalité " juridique "
par rapport à l'individualité biologique n'est pas loin
de celui qu'opère la théorie de la personne par rapport
au sujet; il y a là comme l'indice de la personne qui ne cesse
de contester le sujet biologique (cf. p, 15). Et ce ne sont pas seulement
les frontières de la vie qui sont ainsi contestées mais
aussi l'impossibilité physique d'être ici et ailleurs en
même temps :
· d'une part, la protection juridique de l'oeuvre s'aligne sur
l'autre principe juridique de l'intégrité de la personne
humaine en accordant à " l'auteur " le droit au respect
de son oeuvre c'est-à-dire, la faculté de veiller à
ce que son oeuvre, après divulgation au public, ne soit pas "
dénaturée ou mutilée " - notons au passage
comment les deux sens acceptés de " mutilation ", ici,
se rejoignent; le " Larousse Universel ", édition 1949,
la définit ainsi : " retranchement d'un membre ou de quelqu'autre
partie du corps. Retranchement d'une ou de plusieurs parties d'une oeuvre
d'art, d'un texte : mutilation d'une statue. Suppression de parties
essentielles : la mutilation de la vérité. - Il y a là
les prémisses d'une identification de l'oeuvre à son "
auteur ";
· d'autre part, " l'auteur a seul le droit d'autoriser la
communication de son oeuvre au public et d'en fixer comme il l'entend,
les modalités de divulgation " (art.15, L. 11mars 1957).
En sachant que le droit à la " paternité " de
l'oeuvre permet à " l'auteur " d'exiger la mention
de son nom sur l'oeuvre et tous documents la mentionnant, c'est une
sorte d'ubiquité qui est ainsi permise.
Le bénéfice de cette condition d'auteur qui permet cette
survie et cette " télé-présence " est
subordonnée à une chose, l'oeuvre, et à son "
originalité ":
L'alinéa 1er de l'article 5 de la loi du 11 mars 1957 pose le
principe que " le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors
qu'il présente un caractère original, est protégé
par le droit d'auteur ".
Faire de l'originalité le critère de l'oeuvre d'esprit,
c'est marquer la
condition de l'identité reconnue, (différente de l'identité
obligatoire découlant par exemple du registre d'état civil)
qui ne " s'origine " que par l'oeuvre et une certaine oeuvre.
La propriété artistique, parce qu'elle revendique l'originalité,
l'appartenance en propre de la nouveauté, apparaît donc
comme le désaveu de l'emprunt : négation du père,
n'acceptant qu'une seule paternité, elle nie la dette en son
principe. La logique de la loi du 11 mars 1957 veut en effet que si
l'on n'est pas auteur, on est ",imitateur voire " contrefacteur
". L'alternativie ainsi posée ne suspecte aucun échange;
elle attribue la novation au pouvoir de " l'individu " lui
seul. Or quotidiennement, et de la même façon que l'idiomatisation
de la langue place chacun de nous en situation de traduction créant
de " la pensée sans penseur " (36),
la particularisation de l'activité, son aspect vernaculaire,
nous oblige à réadapter notre conduite et à détourner
les modes d'emploi prévus par les constructeurs. L'échange
est de ce fait au coeur de toute activité, fût-elle la
plus originale et la plus " personnelle " - il ne cesse culturellement
que par schizophrénie ou paranoïa.
Dans ces conditions, comment comprendre " la propriété
artistique ", telle que l'organise le régime juridique français,
sinon comme une tentative d'appropriation de l'origine même de
l'oeuvre; l'identité de " l'auteur " en dépend.
D'où l'importance donnée à la signature qui marque
cette propriété. La parodie qu'en ont fait Rauschenberg
et Oldenburg la souligne; importance telle qu'elle peut concurrencer
l'oeuvre elle-même jusqu'à la remplacer ... par "
Ben ". Importance combattue par tous ceux qui, depuis les manifestes
de " Support-Surface ", feignent de l'ignorer. Et lorsque
la signature est apposée, ce fragment de surface se détache
de l'oeuvre tout en proclamant son rattachement. Acte contradictoire,
il fait irruption dans l'espace même de l'oeuvre ou bien s'y mêle
avec discrétion, s'y conformant pour se faire oublier. Parasite
ou vécue comme tel, c'est une trace qui trouve sa justification
ailleurs que dans l'oeuvre elle-même.
Une exception le révèle, une aquarelle de Paul Klee, "
jadis surgi du gris de la nuit ... ", où les bords dialoguent
avec le dedans pour montrer leur rupture (37) : 1a
signature, 1a date, 1e numéro partagent avec 1e titre 1a même
écriture cursive; ils encadrent l'aquarelle qui reprend exclusivement
le titre de l'oeuvre. Ce titre est cette fois-ci écrit en capitales,
mais il faut une longue attention pour le lire car les lettres soudées
délimitent dans leur espace des zones de couleurs variées
qui contrarient la formation des mots. L'opposition est flagrante entre
la liberté prise dans l'aquarelle et l'application consciencieuse
qui se lit sur les bords, la luxuriance du dedans accentue la pauvreté
des bords et tourne en dérision, les appendices qui les occupent
: titre, date, numéro et signature.
La signature va de paire avec le détachement, jugé insupportable,
de l'oeuvre par rapport à l'artiste. Elle intervient, en effet,
au moment où il va exposer, où il va s'en séparer.
Il est concevable qu'elle opère alors comme une compensation
en le rattachant symboliquement à l'oeuvre qui précisément
lui échappe.
Cette recherche de l'originalité doublée d'une identification
est dangereuse; car, dans l'aveuglement qui la constitue, elle ne sait
séparer ce qui revient à l'oeuvre de la destinée
de la personne, mettant à son propre compte ce qui n'est que
le produit d'une technique, l'assimilant à " son "
style, son autographe. Par crainte de lui devoir son programme, ses
intentions, l'auteur a aussi la technique en aversion bien qu'il la
cultive. Et il ne la reconnaît qu'appropriée sans savoir
qu'elle l'approprie.
A ce stade, un retour à ma pratique est utile.
Il apparaît que l'appropriation de l'image de Pinocchio se réalise
par certaines opérations qui en apportent plus que l'apport lui-même.
Autrement dit, je dois autant aux opérations techniques qui réalisent
l'extraction du fragment d'image qu'aux autres qui hantent sa manipulation.
Ainsi, c'est par les procédés de reproduction autant que
par l'effet reproduit que la face cachée de l'écran vint
à jouer un rôle actif de planche à monotypes. De
la même façon la distinction surgit entre la séparation
en deux de la couche d'encre dans l'impression à partir d'une
planche, ce passage dont parle G. Dupuis et le report intégral
du film qui me fit voir une face cachée.
· c'est par l'agrandissement de l'image que le détail
s'impose et que s'oublie l'ensemble,
· c'est par le découpage que je choisis et élimine,
· c'est par l'assemblage de deux pièces, deux morceaux
d'image que se compose une troisième image,
· c'est par la peinture couvrante que son film devient cache
et pochoir.
" Un emprunt peut en cacher un autre "
C'est bien aux antipodes de l'aversion de l'échange et de la
technique qu'il est utile de placer maintenant l'analyse.
B - L'ÉLOGE DE L'ECHANGE ET SES MODALITES
L'éloge de l'échange artistique n'est
plus à faire, J. Laude, G. Lascault, A. Leroi-Gourhan s'y sont
employée chacun à leur manière. Mais c'est surtout
J. Laude (38) qui la détaille dans les problématiques
posées essentiellement par G. Braque, J. Gris, Picasso et Matisse
dans leur confrontation à l'art nègre par les fragments
venus d'ailleurs.
L'étude de J. Laude se situe au coeur d'un problème de
communication ou de convergence. Elle est mentionnée après
" la question de l'auteur " qui insistait sur le processus
opposé de divergence (bien qu'il n'en soit pas exclusivement
question).
Alors que l'analyse de M. Dufrenne et de J. Cassou tend à conférer
à " l'art " une portée universelle, par delà
la divergence ethnique, J. Laude ne lui attribue qu'une " signification
et une fonction relatives " ; il met l'accent sur le rôle
actif des échanges qui réalisent un " transfert de
signification et de fonction ". Le processus qui conduit à
" l'Art " n'est pas à dissocier de celui qui privilégie
les échanges qui s'établissent malgré les différences.
C'est qu'en effet, la communication est visée par ces deux attitudes
par deux voies opposées :
· l'une tend à homogénéiser artificiellement
l'univers des activités humaines en les alignant implicitement
sur le standard de " l'art "occidental,
· l'autre tend à résoudre les obstacles à
la communication par une perspective de traduction, d'interférences.
Et il en est une autre encore, que l'activité des beaux-arts
met souvent en évidence : la célébration de la
communication; dans cette perspective, les beaux-arts sont les moyens
d'une fête qui tend à abolir la question des divergences
en ne connaissant que des participants.
C'est sous le nom d'emprunt que J. Laude désigne encore le "
transfert de signification et de fonction ". En en considérant
sa valeur, il distingue deux types (38) :
· l'emprunt exotique; " l'art nègre est pris comme
source exotique ", il se manifeste par l'utilisation explicite
d'un élément iconographique,
· l'emprunt plastique, l'art nègre " est pris comme
référence plastique ", (...) cette fois il agit non
pas en tant qu'exemple d'art sauvage ou primitif mais, avec les caractères
propres qui lui sont alors reconnus, en tant qu'art africain "
...
Notons que le premier type procède plutôt de l'homogénéisation.
Quoiqu'il en soit, s'il fallait rendre compte d'un échange par
les oeuvres " d'art ", entre ces deux lieux, il faudrait l'envisager
dans les deux sens - ce qui développerait l'analyse de l'implantation
des musées en Afrique, par exemple, ou celle de l'utilisation
des verroteries et autres objets de traite, ou encore celle de l'appréhension
de la photographie par ceux qui la découvrent.
Par ailleurs, les différents vocables utilisés tour à
tour en synonymie:
· p. 19, " interprétation " - " classifixation
des interprétations de l'art nègre "
· p. 13, " influence " - " qu'entend-on par influence
? "
· P. 9, " emprunt " - " le mécanisme de
l'emprunt ou de l'influence "
· P. 27, " transfert " - " le mécanisme
des transferts ",
marquent bien la complexité de la relation qui peut être
qualifiée d'échange, par souci de son caractère
bilatéral. C'est qu'en effet, le transfert matériel d'un
objet concret s'inscrit dans un échange à la fois d'information
(collections, musées, " souvenirs ", etc...) et artistique,
car il va donner lieu à une production par son utilisation directe
(comme ces miroirs incorporés aux statuettes) ou indirecte (reproductions
intégrales ou partielles, transpositions par des procédés
techniques différents, confrontations à d'autres pratiques).
Ensuite, l'étude de J. Laude restreint son objet à l'échange
par delà une frontière de pays à pays. Ce n'est
là qu'une coordonnée de l'échange qui est non seulement
" diatopique " (39) mais, " diachronique
" - ce dont il traite d'ailleurs marginalement quand il envisage
la sculpture de Picasso, " Les Demoiselles d'Avignon " et
le " Portrait de Gertrude Stein " dans leurs relations avec
l'ancien " art " ibérique reprenant en cela l'étude
de John Golding (40) et aussi lorsqu'il aborde la
" leçon cézanienne " pour mesurer sa part dans
la pratique de Picasso, Braque et Juan Gris (41)
- et aussi " diastratique " - il le suspecte d'ailleurs dans
son commentaire de " La nature morte à la chaise cannée
", p. 368 : " l'idée d'entourer sa nature morte d'une
corde est peut-être venue à Picasso à la vue de
certains " chromos " (de format et de dimension identiques)
que, même encore aujourd'hui, l'on peut trouver dans les bazars
ou les boutiques de souvenirs " et dans son analyse du collage
où il rapporte que " sur les gravures de mode de certains
journaux féminins, dans les dernières années du
XIXe siècle, (notamment, le " Journal des Dames et des Demoiselles
") était parfois collé un morceau d'étoffe
découpé à la forme de la robe présentée;
ce morceau d'étoffe donnait aux lectrices à la fois la
couleur et la matière du tissu " (p. 370).
Certes, l'ambition de J. Laude n'était pas d'élaborer
une théorie sociologique de l'échange, mais de repérer
et de montrer les effets de son dynamisme dans la production plastique.
Pour ce qui concerne ma pratique, l'échange
diastratique correspond à cette sortie, déjà évoquée,
des " beaux-arts " vers " les arts et métiers
".
" Sortir ", non pas dans le sens uniquement matériel
du déplacement, mais dans celui du voyage qui me place dans l'obligation
d'interpréter une autre technologie et une autre problématique
du mode d'emploi. C'est le principe technologique lui-même, ignorant
les frontières sociales de la division du travail en métiers
qui m'amène à organiser la rencontre de deux activités
éloignées par leur finalité - qu'elles appartiennent
à un autre pays, une autre époque ou un autre milieu.
Parmi les incitations au voyage, la technique tient ici une première
place: c'est " le principe de l'écran et du trou "(42)
qui provoque lui-même le rendez-vous de tous les tissus ajourés,
de toutes les cartes pqrforées, de tous les pochoirs et de tous
les caches.
De cette façon, la photographie - où la lumière
passe ou ne passe pas - rejoint, non seulement les rideaux d'appartement,
mais aussi l'orgue de barbarie où l'air passe ou ne passe pas.
La " méthode indirecte " de la sérigraphie "
professionnelle ", les décalcomanies et les rubans de tulle
peints se rangent aux côtés des reports de peinture sur
tarlatane de Ch. Bonnefoi.
1 - LA FONCTION INVENTIVE DE L'EMPRUNT
La formule peut paraître paradoxale, voire,
être assimilée à une contradiction dans les termes,
puisqu'emprunter peut évoquer un acte qui fait l'économie
de l'invention.
Lorsque A. Leroi-Gourhan aborde ces deux problèmes (43),
dans " Evolution et techniques " publié en 1945, en
des termes qu'il confirme dans la réédition de 1975, il
les traite d'abord successivement, de la page 351 à 376 marquant
leur distinction, pour parvenir finalement à une relative fusion
de leur réalité correspondante, de la page 392 à
395. Examinons plus en détails son cheminement en relevant les
éléments qui rapprochent les deux notions.
Trois points rendent tout d'abord l'invention toujours suspecte d'emprunt
:
1- l'isolement n'existe pas,
" Existe-t-il un seul groupe connu qu'on puisse qualifier à
cour sûr d'isolé ? " (p.351), " (...) le milieu
extérieur (...) crée, dans le milieu intérieur
des troupes, un dosage spécial des éléments techniques
et des associations. Ce dosage, par les effets qu'il imprime au groupe
technique, pourrait donner l'impression de l'isolement du groupe; il
correspond en fait à une spécialisation profonde du milieu
intérieur avec un double jeu de conséquences sur le devenir
ethnique et sur les emprunts " (p. 355), " C'est un peu arbitrairement
qu'on peut isoler le cas d'une invention toute liée au milieu
local. En réalité, de proche en proche, tous les groupes
sont en relation d'échanges " (p. 392).
2- il existe toujours des précurseurs,
" (...) en face de chaque acquisition technique, depuis l'antiquité
les hommes placent le nom d'un inventeur et celui d'un pays. En réalité,
dans la marge historique, figurent aussi toujours les noms de quelques
précurseurs " (p. 377),
3- des éléments préexistent à l'invention,
" une première distinction s'impose dans la composition
du milieu technique au moment où l'invention se matérialise
: les éléments préexistants peuvent avoir une origine
purement locale, agir par de faibles débordements des traditions
techniques; ils peuvent, par contre, pénétrer par emprunt
au moment même de l'invention, agir en étranger sur le
milieu intérieur. La discrimination n'est pas aisée "
(p. 388).
Inversement, trois autres points font apparaître l'emprunt sous
un aspect novateur :
1- l'emprunt s'effectue selon certaines conditions,
" il doit d'abord combler un besoin préexistant, ou mieux
le satisfaire, ou en créer un nouveau qui soit compatible avec
la vie immédiate du groupe; en d'autres termes, l'emprunt doit
rencontrer le milieu favorable dont nous prendrons une vue plus sûre
par l'invention. Lorsqu'il est assimilé, l'objet nous paraît
marqué par deux autres conditions : il a dû subir l'empreinte
personnelle du groupe emprunteur, prendre un " facies " local
et se plier aux exigences des matières premières de son
nouvel habitat " (p. 559), " le simple fait que toutes les
techniques praticables sous tous les climats n'existent pas encore partout
démontre que l'emprunt n'est pas une simple question de présence
d'un objet empruntable dans la zone d'action de n'importe quel groupe
ethnique " (p. 372).
2- l'emprunt est personnalisé,
" les harpons des anciens forestiers (Indiens du kac Athapasca),
la plupart des autres objets qu'ils ont forcément pris aux maritimes
(Eskimo) ont des formes, des profils tout personnels, comme si les forestiers
les avaient apportés sur ces lieux, ce qui est invraisemblable
" (p. ]58), " recevant un couteau de pierre ou une marmite
indienne, dès la première copie, l'Eskimo en fait un objet
eskimo " (p. 360).
3-l'emprunt est adapté,
" Ce qui est important dans l'emprunt, ce n'est pas l'objet qui
entre dans un groupe technijue nouveau, c'est le sort qui lui est fait
par le milieu intérieur " (p. 356),
" De 1890 à 1900, le gouvernement américain a importé
chez les Eskimo d'Alaska des rennes et quelques pasteurs lapons pour
développer l'élevage (.,.) le chien, qui était
avant tout employé au traîneau, se trouve remplacé
par le renne pour les moyens de transport, mais comme le traîneau
lapon n'a pas été importé, c'est le traîneau
à chiens qui s'adapte au nouvel usage. Des modifications sensibles
de sa taille et de sa hauteur découlent de l'adaptation (p. 366).
Son analyse aboutit finalement au constat d'une relative confusion de
l'emprunt et de l'invention :
· p. 379, " Dans l'énorme masse des documents de
l'Histoire, de l'Archéologie et de l'Ethnologie; il en est très
peu dont on possède l'acte de naissance. Lorsqu'on déclare
que le cheval domestique apparaît pour la première fois
en Mésopotamie préhistorique, cela signifie simplement
que le plus ancien document est tiré de ces régions; mais
on a de bonnes raisons pour croire qu'il s'agit d'un emprunt. Il en
est de même lorsqu'il s'agit de la poterie, de la métallurgie,
du tissage ou de l'agriculture " ... " (leur) invention (entre
guillemets dans le texte) est une abstraction mythique qui ne signifie
rien sinon qu'à une chose existante, on suppose un commencement
".
· et p. 394, " Une certaine identité se révèle
par conséquent entre l'invention et l'emprunt ".
À certains moments, l'emprunt lui apparaît même lié
à l'invention :
· p. 395, " il est donc difficile en pratique d'envisager
isolément l'emprunt et l'invention ".
Et dans une relation qui fait parfois de l'emprunt un catalyseur d'inventions
:
· p. 388, " On a établi précédemment
que les groupes, même rustiques, connaissent sans pouvoir les
assimiler une foule de techniques étrangères et il semble
qu'une large part d'emprunt marque l'origine de très nombreuses
inventions locales ".
· et p. 394, " Il est presque normal que le groupe possédant
des éléments préexistants qui n'ont pas encore
trouvé le jeu d'associations favorables tire de l'extérieur
un objet ou une idée qui le conduit à des applications
nouvelles ".
A. Leroi-Gourhan ne prête pas toutefois à l'emprunt une
fonction inventive; la liaison de l'emprunt à l'invention tient
largement, selon lui, à ce qu'on pourrait désigner comme
un état actuel des connaissances (cf. p. 380 et 389). Autrement
dit, ce serait la recherche future qui permettrait de les distinguer
dans les faits.
Son analyse oscille entre ce positivisme qui voudrait que tel fait soit
un emprunt et tel autre une invention et une recherche au travers d'exemples
du processus de l'invention. Pour s'en convaincre, il faut se reporter
à la page 389 où l'invention apparaît comme le résultat
d'un échange, une adaptation de l'emprunt à la technique
locale :
" Si l'on prend l'exemple du métier à tisser marocain
(...) il reste que dans la zone méditerranéenne existe,
sans équivalent dans le reste du monde, un type de métier
à tisser qui tranche catégoriquement sur tous les types
qui l'environnent. (...) Il semble que les éléments préexistants
du problème soient les suivants : le groupe possède un
métier vertical sur lequel est tendue une chaîne dont les
fils sont unis soit par la technique du Gobelin, en les passant à
la main, soit par celle du point noué, qui n'en diffère
pas beaucoup et n'est pas plus rapide. L'intention technique est que
le groupe, connaissant ou pressentant l'existence d'étoffes tissées
plus économiquement, cherche un moyen d'exécuter ces étoffes.
La solution universelle la plus simple consiste (...) à rendre
mobiles tous les fils pairs, en les nouant à des lisses fixées
sur une lame mobile. Cette solution implique la position horizontale
de la chaîne. Dans le cas présent, la chaîne étant
verticale, tout dispositif équivalent au type classique aurait
été sans effet : la barre d'écartement serait tombée
sur les lisses et celles-ci, étant molles, auraient gêné
l'ouverture des fils impairs. L'invention a consisté à
fixer les fils pairs par des lisses immobiles et à avancer ou
repousser les fils impairs au moyen d'une unique barre d'envergure.
La solution apparaît bien comme originale : alors que dans le
type commun, les lisses rendent mobiles les fils pairs et que la barre
d'écartement immobilise les fils impairs, les lisses, dans ce
type vertical,immobilisent les fils pairs, la barre assurant l'ouverture
des fils impairs ".
L'intérêt de cet exemple est qu'il montre la nécessité
de l'invention. Non seulement l'emprunt n'est plus en concurrence avec
l'invention, mais, il apparaît qu'à partir du moment où
l'on emprunte un élément, il faut adapter celui-ci, l'articuler
à sa technique propre.
L'analyse de A. Leroi-Gourhan, à la différence de celle
de J. Laude, ne comporte pas que le moment de l'acceptation d'une technique
étrangère. Mais, l'articulation de l'emprunt et de l'invention
qu'il propose dans cet exemple peut s'y transposer.
Si l'on prend l'exemple des japonaiseries de Van Gogh,
il apparaît en effet qu'elles relèvent d'un processus similaire.
En 1887, il réalise trois tableaux à la peinture à
l'huile qui ont été désignés parfois comme
des copies d'estampes japonaises correspondantes. Le terme de copie
n'est pas approprié :
si le souci de la fidélité au motif s'y dénote,
il n'en est pas de même pour la technique; c'est avec en tête
le mode d'emploi du tableau et de la peinture à l'huile qu'il
aborde l'estampe et la gravure japonaise. La différence ethnique
n'est pas une simple question de mentalité, elle est ancrée
dans une rupture technique. Il y a lieu, toutefois, de préciser
les points de rupture.
Ainsi, l'habitude propre aux estampes japonaises, de ne pas faire de
distinction entre une zone réservée à la peinture
et une zone propre à l'écriture, aux mentions de la signature,
du titre, et des noms des propriétaires successifs, se trouve
confrontée à celle, occidentale, de figurer sur le cadre
et au dos ces indications - mise à part la signature, qui est
néanmoins confinée, lorsqu'elle existe, à une zone
relativement fixe, ce bas droit de la page qui coïncide avec la
fin de la dernière ligne d'écriture.
Que fait alors Van Gogh ?
Il procède différemment dans chaque tableau:
- dans le " Prunier en fleurs ", Van Gogh ne se contente pas
de recopier les caractères portés par l'estampe, il en
ajoute de chaque côté selon deux bandes qui tiennent à
la fois du placard japonais et du cadre occidental. Dès lors,
et compte tenu de leur importance, ces caractères incluent le
cadre dans la peinture; ce qui constitue une nouveauté dans la
tradition occidentale de l'encadrement.
· Cet effet de traduction est encore plus sensible s'agissant
du " Pont sous la pluie " : les mentions écrites qui
étaient incorporées à l'estampe sont déplacées
sur le cadre qu'il surajoute. Elles acquièrent du mème
coup une singulière importance, autant pour un occidental les
voyant sans les lire parce qu'il ignore le japonais, que pour un japonais
qui les intègre ordinairement à l'espace de l'estampe.
Paradoxalement, l'invention résulte de l'obligation ressentie
par Van Gogh de satisfaire à une convention - convention qui
a ici plus de présence avec le cadre de bois que précédemment,
avec l'encadrement peint -.
· La " figure " se distingue des deux autres tableaux
en empruntant à plusieurs estampes ses motifs. Leur assemblage
toutefois n'introduit pas de distorsion, et la mise en parallèle
avec les oeuvres japonaises indique la copie des motifs pris isolément.
Les solutions de liaison que Van Gogh met en place entre les motifs
extraits résultent du type particulier de cet emprunt qui consiste
à puiser en différentes productions. Van Gogh est contraint
à inventer par ce seul fait d'avoir à intégrer
ces fragments dans une seule et même composition, ce qu'il réalise
par des solutions de continuité quand les roseaux, les hérons,
la grenouille sont réunis dans un même espace, et par une
solution de rupture quand il réutilise, en l'accentuant par une
marge qui coupe le bas du kimono,. l'insert reproduit sur la couverture
du " Paris illustré ". La question est aussi posée
de savoir si l'encadrement ainsi réalisé s'inscrit véritablement
dans une série à trois variantes.
Quoi qu'il en soit, la confrontation de ces trois japonaiseries met
en scène une problématique du cadre et relègue
en coulisses la leçon de gravure que les estampes auraient pu
donner. L'invention qui consiste à insérer le cadre avec
ses mentions " para-picturale " dans l'espace de la peinture
n'est pas ici imputable au passage de la gravure à la peinture,
ces réalisations auraient pu se référer à
la peinture japonaise tout aussi bien.
Alors que par ses japonaiseries Van Gogh laisse délibérément
de côté la technique de l'estampe, lorsqu'il emprunte aux
japonais l'encre de chine et le roseau taillé, il ne prend aucune
oeuvre particulière comme objet de travail. Mais il en résulte
qu'en peinture, il pourra ensuite se servir du pinceau en procédant
comme avec le roseau taillé, radicalisant ainsi sa touche "
à la fois morcelée et tirée " (44).
A la fin du mois de juin 1666, il écrit d'ailleurs : " le
noir et le blanc sont des couleurs aussi, car dans bien des cas, ils
peuvent être considérés comme couleurs, leur contraste
simultané étant aussi piquant que celui du vert et du
rouge, par exemple. (...) Le japonais dessine vite, très vite,
comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment
plus simple " (45).
Quand il ne s'agit pas de simuler un effet apparent
réalisé par un autre, emprunter revient à combiner
deux ensembles. Ce qui se traduit par des adaptations, des substitutions,
des adjonctions, des soustractions qui en créent un troisième.
Ainsi l'emprunt fait à Bellmer s'analyse comme une mise en rapport
de deux technologies, celle de l'assemblage de volumes avec la peinture
d'une surface plane. M'intéressant à la combinatoire,
les articulations ne pouvaient être les mêmes : il en résulte
un assemblage de plans et une combinatoire à partir des lignes
du réseau ainsi formé.
De même, l'emprunt fait à Alechinsky aboutit à substituer
à un seul imprimé pris comme support - carte géographique,
plans de ville ou titres de propriété - plusieurs imprimés
(le même répété, " GROCCHIO ")
de petites tailles me permettant de couvrir des surfaces aussi grandes
que je le désire pour un prix abordable. Cette substitution ne
fut pas neutre puisque le collage-découpage des imprimés
constituait déjà une intervention par rapport à
l'image. J'étais ainsi placé dans l'obligation de faire
autrement que par des tracés en surcharge.
Enfin, et pour ce qui concerne le point de départ du même
travail, l'emprunt à la technique du puzzle amena un remaniement
des tirages qui devaient initialement servir de contre-épreuve
: il fallait autant que possible obtenir des tracés interrompus
par les bords, favorisant la combinatoire.
Ces modalités de l'intégration de l'emprunt montrent que
la question de l'emprunt à l'autre n'est pas séparable
de l'interférence de deux techniques.
2 - L'EMPRUNT A L'AUTRE ET L'APPORT D'UNE AUTRE TECHNIQUE
Quelques remarques de J. Laude permettent d'entrevoir
la manière dont les deux processus se confondent dans le dynamisme
de l'échange artistique. Mais il faut tout d'abord, en préciser
les conditions : il y a échange artistique dès lors que
deux " technologies " différentes se trouvent mises
en rapport, soit par le truchement d'un autre " constructeur ",
ou d'un autre " exploitant ", soit par changement de "
cadre " financier, spatial, horaire. Ces conditions sont réalisées
quotidiennement lorsqu'une chose ne livre pas spontanément son
mode d'emploi, en changeant de milieu (par exemple, de'chez soi au "
spécialiste professionnel "), en voyageant de pays à
pays, en utilisant un vieil objet (ancien costume ou ancienne habitation,
etc ...) (46).
Tel que le problème est présenté par endroits,
on pourrait se demander, par exemple, ce que la peinture de Picasso
doit à la sculpture plutôt qu'à la sculpture nègre.
De fait, maints passages du livre de J. Laude donnent à penser
dans ce sens :
· p. 336, " L'étude des volumes conduit donc à
celle des plans "
· p. 344, note 65, " à partir de1909, selon D.H.
Kahnweilier, Picasso se sert des moyens de la sculpture pour éviter
le clair-obscur. Et il s'en sert dans sa peinture ". (Il cite D.H.
Kahnweiler : " En 1909, dans une nature morte, " Le piano
", il essaya de provoquer l'objectivation de la lumière
par de légères saillies sur la surface plane, une sorte
de bas-relief à peine perceptible en somme; il exécuta
ces saillies en plâtre, et peignit sur la surface bossuée
ainsi obtenue ... "), note 65 toujours, il cite R. Penrose : "
Picasso-sculpteur est, pour ainsi dire, le " manager " de
Picasso-peintre ... "
· p. 347, " Depuis 1907, Picasso cherchait à conférer
à sa peinture une présence, une stabilité, ce que
J. Golding a proposé d'appeler " une plénitude plastique
où l'expérience de la sculpture serait en quelque sorte
assimilée. Ce qu'il reprochait à la peinture, traditionnelle,
c'était d'offrir une vision ou une idée insuffisante de
ce qui est représenté ". Aussi chercha-t-il à
conférer à ses oeuvres " une dimension qui n'existait
en un sens que dans la ronde bosse
un des traits les plus importants
de ce type de sculpture (étant) la possibilité, et même
souvent le désir, que l'on a de tourner autour et de l'observer
sur tous ses angles ".
· p. 367, " Au cours des années 1913-1914, les deux
peintres (Braque et Picasso) essayaient de rendre la forme par une combinaison
de peinture et de sculpture. Au lieu de montrer, par recoupement, qu'une
surface se place au-dessus ou devant une autre, ils peuvent alors faire
saillir ces surfaces et faire voir leur rapport par un relief véritable
" (C'est D.H. Kahnweiler qui est cité).
Dans le système d'échange, il apparaîtrait donc
que la sculpture nègre entre en concurrence avec le principe
lui-même de la sculpture, le passage de la sculpture à
la peinture étant, à la limite, aussi déterminant
que le passage d' une ethnie à une autre. Dans les extraits mentionnés,
une hypothèse affleure : l'activité outillée porterait
en elle-même, par le passage d'un domaine à un autre, les
ressorts de son dynamisme, c'est-à-dire, de l'invention. On soustrairait
alors la technique de l'échange en lui faisant une place à
part et en réduisant du même coup l'échange à
un échange d'information, à la " sémiotique
" (47). Le rapport de la peinture à la
sculpture fait partie de l'échange dans la mesure où il
est constitutif de l'artistique occidentale. Opposer terme à
terme la sculpture occidentale à la sculpture nègre, c'est
fabriquer l'universel de " la " sculpture; car, à l'époque,
le sculpteur nègre, ignorant le tableau et la peinture de chevalet,
ne dissocie pas l'usage du plan de sa pratique volumétrique.
A quelle(s) condition(s) peut-on alors préciser la part de l'activité
technique ?
Si l'on oppose des produits concrets en raison de déterminismes
différents auxquels ils participeraient, soit technique (faisant
alors parler de sculpture, peinture, gravure, photographie, etc ...
tout court), soit social et propre aux échanges, on soustrait
une partie de l'activité humaine au jeu des échanges.
Ceci revient à poser implicitement le principe de l'existence
de la technique pure, autonome par rapport au social - tel que J. Baudrillard
l'envisageait dans " le système àes objets ",
avant la " critique de l'économie politique àu signe
" (48), en réservant un caractère
exclusivement technique aux engins de la conquête spatiale ou
en divisant l'objet en deux parties, l'une fonctionnelle, l'autre "
gadget " _.
Or il n'est pas possible de cerner une pratique qui soit techniquement
homogène, aussi restreinte soit-elle par le matériel qu'elle
utilise. Et c'est par l'hétérogénéité
technique que se montre le social en chaque activité : plusieurs
font quand " je " fais parce que les " matières
" premières " sont toujours plus ou moins préfabriquées
et parce que le travail fait appel à la compétence de
plusieurs métiers - aussi " spécialisé "
soit-il , les modes d'emploi prévus par d'autres vont
à son aide -.
Il s'en suit que si la sculpture peut être analysée en
tant qu'activité, c'est à la condition de ne pas confondre
l'indépendance du processus explicatif avec l'autonomie par rapport
au social. Ce qui est dû " à d'autres " et ce
qui revient " à l'oeuvre " ne partagent pas le concret,
ne le " fragmentent " pas, il conviendra d'y revenir. Il s'agit
ici de préciser l'interférence des deux processus au niveau
de l'échange artistique.
On peut, à cet égard, mettre en parallèle deux
attitudes mentionnées dans le livre de J. Laude (49)
:
· celle de Picasso qui " picturalise " les sculptures
bakotas, p, 356,
· celle des Congolais qui " sculpturalisent " leur
portrait dessiné par Stanley, p. 386, note 227.
Elles montrent comment l'appréhension des objets est fonction
de la technique en usage.
D'abord, la peinture de Picasso, soucieux de la " figuration d'un
volume sur un plan ", va à la rencontre d'objets "
de très faible relief ", les " biéris ".
La transposition picturale les aplatit encore avec les solutions mises
en,place par les sculptures bakotas - " présentation de
toutes les faces d'un volume en les regroupant dans une image synthétique,
et dissociation des éléments du corps humain pour les
articuler plastiquement " -. L'échange artistique consiste
ici, pour Picasso, à voir en plan ce qui est en relief - sans
prendre parti quant à l'antériorité des solutions
de Picasso -
Quant à la remarque faite par Stanley sur l'appréhension
du dessin par les Congolais qui recoupe d'ailleurs la mention, p. 385,
des difficultés des Bushogos (Congo Léopoldville) à
saisir l'image proposée par la photographie, elle suggère
la question de savoir si ce n'est pas en raison du mode dominant de
production, la sculpture, que les congolais voient, à l'époque,
comme des reliefs, puisqu'ils retournent les dessins, les plans présentés.
Dans les deux cas, l'objet est spontanément détourné
de son mode d'emploi. Il convient de préciser ce processus de
détournement en reliant encore deux autres passages de "
La peinture française et l'art nègre " :
Il apparaît en effet que " le style dépouillé
" dont parle J. Laude en citant, p. 338, C. Zervos, doit un peu
au dépouillement, réel celui là, dont les masques
et les statuettes avaient fait l'objet avant leur arrivée en
Europe : on enleva ce qu'on considérait comme des accessoires,
notamment les cagoules. J. Laude précise, p. 371, que "
sur les cent huit objets que reproduit Carl Einstein dans " Negerplastik
", un seul comporte à sa base la cagoule traditionnelle
de fibres qui devait complètement protéger le visage,
le cou et la nuque du danseur ".
L'objet fabriqué n'est pas transféré tel quel dans
un autre lieu, le transfert est corrélatif d'une transformation
jugée anodine. Acceptation en quelque sorte conditionnelle, qui
marque une admission d'autres objets plus conformes à l'idée
commune de la sculpture, comme objet de matière homogène
et d'une seule pièce, héritée de l'antiquité
greco-romaine. La communication se réalise ici au prix d'un détournement
qui est une annexion puisque n'est pas reconnue la différence.
Si ces " fragments " apparaissaient aux yeux des collectionneurs
comme des parasites, il est concevable qu'ils constituaient une frontière,
une barrière les empêchant de retrouver un certain standard
de " l'art occidental ".
La confusion de l'emprunt à l'autre et de l'apport d'une autre
technique a lieu, encore, lorsque l'on passe d'un milieu professionnel
à un autre par la voie du bricolage. Se trouvent alors combinés
de multiples programmes relevant de techniques qui échappent
au bricoleur qui les interprète au travers de la sienne, avec
le matériel dont il dispose. Comme précédemment,
il y a rencontre de deux techniques. Mais elles se trouvent combinées
ici non plus par le recours à un principe extérieur mais
par l'utilisation d'un autre matériel au moins (matériaux
et engins).
C'est par le commun dénominateur de l'activité
combinatoire que G. Lascault rapproche le bricolage du collage (50)
- particulièrement les monstres qui en sont issus, reprenant
alors la question de la différence entre l'ingénieur et
le bricoleur posée par Lévi-Strauss pour conclure semble-t-il
avec Derrida à une théologie honteuse impliquée
par cette distinction - puisque " le bricoleur ne fait que combiner
des formes, il ne crée pas ". On peut alors ajouter qu'il
est des combinaisons plus ou moins inventives. G. Lascault aboutit à
présenter une sorte d'invention sans inventeur. Ceci est particulièrement
remarquable quand il rapporte les propos de Grandville (51)
:
" (...) je n'invente pas, je ne fais qu'associer des éléments
disparates et enter les unes sur les autres des formes antipathiques
ou hétérogènes ". A noter aussi que l'invention
dans son sens étymologique ne crée rien qui ne soit
déjà là. L'artiste est-il un bricoleur ? G. Lascault
mentionne aussi, p. 240, " qu'il n'est pas toujours conscient des
images qui l'ont impressionné et secondé dans sa tâche;
(...) des formes le hantent bien après qu'il a oublié
leur origine ".
La manière dont les formes le hantent pourrait bien être
très concrète, c'est-à-dire dépendante non
seulement d'une collection matérielle d'images - qui n'est pas
le " répertoire " dont parle G. Lascault - mais de
la colle et des ciseaux ou d'autres engins tranchants.
À cet égard, " la préparation de la colle
d'os " peut s'analyser comme la contre-métaphore du collage,
la reconnaissance implicite du " sens " fabriqué. Métaphore
inversée puisque c'est la colle qui fabrique le collage. Et d'ailleurs,
le procédé du collage tel qu'il est décrit et pratiqué
par Erro, Marina Scriabine, s'effectue à partir d'un bagage d'images
(52).
Mais que dire de ces collages qui techniquement n'en sont pas parce
qu'ils n'ont recours ni à la colle ni au découpage ? On
peut encore admettre que la technique du collage infléchit en
retour notre perception de telle sorte qu'on parle couramment de "
forme nettement découpée ", de " détails
" comme on dit d'un écran " qu'il dessine bien ".
Le sens figuré dévoile ici la médiation de l'outil
et sa productivité.
L'histoire du collage d'Herta Vescher (53) rassemble
sous ce titre non seulement les papiers collés et les collages
mais également les collages de papier de couleur (sans toutefois
y inclure les papiers découpés de H. Matisse) qui ne recherchent
pas, encore moins que les papiers collés, une troisième
image mais la composition, c'est-à-dire une relation formelle
entre les morceaux collés. Elle y présente encore des
collages pratiqués en photographie dénommés photomontages.
Voici donc deux termes appelés à compléter
la réalité technique du collage : la composition et le
montage.
Rechercher une composition par des relations formelles entre des éléments
perceptifs (ligne, point, plan) n'oblige pas à se servir du collage-découpage.
Le positionnement relationnel des formes est toutefois grandement facilité
par l'utilisation de papiers découpés et il n'est jamais
si facile que par la photocomposition ou " le synthétiseur
électronique d'images " qui permettent non seulement de
faire varier les intervalles mais aussi, la taille, la forme et la couleur
des éléments. Autrement dit, le collage-découpage
n'est pas la seule installation technique de la composition. A l'inverse
tout collage implique une composition dans le sens matériel -
et pas nécessairement plastique - de l'assemblage.
Cette nécessaire productivité du collage-découpage
- ce qui ne signifie pas invention - est décelée pertinemment
par Eisenstein (54). Voir à ce sujet "
le cinématisme " - autant dans le montage cinématographique
que dans ce qu'il appelle alors le montage de certains tableaux d'El
Greco - où celui-ci combine des fragments de productions antérieures.
Par ce rapprochement de la peinture et du cinéma, composition
et montage deviennent synonymes. Il y a seulement d'un côté
un montage de la séquence, successif, linéaire (par le
cinéma, mais aussi par le livre) et de l'autre un montage du
plan, simultané, tabulaire ; cadrage d'un côté et
mise en page de l'autre, son inversion.
Dès lors, la relation visible d'un photogramme à l'autre
n'est pas différente du chemin de " lecture " guidant
le parcours du regard. La représentation du mouvement dans l'art
occidental organise parfois une vision " filmique " du tableau
(tel " le martyre des dix mille chrétiens " d'Albert
Dürer). Inversement les cas sont nombreux où le montage
d'une séquence est étudié comme un montage tabulaire
: les " BD " de Fred Forest en regorgent, et dans les photographies
de Rafaél Navarro, chaque prise de vue est une négation
du photogramme.
Il n'est donc pas étonnant que la productivité du collage
soit résumée par Eisenstein lui-même (55)
dans " l'effet Koulechov " :
" La juxtaposition de deux fragments de film ressemble plus à
leur produit (multiplication) qu'à leur addition, en ce sens
que le résultat de la juxtaposition diffère toujours qualitativement
de chacun des fragments pris à part ".
Notons tout d'abord que " de film " peut être mis entre
parenthèses compte tenu de ce qui vient d'être dit.
Ensuite, le résultat de la juxtaposition ne se limite pas à
un effet
perceptif ou imaginatif si on étend la productivité du
collage à la fabrication elle-même. Le collage induit un
travail qui porte sur la relation entre les deux fragments. L'oeuvre
de Albert Pepermans présente de nombreux exemples de ce travail
induit, lui qui utilise aussi les services de la photocopieuse.
L'utilisation de l'image de Pinocchio recourt au même processus
à l'issue d'un découpage qui ne porte pas uniquement sur
l'image elle-même mais sur le processus de fabrication. De sorte
que les associations et les interférences qui en résultent
se rapportent non seulement au collage des fragments d'image entre eux
mais également au collage de ces fragments par rapport au subjectile,
à celui des fragments de châssis et pour résumer
- ce qui va être " détaillé " - au "
collage-découpage " de la gravure, la peinture et la sérigraphie,
des processus techniques qui les soutiennent.
Le mariage d'une technique avec une autre n'est pas
toujours vécu comme " monstrueux " : deux exemples
peuvent être cités de pratiques faisant intervenir comme
ici la gravure, la peinture et la sérigraphie :
· Ce sont les " papiers peints " (56)
et certaines oeuvres de Joan Miro.
C'est sous le nom de " domino " qu'on désigne un "
papier ou dessin grossièrement imprimé avec des planches
de bois, et colorié au moyen de patrons ".
Il est concevable que pour les détails, le coloriage à
la main soit intervenu aussi en même temps.
Quant à la " polytechnique " de J. Miro qu'on peut
trouver dans " chiffres et constellations amoureux d'une femme
", elle aboutit à des ensembles hétérogènes
- plus qu'à des mélanges intimes - où des aplats
de couleurs appliquées au pinceau masquent des pulvérisations
au travers de pochoirs ou des frottages de couleur s'accrochant au relief
de la toile ou à celui du carborendum préalablement collé.
Si la rencontre de la peinture avec les crachis découpés
par le pochoir n'a lieu qu'au niveau des effets visuels, celle des frottage
avec la gravure mêle intimement les procédés : la
couleur- matière de la peinture remplace l'encre d'imprimerie
moins compacte, elle révèle et métamorphose les
fines granulations d'un relief obtenu par adjonction de matière
et par un frottement qui tient à celui du pinceau applicateur
et à la force du geste d'empreindre. En l'état de notre
documentation, le deuxième exemple apparaît plus nettement
inventif, pourtant, le principe est le même : dans les deux cas
: l'activité se compose de plusieurs techniques.
Le fait initial déclencheur de ma série de travaux est
aussi le produit d'une rencontre avec une autre technique. Mais sans
qu'il soit possible de le dissocier d'une rencontre avec un autre. C'est
en effet par les influences conjuguées de la technique du puzzle,
du tangram et des poupées réarticulées de Bellmer
que s'accomplit la déviation de la reproduction linogravée
par planches séparées d'une image en couleurs vers une
destination à possibilités multiples.
Et la mise en interférence de la peinture, la gravure et la sérigraphie
vers laquelle évolua progressivement ma pratique met en présence
des techniques qui ne sont parfois séparées que par des
métiers. C'est pourquoi, par exemple, C. Bonnefoi s'y trouve
associé par le report d'un film à la décalcomanie
aux " appliqués " (57), à
la fabrication des pochoirs sérigraphiqi:es .telle que la décrit
H. Caza (58). C'est pourquoi la sérigraphie
fait appel à la peinture sous-verre, ses églomisés
et ses exemples hongrois (59), aux tulles brodés,
aux rubans de tulle peints, aux rideaux etc ...
Autrement dit, si cette démarche du collage refuse de composer
seulement à partir de produits, elle doit s'efforcer de déceler
le processus sous le procédé institué. Il n'est
pas dit qu'au total les frontières établies entre la sérigraphie,
la gravure, la peinture aient encore lieu d'être, ni mème
celle qui les sépare des autres secteurs de l'activité.
NOTES
(1) John GOLDING (et avec lui bon nombre d'historiens
d'art) donne au collage un sens restreint et opposé à
celui des " papiers collés "; il réserve le
collage pour désigner le collage d'images qui fait oublier l'opération
technique réalisée. Marina SCRIABINE, dans ses "
réflexions et expériences " (cf. son article "
Collages ", publié dans " Recherches Poïétiques
", tome II, le matériau; éd. Klincksieck, Paris,
1976) après avoir ouvert le sens du terme, le restreint finalement
à l'intérêt qui motive sa pratique du collage. Retenons
ici le sens qu'Herta WESCHER lui attribue dans son histoire du collage
(" Die Geschichte der Collage, vom Kubism bis zur Gegenwart ",
éd. Dumont Schauberg, Cologne, 1974; trad. anglaise de Robert
E. Wo1f sous le titre " Collage ", éd. Harry N. Abrams,
New York, 1974) qui inclut aussi bien la pratique cubiste que dadaïste
et surréaliste. Il a pour avantage d'ouvrir la problématique
et d'être ainsi introduit.
(2) Gaston BACHELARD note d'ailleurs dans " Paysages,
notes d'un philosophe pour un graveur, Albert Flocon ", éd.
de l'Aire, Lausanne, 1982, p. 15 t " Au lieu des enquêtes
sur tâches, j'imagine des enquêtes similaires sur traits,
à partir de gravures ... ".
(3) " Dans de tels barbouillages, on doit voir
de bizarres inventions, celui qui voudra regarder attentivement cette
tâche, y verra des têtes humaines, divers animaux, une bataille,
des rochers, la mer, les nuages et autres choses encore, c'est comme
le tintement d'une cloche qui fait entendre tout ce que l'on imagine
" - Léonard de Vinci cité par Brassaï dans son
articie " Du mur des cavernes au mur d'usine " in " Graffiti
"; Paris,1961
(4) Gilbert LASCAULT : " Le monstre dans l'art
occidental ", éd. Klincksieck, Paris, 1975 - p. 91.
(5) André BRETON : " Manifeste du surréalisme
" p. 55 cité par G. Lascault, p. 110; cf. note ci-dessus.
(6) Claude ROY : Arts fantastiques ", éd.
Delpire, coll. Encyclopédie essentielle, 1960, Paris.
(7) Philippe DUBOIS : " Le collage ", article
accompagnant le diaporama sur le collage du Centre National de Documentation
Pédagogique, 3ème trim. 1978
(8) Jean GAGNEPAIN : la théorie de la personne
prend place dans la théorie de la médiation qui fait l'objet
des séminaires à l'UER de langage de l'Université
de Haute Bretagne. Avec la théorie de la norme, elle est la suite
du tome I : " Du signe de l'outil ", Pergamon Press, 1982;
Philippe BRUNEAU : " Le portrait ", article publié
dans la " Revue d'archéologie moderne et d'archéologie
générale ", n° 1, 1982, Presses de l'Université
de Paris-Sorbonne. .
(9) Maud MANNONI : " L'enfant arriéré
et sa mère ", éd. du Seuil, coll. " Points "
Paris, 1964 ;
p.47 - " Raymonde " : Elle a une démarche en canard
et ses bras semblent être là pour la gêner plus que
pour la servir ".
p.44 - " Daniel " : Et l'enfant en réponse s'est voulu
oiseau pour ne pas avoir de corps, ne pas avoir d'envie ".
(10) René Passeron : " L'oeuvre picturale
et les fonctions de l'apparence ", éd. Vrin, Paris, 1974,
p. 529.
(11) Exposition collective, Rennes, janvier 1982 .
(12) Etude publiée dans la revue " Galerie-Jardin
des Arts ", janv. 74, n°155.
(13)Jacques DÉRRIDA : " La vérité
en peinture ", coll. " Champs ", éd. Flammarion,
Paris, 1978.
(14) p. 322, cité en (13).
(15) La citation est de O. MANNONI qui résume
ainsi une thèse de Lacan dans son étude, " je sais
bien ... mais quand même " in " Clefs pour l'imaginaire
ou l'autre scène ", éd. du Seuil, Paris 1969, p.
55.
(16) Jean LAUDE : " La peinture française
de 1905 à 1914 et l'art nègre ". éd. Klincksieck,
Paris, 1968.
(17) cf. Louis CANE : " La peinture et la loi
", entretien avec Michel Braudeau paru dans " Art Press "
n° 63.
(18) Dans la théorie de la médiation,
la parité et la paternité forment l'instituant et l'institué
de la personne; voir note 8.
(19) Cf. l'article de Florence de Mèredieu
sur Roy Lichtenstein : 'Une rhétorique de la figure ", "
Art Press "
(20) Raymond QUENEAU : " Cent mille milliards
de poèmes ", éd. Gallimard, Paris, 1961.
(21) Helen OXENBURY : " Drôles de hasards
", coll. Pêle-Mêle, Gallimard, Paris,1980
(22) Alain BARGILLIAT : " Photo Litho ",
Institut National des Industries et Arts Graphiques, Paris, 1965.
(23) Michel CAZA : " Les techniques de la sérigraphie
", Presses du Temps Présent Paris, 1963, 1969.
(24) Cf. l'article de Hans NAEF publié dans
la revue " L'Oeil ", janvier 57.
(25) " (...) en donnant à " art "
sa large acception latine ou ancienne (comme dans " Arts et métiers
") ", extrait de l'article de Philippe BRUNEAU et Pierre-Yves
BALU'T, " Positions " paru dans la revue citée en (8)
.
(26) Gilbert DUPUIS : " L'invention en gravure
", thèse de 3ème cycle, arts plastiques, Université
de Haute Bretagne, 1980.
(27) déjà citée en (8).
(28) Cf. l'ouvrage collectif publié aux Editions
Klincksieck : " La poïétique ", tome I et II,
et notamment l'article de René PASSERON : " Poïétique
et nature ", p. 9.
(29) La remarque de Laurence Alloway est citée
par Edward Lucie-Smith dans " L'art d'aujourd'hui ", chez
Fernand Nathan, 1977, p. 242.
(3O) Déjà citée en (21).
(31) René PASSERON : " Histoire de la
peinture surréaliste ", Le Livre de Poche, Paris, 1968.
(32) Cité par Jean-Marie PONTAVIA : "
Identité/Identifications ", article paru dans la Revue "
Artitudes ", n° 35/58, p. 90.
(33) Viviane FORRESTER : " Van Gogh ou l'enterrement
dans les blés ", éd. du Seuil, coll. Fiction et cie,
Paris, 1985.
(34) Cf. " La théorie de la personne ",
de Jean GAGNEPAIN, cité en (8).
(35) Tels qu'ils sont présentés par
le Dictionnaire permanent du droit des affaires, les droits d'auteurs
comportent en effet :
le droit patrimonial, dont,
· le monopole d'exploitation
· le droit de reproduction
· le droit de représentation
· le droit de suite
et surtout le droit moral, droit de la personnalité, perpétuel,
inaliénable et imprescriptible,dont,
· le droit de divulgation
· le droit de repentir (l'auteur peut ainsi mettre fin à
l'exploitation des oeuvres " qu'il jugerait indigne de son talent
monobstant la session de son droit d'exploitation "
- le droit au respect de son oeuvre
· le droit à la paternité de l'oeuvre (il permet
à l'auteur de faire reconnaître1'oeuvre comme sa création,
et par conséquent d'exiger la mention de leur nom sur 1'oeuvre
et tous documents la mentionnant .)
(36) J. GAGNEPAIN : " de la personne ",cité
en (8).
(37) Voir à ce sujet l'analyse de J.C. LEBENSZTEJN
dans " Zigzag " : " Deux aquarelles de Klee ", p.
249, Aubier-Flammarion, Paris, 1981.
(38) Jean LAUDE : " La peinture française
de 1905 à 1914 et 1'art nègre ", éd. Klincksieck,
Paris, 1968.
(39) Jean GAGNEPAIN : " de la personne "
(" échanges et communication "), cité en (8).
(4O) John GOLDING : " Le cubisme ", éd.
Le Livre de Poche, 1968, Paris, pp. 75 à 79.
(41) p. 525 à 522, cité en (58).
(42) déjà cité en (26).
(43) André LEROI-GOURHAN : Evolution et techniques,
Tome II, Milieu et Techniques, éd. Albin Michel, 1945 et 1975,
Paris.
(44) p. 132, cité en (lO).
(45) cité dans " Le Journal de l'art moderne
", p. 59, éd. Skira.
(46) " ... tout ouvrage est le fruit, en même
temps que du trajet particulier au sens où nous l'entendons,
qu'impose la conjoncture et du vecteur qui spatialement, temporellement,
financièrement le mesure, de celui bien sûr qui l'exécute,
mais non moins de celui qui en profite et qui - en raison de la connotation
sociale des termes usage et usager - reçoit chez nous le nom
d'exploitant ". (extrait p. l73, " Du signe, de l'outil "
Pergamon Press, 1982).
(47) Jean GAGNEPAIN : " de la personne ",
(" échanges et communication "), cité' en (8).
(48) Jean BAUDRILLARD : " Pour une critique de
l'économie politique du signe " éd. Gallimard, 1974,
Paris.
(49) P. 353 à 356, cité en (38).
(5O) p. l02, cité en (4).
(51) p, 109, cité en (4).
(52) Marina SCRIABINE : Article publié dans
l'ouvrage collectif " Poïétique " cité
en (31) sous le titre " collages, réflexions et expériences
".
(53) déjà cité en (1).
(54) S.M. EISENSTEIN : " Cinématisme,
peinture et cinéma ", éd. Complexe, Bruxelles, 1980.
.
(55) cité par S. L'HERMITTE et C. PARRINETON
dans leur manuel des arts plastiques 4e, 3e; éd. Magnard, 1983,
Paris, p. 26.
(56) cf. le catalogue de l'exposition " Trois
siècles de papiers peints " présentée en 1967
au Musée de Rennes et notamment la préface de J.P. SEGUIN.
(57) Marie-Janine SOLVIT, " Les appliqués
", coll. Manu-presse, éd. Dessain et Tolra, Paris, 1980.
(58) Voir notamment la découpe et le report
des films de gélatine sur l'écran sérigraphique,
p. 54 et l19, cité en (26).
(59) Cf. Le catalogue de l'exposition " La peinture
sous-verre " présentée à la Maison de la Culture
de Rennes en 1982.