FRAGMENTATION

Thèse de doctorat
en arts plastiques et sciences du langage

Gilles LE GUENNEC 1987

1ère partie: A D'AUTRES

 


 

 

 

 

 

 

 

A- LES COLLAGES ET LA QUESTION DE L'AUTEUR


· les monstres n'étaient pas invités
· l'hétérogénéité des monstres: le fantôme de l'Autre

1- LA NEGATIVITE INITIALE ET LE MEURTRE DU PERE

· face au miroir idéologique de l'obéissance
· l'ambivalence de la vignette " Pinocchio " :
la fonction d'ouverture et de négativité du recours au stéréotype


2- LE MEURTRE DU PERE ET LA RECONNAISSANCE DE DETTE

· les indices du meurtre
. dans l'ombre de " la ronde de nuit "
· l'hétérogénéité du " peintre et son modèle "
· la reconnaissance de dette " en vérité ":
une controverse pour la restitution d'un fragment


3- LA RECONNAISSANCE DE DETTE ET LES EMPRUNTS

· de quelques emprunts: citations, détournements, hommages, apports problématiques
· un emprunt peut en cacher un autre
· les emprunts dans ma pratique
· les parentés et les emprunts rétrospectifs
· la production ne vise pas seulement au remboursement de la dette
· un dénominateur commun: le décentrement du sujet et la raison technique

4- LA " CRISE " DE L'IDENTITE

· emprunts-cibles et emprunts-flêches
· le classement et la dette par les armoiries
· fragments arrachés à la production d'un autre: la personne et le sujet
· convergence et divergence à l'oeuvre
· l'emprunt et la conduite " empruntée ": l'authenticité, le simulacre, et " l'originalité "
· l'identification à l'oeuvre
· la personne et le corps biologique: la propriété artistique et la signature
· l'appropriation

B- L'ÉLOGE DE L'ÉCHANGE ET SES MODALITÉS

· Jean LAUDE et l'échange diastratique
· L'échange diastratique dans ma pratique

1- LA FONCTION INVENTIVE DE L'EMPRUNT

· A. Leroi-Gourhan: la confusion de l'emprunt et de l'invention
· les japonaiseries de Van Gogh
· la mise en rapport de deux technologies dans ma pratique

2- L'EMPRUNT A L'AUTRE ET L'APPORT D'UNE AUTRE TECHNIQUE

· peinture et sculpture ou peinture occidentale et sculpture nègre
· le bricolage
· la réalité technique du collage: la composition et le montage
· le mariage " monstrueux " des techniques




I - A D'AUTRES


" A d'autres ", ou bien " on ne me la fait pas à moi ", toutes deux locutions qui dénient la croyance confiante .
" A d'autres ", c'est aussi le non-dit de l'hommage qu'on leur rend. Certes, d'une autre manière que " à ma compagne qui ..,etc " ou " à mon ami untel, à qui ...etc "; mais la dette habituellement signalée en début de livre, comment est-elle assumée, mise à part cette ostentation ?
" A d'autres ", sans exclamation ...
Ce sont les oeuvres elles-mêmes qui les convoquent ici par les fragments qu'elles présentent ou représentent. Fragments " lourds de nos différences et de nos obligations " si je me réfère à la dissociation de l'Autre opérée par J. Gagnepain en " un autre qui n'est pas nous-mêmes et un autrui à qui nous devons d'être ".

A - LES COLLAGES ET LA QUESTION DE L'AUTEUR


La question est d'importance puisqu'en contrepoint de ce texte s'affiche une production réalisée en partie par découpage et collage de celle d'un autre . Elle se pose ici avec acuité, du fait de l'utilisation répétée d'une seule image, vignette autocollante offerte en prime à l'achat d'une boîte de fromage " Vache-qui-rit " et représentant Pinocchio allant à l'école de Walt Disney - rendant ma propre intervention minime sinon minimale .
Notons que l'acception de collage (1) englobe le découpage préalable; elle suppose donc des fragments qui l'anticipent. A l'inverse, tous les fragments ne se finalisent pas en un collage, bien qu'ils posent aussi la question de l'auteur par la charge négative qu'ils portent souvent.
Le morcellement de l'image de Pinocchio a pour point de départ un glissement de finalité (cf. " CHIO ", Album, p. 2, 5, 4): ce qui devait n'être qu'une simple opération technique dépourvue de sens devint un jeu de combinaisons, tel un puzzle perverti où l'image à reconstituer ne serait plus un but. Chaque combinaison, avant d'être détruite pour en rechercher une autre donnait lieu à un relevé par calque, traquant les monstres " pinocchiesques " qui ne manquèrent pas d'apparaître. Pour développer ce principe d'une combinatoire, je réalisai des planches me permettant d'agrandir et de multiplier les fragments du dessin initial sur toute la surface du support (cf. l'album SERIPHOCCHIO et SERIGRAPHOCCHIO, p.18,19).
Par ce fait, les monstres qu'initialement je composais, pièce par pièce, me firent alors la surprise de leur présence dans l'enchevêtrement du réseau; une attention visuelle même distraite suffisait : des agglomérats se constituaient pour former des images. Différents à chaque fois, ils étaient aussi suffisamment compliqués pour donner lieu à des interprétations ambivalentes. En somme, le réseau linéaire faisait fonction de test projectif à l'instar des planches de Rorschach (2) favorisant des associations d'idées relativement libres comme dans toutes les réalisations " all-over " qui, par définition ne déterminent aucune focalisation, et bien avant elles dans ces barbouillages dont parle Léonard de Vinci (3), cité par Brassaï dans son livre " Graffiti ". Et " les propositions du mur " que présente ce dernier, de même que les frottages de Max Ernst procèdent du même principe. Ce principe de projection étayant l'analyse de Gilbert Lascault sur " les monstres dans l'art occidental " (4) requiert des conditions particulières pour intervenir dans le perçu : " moins la situation est structurée, plus les stimuli sont ambigus, et plus le sujet trouvera lieu de savoir ".
Les monstres n'ont donc pas besoin d'être fabriqués en images stables et isolées pour apparaître, ils surgissent sans avoir été invités par l'opérateur des formes qui les convoque. Ce que je peins m'apparaît alors " aussi étranger qu'à tout autre "(5) et cependant je sais que c'est le produit de mon histoire subjective. Autrement dit, l'image de Walt Disney me renvoie à " mon " image par le biais de sa mise en pièces.
Le découpage en fragments est le mode privilégié de fabrication des monstres, " Les arts fantastiques " de Claude Roy (6) le signalent avant l'étude approfondie de Gilbert Lascault. Claude Roy donne en effet du fantastique la définition suivante, p. 14 :
" Le fantastique, c'est ce qui dément et " démantibule " l'ordre des choses admis. "
Et, de fait, son ouvrage comporte une série importante de références à des oeuvres constituées de fragments, " fragments " seulement si les fantômes des absents hantent le visible.
Ainsi, p.9, cette figuration d'une mandragore extraite d'un " Livre de nature ", dessin allemand du XV siècle,
p.11, ces personnages aux têtes de renards, miniature tirée du Livre des merveilles " de Marco Polo XV siècle,
p.15, ce dessin d'un " schizophrène " où l'homme, la femme, le poisson, l'oiseau, l'arbre se rencontrent,
p,16 ce dieu-ibis, Thot déjà cité ,
p.20, ce photomontage pour carte postale " 1900 " affublant d'ailes de papillon une figure féminine,
p.26 cette gravure hollandaise du XVè siècle de phoque,
p.36 cette sculpture de Pablo Picasso,
p.45 ces armoiries à la tête de mort,
p.52 cette chauve-souris, femme et chat extrait d'un ouvrage d'Athanase Kircher, " de la Chine ", du XVIIè siècle,
p.55 ces " Hommes à tête de cheval ", gravure du XVIIè siècle,
p.57 " La vache à l'ombrelle " de Marc Chagal,
p. 81 cette image populaire de Montbéliard représentant des âmes damnées, volatile-serpent, chien ou loup tout à la fois,
p.81 cette allégorie, gravure danoise
p.94 ces études de Diables de Jérôme Bosch,
p.101 et enfin, ce collage de Max Ernst extrait de " la semaine de Bonté "
En plus de cette liste déjà longue, signalons les cas où un seul fragment de motif est mis en scène :
p.59 cette peinture naïve américaine
p.54 cette sculpture d'Alberto Giacometti
p.77 " Partout des prunelles flamboient " d'Odilon Redon
Ajoutons encore les cas où les fragments appartiennent au même motif, tels:
p.59 cette " Explosion dans une église " peinture du XVIIè siècle,
p.87 " L'étonnement du masque Wouse " de James Ensor,
p.93 " L'enlèvement " de Max Klinger,
p.98 " Prémonition de la guerre civile " de Salvador Dali;
Dans tous les cas, il y a du manquant, du fantôme dans ce procédé qui taille. En faisant appel à une pluralité de motifs, il est retenu un détail - la taille et le détail -. L'endroit de " la coupe " convoque les compléments dont le passage à la limite est l'inverse de l'image montrée.
Image " non vue ", sauf lorsque le procédé tout entier est exhibé par Magritte qui " soude " ce qui reste de la sirène, autre " Invention collective ". Il ne fait pas seulement que reconnaître l'antériorité du procédé, il rend hommage à l'inventeur " collectif " en l'arrachant à sa banalité pour le réactiver, inventer à son tour.
Dans ce procédé, " Qui est l'auteur ? ", Ph. Dubois, interrogeant (7) le lecteur de son commentaire qui accompagne le diaporama sur le collage du CNDP, signale en même temps que Max Ernst efface le plus souvent le nom ou la griffe du graveur qui figurait sur l'image d'origine, on peut remarquer en tous cas que la signature grattée ne fait place à aucune autre marque : ni la signature de Max Ernst, ni le masque d'un autre motif.
On peut s'interroger sur l'objet de l'emprunt en notant que la gravure d' origine " la femme escamotée " met en scène un numéro d'illusionnisme où la femme précisément disparaît . De la disparition à la réapparition métamorphosée, il y a une interprétation de l'image, et non pas une utilisation d un matériau détaché de sa finalité représentative initiale . Le sens qui surgit de ces collages, et particulièrement en ce qui concerne " la rencontre de deux sourires " - autre oeuvre citée par Ph. Dubois - doit à celui d' une image de fond et ne résulte pas seulement de " la rencontre fortuite de plusieurs éléments relevant d'images séparées " .
Cette image de fond dont le passage à la limite serait cette " inimage' dont René Passeron s'exhibe par simple " ablation ", opération quasi-chirurgicale puisqu'elle consiste à " tailler dans le vif d'une image " . Opération de refus de l'image d'autant plus incisif qu'il s'appuie sur son " respect " . Image latente, que le plaisir organise et c'est pourquoi il en sera davantage question plus loin (IVème partie: " Au plaisir "), notamment pour cerner de plus près la productivité de ce rapport à l'image dans ma pratique .
Il est à noter dès à présent combien ici deux questions interfèrent puisqu'en effet, c'est le refus d'adhérer à l'image publique qui est à la source de l'inimage et en même temps, le plaisir qu'on y prend autorisé de son analyse respectueuse .
Que " les monstres " soient produits par combinaisons de fragments d'images séparées, ou qu'ils soient issus d'une décomposition-recomposition d' une seule et même image, une image en appelle une autre qui définit la personne par l'acceptation ou le refus de la précédente .
Il n'est cependant pas possible d' assimiler tous ces cas pour y voir des symptômes de l'Autre; ces exemples n'affichent pas tous et, de la même manière leur référence à l'autre et à autrui, même si implicitement la personne y est mise en oeuvre, ici comme ailleurs.
À cet égard, il est nécessaire de préciser l'hypothèse proposée par J. Gagnepain et rappelée comme suit par Ph. Bruneau dans un article sur " le portrait " (8) :
" À mon avis, dans la définition du portrait, on ne peut se tirer d'affaire
sans la dissociation (...) du sujet et de la personne par laquelle nous sommes
capables d'analyser notre appartenance à l'espèce, c'est-à-dire que, sans cesser, comme sujet animal, d'être un spécimen interchangeable, nous la nions en nous posant comme autre, en instaurant dans sa continuité biologique la rupture qui nous fait tendre à la divergence ".


1- LA NEGATIVITE INITIALE ET LE MEURTRE DU PERE


Mes interventions sur l'image de Pinocchio, même si elles la détruisent, lui doivent aussi, précisément par la négation qu'elle suggère en tant qu'image sécurisante de l'élève joyeux et confiant dans l'école, miroir idéologique de l'obéissance.
L'image de Pinocchio porte en effet une injonction à obéir : elle est celle de l'album à colorier, des zones " à mettre en couleur ", sans dépasser. Elle prétend éduquer le geste en le limitant à une zone pour développer ainsi sa " maîtrise ". Dès lors, ma pratique ne pouvait que singer ce qui m'apparaissait comme parodie de " hard edges ".
Mais c'est essentiellement par le découpage que se réalise le rapport iconoclaste avec la vignette autocollante. Elle se colle toute seule et même sur soi, trop " collante " en somme. c'est que l'image de type Walt Disney accentue un travers de l'éducation : il suffit d'en tracer le contour et se profile une autre silhouette qui rapproche ce Pinocchio de l'oiseau, voire du canard métaphore dont se sert Maud Mannoni (9) pour décrire certains " enfants arriérés ". Par cet "autocollant" Pinocchio apparaît, en effet, massif, ramassé sur lui-même, " rondouillard à la limite de la boule de ce dessin d'une agrégée"- coïncidence? - Les membres de Pinocchio, version " Walt Disney ", sont plus affirmés, comme pour le clouer au sol et le rendre, par ces boulets, encore plus empoté. Les pieds ainsi lestés, on ne peut imaginer qu'il puisse se mouvoir autrement que selon la démarche " maladroite " du canard.
A l'époque où je commençais ce travail par référence à Pinocchio, je pratiquais parallèlement des exercices d'écriture, en répétant une dictée extraite des " contes du chat perché " de Marcel Aymé. Là encore le fragment de texte, " morceau choisi " par les bons soins de l'éducateur, mettait en scène l'image de deux bons élèves. Je m'attachais alors à brouiller la lecture pour rendre visible la facilité du geste de l'écriture avec parfois le désordre des taches et des surcharges.
La charge négative qu'il y eu dans ce dépeçage initial - mise en pièces de l'image, opération privative de sens - fait donc partie d'un réglement de compte avec les "éducastreurs "de tous poils qu'ils soient ou non de métiers. Et par-delà le conflit avec l'école, c'est Œdipe revécu. En témoigne le choix d'une image commune que l'histoire de l'art ne prend pas à son compte telle quelle, mais sous condition de remédiatisation, " warholisée ", "lichtensteinisée ", "rancillaquisée ".
Ainsi la même image est tantôt appréhendée comme un stéréotype aliénant, tantôt comme une promesse d'ouverture sur les arts qu'on ne dit pas " beaux ". Par cette ambivalence, ou bien je pervertis le protocole habituel de la reproduction d'une image en couleur - déviant l'utilisation du matériel, préférant recombiner l'image approximative de Pinocchio à partir de l'envers des morceaux de planches découpés (" CHIO ", cf. Album p.1, 2, 3) ou du même fragment répété de son dessin (SERIPHOCCHIO et SERIGRAPHOCCHIO - cf. Album, p. 18 et 19) - ou bien je concède à la vignette ses
douze couleurs les prenant pour code, ou une partie des cernes qu'elle présente, les prenant pour diviser la surface du support. Cette attitude alternée se repère encore dans la plus ou moins grande soumission de l'image au format du support (cf. " Ne talv ket ur boen ", Album, pp.52-55 ; et aussi dans les études préparatoires de " Laket hé én TU-rall ", album, p.26 )
Cette expression de négativité tempérée face à une image de base n'entame pas la question du respect ou de l'irrespect vis-à-vis des antécédances que l'histoire de l'art a consacrées. Elle est cependant du même ordre.

2 - LE MEURTRE DU PERE ET LA RECONNAISSANCE DE DETTE


La charge oedipienne ne se manifeste pas toujours avec l'éclat de l'effaçage d'un travail de W. de Kooning par R. Rauschenberg. Le meurtre du père ne s'accomplit pas non plus forcément de façon fracassante, dans le dénigrement de l'art tout entier . Et de la même façon, la reconnaissance de dette qu'est l'hommage, n'a pas besoin d'être ostentatoire .
Le simple dessein de faire une oeuvre originale témoigne déjà du procès. D'abord, et à titre d'indice, 1'édition de 1948 du dictionnaire " Larousse " donne 1a définition suivante de 1'originalité :
" Qui sert de modèle et n'en a point eu; ex : tableau original "
Ensuite, 1'avant-garde qui 1a revendique n'est-i1 pas emprunté lui-même au vocabulaire militaire ? René Passeron note à ce propos (10): " Ce mûrissement, qui fait de 1'emprunt un choix et de 1'influence une révolution, implique, chez le peintre, une intention essentielle de s'arracher à la répétition possible, et en générale, confortable, de ce que ses maîtres directes lui ont appris; il y a un jeu, pour certains, et, pour d'autres, de la révolte, il y a toujours de la combativité à la racine de l'activité créatrice ".
Considérons encore ce tableau d'Equipo Cronica qui rassemble les maîtres et dotte chacun d'eux d'une arme : " Summa Artis ".
Ajoutons encore " En garde ", cet intitulé d'exposition que Sylvie Zavatta voudrait ne pas prendre au pied de la lettre (11).
L'oeuvre exige aussi le support de 1'autre qui se réalise dans 1a relation avec le maître, l'amateur, le critique, tous ceux qui placent l'artiste dans la condition d'un apprenti, dans la situation d'attention et d'écoute.
En témoigne " La ronde de nuit " de Rembrandt. Si la question est posée de savoir quel est le portraituré qui y figure en porte-étendard - voir à ce sujet l'étude d'Ulysse Moussalli - c'est que1'autre est toujours 1e passager clandestin. Ainsi, le portrait d'Honthorst, un des maîtres de Rembrandt, serait à côté de l'autoportrait de celui-ci bien que la seule obligation imposée à l'artiste par la commande soit de figurer Frans Banningh Cocq, " le jeune seigneur de Puimerland qui en tant que capitaine, ordonne à son lieutenant, le seigneur de Vlaardingen, de mettre en marche sa compagnie de la garde municipale " - inscription attenante à un dessin aquarellé d'un album ayant appartenu à Frans Banningh Cocq lui-même, précise Ulysse Moussalli - Et si Rembrandt parvient ainsi à s'acquitter d'une partie de sa dette, il est à remarquer que son regard n'est pas rivé à l'étendard d'Honsthorst; il regarde ailleurs (12).
Reste l'autre partie de sa dette.
L'autre n'est pas seulement là avec l'image du maître, de l'amateur, du critique, du mécène ou du marchand, l'autre et le sujet coagissent, et i1 s'agit de répérer leur collaboration ou leur division dans la production de l'oeuvre. Reste donc l'autre partie de sa dette, celle dont le débiteur qu'est Rembrandt ne se libère pas par une quittance ostentatoire : le luminisme d'Honthorst. Le luminisme de Rembrandt lui rend hommage mais avec une nuance : ici, 1a distribution des zones de lumière se moque de la logique de l'éclairage et 1a figure des deux jumelles tend à se dissoudre en une tâche de lumière.
La reconnaissance de dette se confronte au meurtre " symbolique " du père ; deux procès qui ne sont pas exclusifs l'un de l'autre.
En témoigne encore cette toile aussi exemplaire par son titre, " Le peintre et son modèle " de Matisse. Dans son rapport au traitement plastique de l'intérieur, le paysage entrevu par la fenêtre apparaît comme le fragment d'un autre travail, celui d'une toile qu'aurait pu faire son ami Albert Marquet. L'architecture du chevalet reprend en écho, par ses obliques, l'embrasure grillagée de la porte-fenêtre. Entre les cieux prend place la figure du peintre; figure vide, seule sa silhouette apparaît, aux contours simplifiés, peu soucieux des détails et sans volume. L'ouverture de la fenêtre fait entrevoir un paysage réaliste avec notamment un bâtiment représenté dans les détails de son architecture. L'hétérogénéité du tableau tient surtout à ce rapport de la figure et du paysage proche de l'antagonisme. Certes, le peintre " ne tourne pas le dos " au paysage, il articule même les deux zones du chevalet et de la fenêtre; mais notons que le modèle est doublement représenté et avec un parti pris proche du traitement de la figure du peintre, Matisse s'éloignant ainsi de la facture d'Albert Marquet.
Le rapport à l'autre est la problématique posée par certaines oeuvres présentant des objets personnels en l'absence de leur propriétaire.
" Les vieux souliers aux lacets " de Van Gogh ont ainsi polarisé les études et notamment celle d'Heideger, de Meyer Schapiro et enfin, celle de Jacques Derrida - dans " La vérité en peinture " (13) - 0n mesure à l'ampleur de leur débat le rendement élevé de la fonction métonymique du fragment.
Plastiquement pourtant, nul fragment : l'espace présenté est fermé par une zone qui fait le fond et le tampon entre le motif des souliers et les bords du tableau. Bien que, par ces faits, l'illusion du plan illimité n'a pas lieu qui aurait pu favoriser un rattachement fictif à quelqu'un, - celui dont Heidegger, Meyer Schapiro se disputent l'identité - le regard posé sur ces souliers en éloigne et se détourne vers celui - le fantôme dont parle Derrida- susceptible de les chausser. La fiction fait le vide autour de l'analogon qui devient alors fragment de quelqu'un, objet personnel, autoportrait par 1e détour d'une " représentation diplomatique ": les souliers, substitut d'une figure.
L'intérêt de l'analyse de Derrida est de relier la fiction de la reconnaissance de dette en montrant que celle-ci est propre au métier qui établit les obligations de chacun (14). L'obligation ici n'est rien moins que de dire " la vérité "
à l'exemple de Cézanne qui la devait à Emile Mâle : " je vous dois 1a vérité en peinture " lui disait-il. Un peintre et un des porte-paroles du métier de peintre se rejoignent dans l'absolutisation de leur être par la parole et par la peinture.
Derrida montre aussi que cette fiction est basée sur un accord tacite entre Heideger et Meyer Schapiro qui, tous deux, font des " vieux souliers " une paire. En cela il est proche de l'analyse de Lacan pour lequel " la croyance suppose le support de l'autre " (15). La fiction suppose ici, en effet, une croyance partagée.
Montrer l'éloignement de l'étude des " vieux souliers aux lacets " - ce mouvement " fort " dont parle aussi Heideger qui marque ici la " proximité " (" da ") de1a peinture - par l'effet de l'acquittement recherché, c'est marquer de la prudence et de la patience pour cerner le concept. S'en rendre compte suppose qu'on tienne pour un raisonnement ce qu'on prend vite, dans la hâte d'aboutir à une conclusion (porteuse de vérité) pour de 1a ratiocination - hâte à se débarrasser, là aussi, d'une dette, celle contractée par 1e fait d'avoir pris un livre intitulé " la vérité en peinture ".

En l'occurence, l'attribution par Heidegger des " Vieux souliers " à une
paysanne va dans le sens du travail de Van Gogh qui avait une dette envers le monde paysan et qui, pour s'en acquitter, voulait peindre une " véritable peinture
paysanne " avec des paysans " peints avec la terre qu'ils ensemencent ". Il en fait,
lui aussi, une soif de vérité comme plus tard avec les estampes japonaises qu'il
copie. La dette, alors, change de créancier;.mais, dans le même temps, elle récu-
se les pères de l'histoire de la peinture occidentale à l'exemple de beaucoup
d'autres qui empruntèrent aux arts non-occidentaux ainsi que l'a montré Jean Laude (16).

3 - LA RECONNAISSANCE DE DETTE ET LES EMPRUNTS


La réalité des produits concrets offre parfois une apparence fragmentaire
de déjà vu, de déjà fait, qu'il s'agisse de l'hommage explicite ou de la citation.
Et les exemples ne manquent pas où s'exerce le prégnance de modèles qu'ils soient d'autres temps - l'antiquité greco-latine a servi et sévit encore dans les beaux-arts occidentaux - ou d'autres lieux - la confrontation avec les produits non-occidentaux a réactiver les recherches en occident au début de ce siècle - mais les cas sont moins nombreux où il est possible de rapporter telle oeuvre à telle autre précédente ou contemporaine.
L'oeuvre de Pablo Picasso en comporte toutefois de fameux; citons :
· Le.Déjeuner sur l'herbe
· L'enlèvement des Sabines
· Les femmes d'Alger
· Les demoiselles de la Seine
· Les ménines.

Son attitude vis-à-vis des oeuvres correspondantes de Manet, de David, de Delacroix, de Courbet, de Vélasquez se précise quand on l'oppose à celle de René Magritte qui peint " Perspective de Madame Récamier de David ". Tandis que la rencontre entre ces derniers tient à une image et à sa célébrité, l'intérêt de Picasso se porte sur le problème plastique posé. A cet égard, il est intéressant de rapprocher sa pratique d'emprunt de celle de Louis Cane dont le travail prend aussi d'autres oeuvres pour support (17) - celles de Matisse, d'Uccello, de Manet, d'El Greco, et de Picasso lui-même - Ce sont avec Cane plus que des hommages sporadiques rendus à des oeuvres : à l'inverse de Picasso qui soumet celles-ci à sa fabrique, Cane définit sa problématique à partir d'elles; et au lieu de les réduire à l'unité de son style, il en déduit plusieurs, les pratiquant conjointement. Leur voisinage concurrent ou concourant sur une même toile établit une solidarité - parité célébrée - entre les peintres, ses pairs et ses pères, de cette façon convoquée (18). Si l'attitude de Cane se différencie de celle de Picasso; ils sont encore proches si on songe à les opposer à celle de Lichtenstein, d'Equipo Cronica, ou même à celle de Loulou Picasso. Bien que ce dernier utilise le mélange des styles, citant Juan Gris, Georges Braque, Lempika, Malévitch, Pougny ou Pollock comme le réalisme photographique - un emprunt peut en cacher un autre - et mélange parfois le sien à celui des autres du groupe Bazooka, le souci y prédomine de faire participer l'autorité de ces références à l'efficacité du message à communiquer. Quant à Equipo Cronica, leur visée de communication par l'image doublée de la " distanciation " brechtienne aboutit à une pratique de citation où la facture est gommée. Reste l'image, mais avec une certaine facture propre à beaucoup d'affiches sérigraphiées.
· un emprunt peut en cacher un autre -
Attitude proche de celle de Roy Lichtenstein qui passe son musée imaginaire à la " moulinette " de " ses " trames, unifiant les particularismes par l'effet du style " typographique " (19).
" Un emprunt peut en cacher un autre ": il n'y a pas ici l'intention anti-art de Marcel Duchamp qui réduit une reproduction d'une toile de Rembrandt à la fonction de planche à repasser ou fait un pied de nez à la Joconde en l'affublant d'une moustache et d'un autre titre. Son dénigrement s'oppose à l'hommage des autres, mais leur action vise les mêmes choses : ce sont les oeuvres célèbres. La rivalité favorise l'emprunt.
Ajoutons à ces travaux d'emprunt celui d'Erro, d'Art & Language, de Kosuth, de Giulio Paolini, d'Alain Jacquet. Il ne s'agit là que des emprunts ostentatoires - et l'arbre, ici aussi, cache la forêt " - mais le fait de montrer l'emprunt c'est, en plus, faire déjà une analyse d'un procès qui définit et destine l'artiste. Il est significatif, à cet égard, que Florence de Méredieu parle de " filiation " et " d'engendrement " des styles " à leur propos : c'est que le père est au coeur de l'emprunt, qu'il s'agisse de le tuer ou de lui rendre hommage.
Qu'en est-il maintenant des emprunts dans ma pratique ? Après le morcellement de l'image et le réassemblage des morceaux qui emprunte à Bellmer son jeu combinatoire, intervient la couleur. Ce troisième temps s'apparente à un aspect de la pratique d'Alechinsky: les fragments d'image jouent la môme fonction de provocation au travail que les actes notariés et les titres de propriétés auxquels se juxtaposent ou se superposent ses peintures et gravures. Ils font perdre, par l'effet de leur découpage et de leur pose en tous sens, le référent Pinocchio. S'ils donnent lieu à des monstres, c'est de façon occasionnelle et limitée; ceux-ci cohabitent avec d'autres interventions : ainsi, SERIPHOCCHIO et SERIGRAPHOCCHIO (cf. Album, p, 18 et 19) présentent trois formes. Si l'une est monstrueuse, l'autre n'est qu'une bande qui reprend en écho le bord du format, tandis que la troisième désigne l'emplacement de la planche, matrice et module du réseau. Les monstres sont restés une " tentation " comme ce " cahier de dessin " transposant en images le principe de morcellement combinatoire producteur des " cent mille milliards de poèmes " de R. Queneau (20). (Et ils n'ont pas non plus le réalisme des figures caricaturées d'Helen Oxenbury surgissant du " pêle-mêle " des pages découpées de son livre (21). Ils m'interrogent malgré cela et peut-être à cause de cela : leur présence pourrait bien être ailleurs; par-delà le procédé de fabrication des agglomérats qui visuellement les constitue, je les interprète comme les symptômes d'un corps morcelé ". En ce sens, c'est l'hétérogénéité qui est vécue comme monstre; et je la repère, non seulement à l'intérieur d'un même produit, mais, d'un produit à l'autre, en conflit avec le projet unitaire. Pour ce qui concerne chacun des produits, il se pourrait qu'ils portent les marques de l'autre aussi sûrement que ceux désignés parfois " oeuvres collectives": tels ces cadavres exquis, ce tableau effacé de W. de Koonig par Rauschenberg, celui modifié de Mortensen par ses complices du groupe COBRA, ces inclusions d'épreuves d'Alechinsky par Arman, etc ... C'est que les fragments qu'on peut y déceler, zones issues de la division du format, fragments de l'image elle-même (" GROCCHIO ", cf. Album, p.10 et 11), formats assemblés (" Laket hé én TU-rall ", p. 26,27,28, " Peinsérature ", p. 56, 37), châssis à demi séparés de la toile (" Ne talv ket ur boen ", p. 32., "ROC ! torred eo ", p. 28, " Seinture ", p. 38), châssis lui-même fragmenté (CHIO eid tameu koèd dastumed, p. 30,31 ) témoignent de la part des autres dans cette production morcelée les convoquant tour à tour par des façons de faire différentes qui empruntent, singent ou contrefont.
Revenons-y : " A IO atav ", cf. Album p. 20, 21, " OCCHIO " p. 22, 25, " Ne Talv ket ur boen... ", p. 32, 33, " SERIGRAPHOCCHIO ", SERIPHOCCHIO ", p. 18,19, présentent une partition de leur surface par laquelle les façons de peintres - autant que les façons de peindre - différents se composent. Ainsi la partition en étages de " a IO atav " commence (de bas en haut) avec une pratique qui singe le coloriage et la répression du geste qu'il comporte, pour ne pas dépasser et réaliser les zones plates sans la moindre variation qui monterait trop la pulsion. Ce principe, présenté comme l'élément valorisant de l'image du type Walt Disney est toutefois repris avec une légère nuance qui voudrait désigner la parodie : l'ordre des douze couleurs n'est pas asservi aux motifs; plus de short rouge et de noeud de papillon bleu mais des zones de couleurs cernées de noir. Par-dessus, la perversion gagne et la forme du noeud " papillon " délimite une seconde zone, sans souci des fragments d'image combinés auxquels elle se superpose. Le brouillage s'achève dans une troisième zone à la manière " all-over " mais dérisoire par sa taille. La dernière zone laisse vierge le réseau comme un ciel d'Arroyo citant " 'l'abstraction lyrique " (puisqu'il y a un bas et un haut dans ce produit) c'est-à-dire avec l'illusionisme du plan illimité correspondant à la répétition sans fin du même fragment d'image; plages blanches à la manière de " l'Hourloupe " proliférante de Dubuffet à qui le produit doit encore.
" OCCHIO ", p.22, 25, est composé suivant ce même principe de division par étage mais superposé à un fond de papier en feuilles de cahier qui impose son " architecture " tandis que son ordonnancement orthogonal obéit rigoureusement au format de la toile (minimalisme enfoui qui n'affleure que par bribes). Autre élément différenciateur, la succession en bande transversale des plus petites zones de l'image, de même que la bande brisée suivant la disposition des fragments modulaires et à la rencontre de certaines lignes de l'image. Ces deux bandes doivent à Arroyo une certaine bande de couleur qui court d'un point à l'autre de l'image. Arroyo est " décidément " présent, et il me rappelle sa parodie des styles " dans le respect des traditions " qui serait alors à l'origine de cette division par styles et par zones séparées.
" Ne talv ket ur boen... ", p. 32, 33, comporte la logique de Max Bill confrontée à la déductivité des formats en forme de F. Stella. Chaque rupture introduite par le fragment modulaire est l'occasion d'un changement sinon de style, du moins, de mode d'occupation de la surface.
Si je soumets ce format tronqué à une solution Max Billienne, telle qu'en traçant intérieurement les parallèles aux bords passant par un angle, quatre premières lignes droites s'en déduisent qui, orientant le marouflage des fragments d'image, donnent lieu à deux autres parallèles; celles-ci engendrent à leur tour deux parallèles. En conjugant ce système de lignes avec la structure déductive de la sous-couche de feuilles de papier vierge s'ordonnant par rapport au coin coupé, j'obtiens un réseau régulateur qui taille lui-même dans l'image, la soumettant à son ordre sans souci de son dessein. Ainsi, le fragment de vignette ne fait plus image ; par ces faits de collage et découpage, il est subordonné à une géométrie exorbitante, négatrice de son référent Pinocchio.
Quant à SÉRIPHOCCHIO et SÉRIGRAPHOCCHIO, p. 18,19, ils rappellent par les trois formes de base trois pratiques aux motivations différentes : un monstre pinocchiesque rassemble mes souvenirs d'Adami, seule image entre une bande élément de " structure déductive " propre à F. Stella et une surface rectangulaire bleue renvoyant indirectement à l'empreinte de la planche et aussi à celle de l'éponge de Viallat . Entre ces trois formes SERIGRAPHOCCHIO développe un " dialogue " triangulaire : le monstre pinocchiesque brandit son semblant de poing, ou bien la bande se barriole - elle doit alors à Arroyo plus qu'à Stella - des douze couleurs de Pinocchio en traversant le réseau, ou bien encore, la surface de l'empreinte se rétrécit en éventail jusqu'à la verticale de la bande. Une analyse similaire pourrait être menée s'agissant des autres produits déjà signalés.
L'hétérogénéité se constate aussi par les différences de propositions d'un produit à l'autre :
il n'y a pas, d'abord, unité de référent; l'image de Pinocchio ne se retrouve pas, en effet, dans " ROCCHIO ", p. 4, 5, 6, 7; " VUROCCHIO ", p. 8, 9; " SÉRI " , p, 14,15 ; " SÉRIPHO " , p, 16 ,17 ; " COEURS PEINSÉS " , p. 42 , 45 . Si cette diversité sémantique (dessin d'enfant, pique-nique sous-bois, une visiteuse devant l'Annonciation de Léonard de Vinci) ne suffit pas à établir le caractère disparate de l'ensemble, elle est du moins l'indice d'une diversité d'emprunts qui doit être distinguée d'une diversité de techniques d'autant plus qu'en cours d'activités, ils se présentent dans la confusion. (Tout occupé que je suis à réaliser ce que je crois être les opérations techniques, il s'avère que c'est une recette que j'applique rigoureusement, cédant à l'argument fallacieux de " la contrainte purement technique ". Placé dans ces conditions, il est clair que " le respect des traditions " comme leur transgression ne peut réellement avoir lieu puisqu'on croit être technicien quand on est imitateur.)
Les pratiques de la peinture, gravure et sérigraphie étaient initialement séparées autant par leurs lieux sociologiques que par leurs modes techniques de réalisation. Et en orientant progressivement mon travail vers leurs interférences, alliances " monstreuses ", des " influences " de divers milieux furent rassemblées dans leurs divergences. Chaque produit comporte ainsi comme le fragment de la production d'un autre.
" VUROCCHIO ", p. 8, 9, introduit avec la photogravure une pratique qui apparaît nettement étrangère à l'ensemble des travaux, de même que " SÉRI ", p, 14,15 et " SÉRIPHO ", p, 16,17, avec la photosérigraphie. Par elles, je rencontrai les milieux des imprimeurs et graveurs " industriels ", directement pour le travail à faire, indirectement par les livres de leurs techniciens, surtout Alain Bargilliat (22) et Michel Caza (23). Pourquoi fallait-il aller à eux ? La raison de leur savoir-faire n'est pas la seule; les trois réalisations citées ont en commun d'être attentives à la fonction du réalisme photographique, c'est-à-dire à cette fiction qui ancre une fascination pour l'image dans un rapport très serré qui ne peut s'établir de la même manière avec une image aussi irréaliste que le Pinocchio de Walt Disney.
Et ce rapport est d'autant plus serré que les images de base, ici, ne sont pas déjà faites. Ce sont des " prises de vue ". L'expression consacrée renvoie à la capture; ce sont des prises ... " à mes yeux ". Cette autre locution adjointe signale le piège d'une appropriation du visible par l'appareil photographique : les images me captent à leur tour. Et ces photos font ainsi les évènements de mon histoire subjective autant si ce n'est plus qu'elles ne les rappellent. Voulant accentuer cet effet mémoratif de la photo, je la combine à la gravure par la photogravure. La gravure apparaît en effet comme la technique privilégiée de la mémoire historique : ce qui fait date est gravé et vice versa. Le choix des matériaux les plus durs et les mieux à l'abri de la détérioration prend alors de l'importance. Multiplier une image qui n'a d'intérêt que pour l'album de famille c'est la montrer comme telle, poussée de fièvre narcissique qui fait des conserves.
Attachée à les bien faire, elle sacrifie alors entièrement au protocole institué. Et, de ce fait, croyant saisir le personnel, ce qui m'appartient en propre, je réalise ce qu'il y a de plus impersonnel, de plus stéréotypé. Inversement, en choisissant une image de base impersonnelle, celle de Pinocchio de Walt Disney, je me l'approprie indépendamment de son découpage et de son collage par le simple fait de sa reproduction. Même si j'utilise un procédé dit " mécanique " - à moins de disposer d'un double - je ne peux en effet réduire la différence qui me sépare du mode de production dominant au point de réaliser une parfaite duplication. Autrement dit, quand bien même je le voudrais, je ne peux contrefaire totalement. Par analogie avec la conversation, la production artistique (beaux-arts et " lézards " confondus) s'inscrit dans un échange où la question de l'auteur n'a lieu d'être que par ses manifestations extrémistes de paranoïa ou de schizophrénie. Si, dans l'entretien, celui qui parle, l'interlocuteur, se situe entre les locuteurs, celui qui agit est dans une entreprise dont il n'est toujours que le collaborateur.
Combiner des morceaux réalisés par d'autres, c'est vouloir affirmer combien ils sont présents dans l'ouvrage. Le mythe de l'originalité dont parle G. Lascault a le bricolage en aversion et " l'authenticité " veut ignorer le simulacre - en est-elle un qui s'ignore ?
C'est pourquoi mon attention se porte aussi bien sur les emprunts dont je me suis servi consciemment (le rapport à l'image typographiée de Lichtenstein, les interpénétrations d'images d'Adami, les " shaped canvas " et la série des oiseaux exotiques de Stella et ceux déjà mentionnés ou à mentionner plus loin) que sur ceux qui me sont révélés rétrospectivement. Ceci m'amène à suspecter les " parentés " que je découvre après coup et à les considérer comme des emprunts bien souvent.
Tels ces " benches " de tom Philipps que j'ai rapproché tardivement de " Laket hé én TU-rall " en regardant une reproduction que j'avais déjà vue dans un moment d'attention distraite (non de distraction) dont je ne me souviens pas.
Tels ces " assemblages " de Dominique Gauthier combinant des fragments de tulle et de toiles peintes travaillées séparément.
Tels ces reports de fragments de peinture, taillés en forme, puis arrachés par la tarlatane encollée.
Telle, la pratique de J.Y. Langlois jouant de la rencontre de la gravure et de la peinture.
Telles ces toiles brûlées et lacérées de Joan Miro en exibant la peinture comme " pansement du vide " que révèle René Passeron et qui rejoint ici la pratique du " trou et de l'écran " de la sérigraphie.
Tels ces fragments de cadre de fenêtres par lesquels Pierre Buraglio abolit en même temps " la fenêtre sur le monde " (M. Pleynet), tels ses assemblagres agrafages qui montrent ce qu'ils camouflent.
Tels ces châssis qui n'en sont pas de Daniel Dezeuze, l' "hourloupe " sans fin de Dubuffet, les drippings surt plexiglas par-dessus des matières diverses de Pollock, ces " ré "vélations " de Malaval proches des métamorphoses par la couleur de Jasper Johns, cette collaboration de Dotremont et d'Alechinsky.
Ceci m'amène aussi à une particulière attention aux rencontres que je rapporte à mon travail; Paolo Gioli et ses interférences de la photo et de la sérigraphie, Curt Asker et le rapport au vide de ses structures volantes et ce bloc de terre projetée, accrochée au grillage, qu'elles aient lieu par analyse ou interprétation.
Est-ce à dire qu'en traquant le fantôme de l'Autre par ce qui en serait les fragments, la production ne vise qu'à éponger sa dette ?
Le degré variable d'intégration des fragments, qu'ils apparaissent nettement rapportés par leur registre formel (comme dans cette oeuvre de Enrico Baj, " Adam et Eve chassés du paradis ") ou qu'ils s'intègrent subrepticement au plagiage comme dans ce faux tableau imitant Gauguin, n'oppose pas seulement la parodie au pastiche : c'est pourquoi ils sont bien mal avisés les dénonciateurs zélés qui ont instruit le procès d'Ingres pour le présenter comme " pilleur d'images " (24). La provenance du fragment identifié, il reste encore l'intervention de celui qui s'en est emparé : qu'elle soit banale ou " originale ", qu'elle appartienne aux médias de l'information ou au milieu des beaux-arts, la question de l'invention est déplacée et ne porte pas sur la fabrication de l'image mais sur la façon dont les fragments sont transformés en eux-mêmes ou par leur assemblage. La manière de combiner les apports ou d'en articuler un à sa " propre " production est à elle seule un problème.
" Laket hé én TU-rall ", p. 29, 31, peut être apparenté aux " benches " de Tom Phillips mais les trois toiles assemblées puis peintes " en forme " peuvent l'être aussi aux " shapeds canvas " de Stella. Si j'utilise en effet une image publique - Tom Phillips utilise une carte postale - pour en déduire des bandes colorées égales en nombre aux couleurs répertoriées, aucun texte n'y est adjoint et les bandes se conforment pour la plupart au format jusqu'à la tranche y comprise : il s'agit de peindre un objet. Le travail à faire est défini par la rencontre des fragments assemblés avec ces bandes de couleurs - un troisième emprunt intervient donc par ce marouflage de fragments d'images; Alechinsky n'est pas loin.
La couleur, opaque, dans son rapport au réseau sert de masque révélateur : elle dégage ainsi et d'abord par le jeu des douze bandes parallèles, douze fragments de lignes, en les différenciant au maximum. Retour de l'image sur elle-même par sa couleur revue et corrigée en sa surface par le format. Puis, elle s'interrompt à la lisière-diagonale qui la sépare du réseau linéaire des cernes enchaînés. Le troisième moment est une traversée en demi-masque. Les trois formats délimitent de cette façon trois lieux de théâtre où se joue à chaque fois un évènement différent noué comme une rencontre renouvelée par le format de deux composantes de l'image : la couleur et le dessin.
J'ai déjà signalé combien une certaine négativité pouvait être à l'origine de cette production; c'est encore elle à mon sens qui me fait sortir des " beaux-arts " - quitte à y revenir - pour aller vers les " arts et métiers " (25).
Certes tous mes emprunts aux arts plastiques ne sont pas en même temps redevables à d'autres métiers par un principe technologique commun; mais c'est la référence à cette raison technologique échappant au sujet qui suscite mon intérêt pour les démarches qui affirment le décentrement du sujet : Sol Levitt, Jasper Johns, Tom Phillips, J.F. Dubreuil opèrent le retour sur la condition même de l'opérateur qui s'efface par l'observance d'une règle de production choisie, le développement du cube ou un nombre de couleurs et de produits liés à la forme d'un chiffre ou aux couleurs d'une carte postale, un code de transcription des unes de journaux. c'est d'un parti pris qu'il est question alors. Et si les " Jeux graves " de G. Dupuis ont soutenu le déblocage des articulations du rapport imprimant-imprimé, figé par une pratique " de métier ", " l'invention en gravure " (26) les complète en l'ouvrant par la référence aux trois principes du " creux et du relief ", du " trou et de l'écran ", du " passage ". Principes technologiques incorporés tant aux produits qu'au matériel, par une analyse implicite doublant les intentions du sujet - l'opérateur fait toujours autre chose que ce qu'il croit faire - qui réaffirment autrement le décentrement du sujet. Enfin, par la même attention à la raison technique que la raison ne connait pas, deux autres démarches théoriques confrontent ici leur questionnement : " la théorie de la médiation " (27) et " la poïétique " (28).
Les emprunts effectués ignorent donc aussi la frontière théorie pratique, vécue trop souvent comme une coupure, voire une antinomie que soutient le partage social du travail entre les métiers de praticiens-plasticiens d'une part et de leur porte-paroles d'autre part .
A ce stade, la question de l'auteur s'estompe; elle amorce celle de l'échange qui pose deux problèmes : celui de savoir comment l'identité est vécue et celui de la productivité de l'échange lui-même.

4 - LA " CRISE " DE L'IDENTITE


Parmi les emprunts signalés ou suspectés, une distinction s'impose entre un emprunt-cible et des emprunts-flèches puisqu'en somme, l'appropriation de l'image - emprunt-cible - que réalisent les découpages, la reproduction et l'assemblage s'appuie sur des pratiques autres - emprunts-flèches - qui ont en commun de contribuer à l'émancipation de ma conduite. La mise en pièces de l'image idéologique de l'obéissance - ce Pinocchio de Walt Disney à la démarche de canard - s'effectue avec l'aide, le support d'autrui par l'entremise de son oeuvre dont les enseignements sont fonction du problème que je me pose, ce qui assure ma différence.
Les exemples de monstres signalés par Claude Roy et Gilbert Lascault ne sont pas tous des assemblages compliqués d'emprunts tous azimuts. Ils n'affichent pas tous et de la même manière leur référence à l'autre et à autrui même si la personne y est également mise en oeuvre.
Parmi les oeuvres reproduites par Claude Roy et citées plus haut, les armoiries d'Albrecht Dürer sont comme une exception; elles signalent clairement en tant qu'armoiries soumises à un régime juridique contrôlé l'appartenance à la chevalerie, la noblesse militaire, le casque est là pour l'établir. Mais en tant qu'armoirie particulière, l'écu à la tête de mort contre-balance singulièrement cette monstration de statut social. Albrecht Dürer s'est approprié le système commun des armoiries en opposant les armes extérieures aux armes intérieures, leurs deux parties principales. Ce rôle des armoiries de signal du classement social, quelque peu dévié ici ne se retrouve pas s'agissant des autres oeuvres citées.
Pour les rejoindre, il faut parler du protocole qui règle l'héraldique. Dans la pratique modèle, l'écu porte des " pièces honorables " et exhibe les deux lignages; l'image sociale du quidam est déjà là par deux insignes antérieures à son vécu et qu'il ne fait que " marier ". Un nouveau motif se compose par la réunion des motifs antérieurs donnés par hérédité et par mariage. L'image est donc reçue d'autrui qu'elle célèbre par reconnaissance de dette et de l'autre qui contribue à confirmer le classement antérieur. A ces motifs s'ajoutent des éléments liés à d'autres procédures d'alliance : on concède son insigne en reconnaissance d'une aide militaire à qui juge bon de s'en honorer.
Si l'on rapporte maintenant cette pratique à son principe fondateur de classement et de dette, on est amené à l'actualiser. Dès lors, les cartes d' identité et de visite, le registre d'état civil et ses fiches, les badges et les macarons, les marques commerciales rejoignent les armoiries. Ajoutons-y ces maillots des vedettes du football déchirés par leurs supporters, ces boutons arrachés par lesquels la gloire de l'autre se distribue et se dispute. Ces insignes et il y en a bien d'autres, ont suscité bon nombre d'objets du Pop'art où se dessinent et se peignent l'importance et la parodie de ces images montrant l'appartenance sociale. Ainsi, la remarque de Laurence Alloway concernant la pratique de Mel Ramos (29) : " la technique artistique ondoie à travers le schéma héraldique ", peut s'étendre à bien d'autres productions du Pop'art.
Citons :
John Wesley " Plaque pour un petit poste de la Légion " 1962. - huile sur toile, 76 x 76 cm
Richard Lindner " Ice " 1966. - 177,8 x 152,4 cm
Robert Rauschenberg " Plan Coca Cola " 1958, Construction, 68,5 x 66 cm
Robert Indiana " The American dream " 1961, 180,5 X 150,5 cm
Ray Donarski " Lions International " l964, Huile sur deux toiles, 99 x 127 cm
Phillip Hefferton " La Lignée " l962, huile sur toile, 150,5 11 120,5 cm
Peter Phillips " Tribal 1 x 4 " 1962, 107 x 99 cm.
Enfin, l'autoportrait de Peter Blake, 1961, 175 x121 cm, que je retiens pour être porteur tant du schéma héraldique que d'un " décentrement " de la personne - à mettre en parallèle avec " Drum majorette " 1957, 64 x 64 cm -
Ce dernier travail met la représentation du visage en concurrence avec celle d'un soulier de type " basket ", la couverture de ce qui pourrait être une biographie d'Elvis Presley, un blason, emblème des Etats-Unis, une série de badges et un vêtement " modèle courant " dont certaines parties comme le revers du bas de pantalon sont très détaillées. " L'équipage " en quelque sorte prend le dessus sur le visage. Et parmi " l'équipage " un autre portrait prédomine, celui d'Elvis Presley deux fois répété (la deuxième fois en badge). En se reportant à l'analyse du " portrait " (déjà citée) de Ph. Bruneau, un point est ici mis en évidence :
" Si chacun n'a pas son portrait, ce n'est pas seulement faute d'en avoir les moyens pécuniaires ni d'y trouver plaisir, c'est largement faute d'y avoir droit ".
Si l'image d'Elvis Presley n'étant pas prescrite comme la photographie d'identité relève du portrait, celle de Peter Blake revendique ce droit au portrait avec de l'ironie. La surcharge insolite de badges, d'emblèmes et de blasons, la mise en valeur d'une chaussure que des milliers de gens identifient à la " basket " qu'ils portent, de même pour le vêtement, tous ces éléments concourent pour dresser le contrat, affabulé ou non, d'appartenance à " l'américain moyen ".
Ce portrait est donc multiple au sens où (l'entend Ph. Bruneau) une multitude de personnes s'y disputent la place du sujet représenté. Il est de ce point de vue, proche des portraits morcelés où la représentation du visage du portraituré s'insère dans l'image d'un sujet pour fabriquer une fiction en contradiction avec la condition sociale de ce protraituré (ce sont les images de prédilection des magazines satiriques).
Et de proche en proche, prêter un corps animal à un sujet humain, ainsi que
le réalisent bon nombre d'oeuvres citées par Cl. Roy, c'est mettre en doute son appartenance à l'espèce et mettre en évidence la personne en tant qu'elle ne coïncide pas avec l'individualité biologique. Une telle pratique systématisée en un livre aux feuilles fragmentées fait l'attrait du recueil pour enfants d'Helen 0xenbury (30). Se fabriquent ainsi dans le " Péle-mêle ", des personnages interchangeables.
Au fil des pages de " l'Histoire de la peinture surréaliste " - René Passeron (31) - et avec 1e Dadaïsme, on rencontre maints fragments avec des degrés d'intégration divers qui vont de 1a juxtaposition en rupture ou en continuité - et ce principe a un rendement élevé en ce qui concerne les oeuvres de René Magritte précédemment étudiées dans un mémoire de D.E.A. - jusqu'à 1a présence moins ou plus discrète d'une double image, comme le " Marché d'esclaves avec le buste invisible de Voltaire " de Salvador Dali.
L'auteur n'est pas remis en cause à chaque fois par ces fragments, - et à cet égard, si les " cadavres exquis " font valoir l'être ensemble pour ses potentialités imaginaires, ils ne font que juxtaposer des productions puisque tel opérateur ignore ce qui a été fait et ce qui se fera, et qu'ainsi aucun échange n'est possible. Il est tentant de conclure qu'ils n'ont pas le caractère de " création collective ",- que signifie ce terme dès lors que l'individuel en science n'est objet que pour la biologie?- mais si l'oeuvre comporte par eux l'autre configuré, on peut s'attendre à ce qu'il ne soit pas seulement représenté et qu'il agisse à la place de l'opérateur (le fragment n'étant que l'index du rapport à l'autre et à autrui).
L'image de l'autre peut encore revêtir d'autres apparences qui engagent l'emprunteur imagier.
La pratique des masques en offre un exemple, qu'il se porte ou se peigne (maquillage). Cantonné au visage, il réalise un morcellement du sujet et soumet ses mouvements aux apparences qu'il propose, aux volontés qu'il affiche, aux rôles qu'il suggère et aux modes d'emploi techniques qu'il permet. Les masques sont aussi la coiffure; les lunettes; le chapeau, la cigarette, le foulard ou le décolleté avant d'être celui que l'expression physionomique montre. Ceux d'Urs Lüthi montrent et démontrent que le masque est constitutif de la personne - par delà l'identité du sujet et que le stéréotype guette le singulier, le tournant en dérision : " You are not the only who is lonly " (vous n'êtes pas le seul à être seul) (32).
L'image de l'autre ne préjuge en rien de l'attitude de l'artiste qui peut aussi bien se faire l'écho de la pratique d'un tiers - jusqu'à se confondre pathologiquement avec lui - ou à l'opposé, prendre le contre-pied systématique jusqu'à la divergence absolue où l'autre n'existe pas .
La suggestion est d'autant plus opérante et le tiers s'immiscie d'autant plus qu'elle s'accomplit à son bénéfice; il devient le complice de l'acte avec une conscience à la limite plus claire que son " auteur " présumé.
On est proche de ce versant pathologique de la personne avec l'analyse de Viviane Forestier, " Van Gogh ou l'enterrement dans les blés " (33). Deux coauteurs " y accompagnent Van Gogh : " un autre frère, cet homonywe inaperçu, ce disparu qui apparaît cependant dans certaines toiles sous forme d'ailes, d'initiales au-dessus des paysages forclos " et puis Théo : " les cieux frères (Vincent et Théo) peu à peu se découvriront au sein d'une oeuvre que l'un donne, que l'autre reçoit, tandis que celui-ci fournit de quoi la poursuivre et que dans ces échanges on ne saura plus qui prend, ni qui offre, ni tout à fait qui peint ".
" Biographie ", cette analyse n'en est une que si elle tend à singulariser Vincent Van Gogh, à en faire un cas non détachable de circonstances particulières. Si maintenant on abandonne le biologisme qui consiste à confondre le sujet biologique et la personne qui oscille entre des " usurpations d'identité ", des simulations et des originalités négatrices de tout autre, la notion d'auteur se pulvérise. Et avec elle disparaît celle du corps assimilé à l'individu physiquement limité. S'y substitue un processus qui organise la condition humaine par une dialectique de la divergence et de la convergence doublée d'une différence et d'une dette (34).
Les références faites à l'héraldique et aux guillemets de la peinture endettée, au portrait et au masque se soutiennent du principe que ces réalités partagent : la division du sujet. Ce décentrement apporté par les analyses freudienne - latent / manifeste - et Lacanienne - l'Autre - ruine les prétentions de l'auteur en éclairant sa notion.
Si ma pratique peut évoquer la question de l'auteur c'est qu'elle est jalonnée de multiples emprunts dont l'hétérogénéité les rend suspects de simulation. Mais si toute pratique comporte du travail " mâché " par d'autres, l'emprunt peut être vécu selon plusieurs modes :
· Il peut être l'effet d'un conditionnement par l'autre tel qu'il n'est simplement qu'une conduite en écho, calquée sur celle de l'influent. Le passage à la limite étant l'effet caméléon mis en scène par Woody Allen dans " Zellig " et pathologiquement la paranoïa - (écho).
· Il peut servir à autoriser une pratique, à cautionner une conduite qui a besoin du support de l'autre telle que l'hommage, la citation mais aussi le calembourg, le détournement d'image qui manifestent une contre-dépendance, un soutien nécessaire.
· Il peut servir à tromper un tiers dans les deux sens : soit que l'on veuille faire croire à une attribution - cas de " faux tableau " - soit que
l'on veuille s'en attribuer l'invention - cas de l'enfant, qui a la conscience de tricher en décalquant - (contre-façon).
· Il peut, d'une façon tout à fait différente, apporter une solution à une problématique à laquelle il était étranger.
Il est tentant d'assimiler cette dernière attitude à de l'authenticité légitimant l'appellation d'auteur. Mais cette fonction n'exclut pas celle de soutien déjà mentionnée.
Si l'on adopte maintenant l'analyse de décentrement du sujet introduite par Freud, la question n'est plus de définir l'auteur. La question de l'auteur n'est posée que par une façon de vivre son identité par la recherche aiguë de la divergence par l'aversion de l'endettement et la proclamation de sa différence.
L'originalité désigne autrement cette tendance de la personne à vouloir " s'originer " (sic Lacan). Et l'authenticité légitime cette recherche de l'être - non pas pour " retrouver ses origines " comme avec l'héraldique - tentative vouée à l'échec comme le signalent ces dessins de Steinberg où les pseudo-cachets, signatures et contre-signatures sont les aveux parodiés de l'impuissance à être authentique. Le dessin à lui seul n'atteste pas l'authenticité, un tiers témoin est toujours requis. La compréhension d'une oeuvre a'appuie sur d'autres auxquelles elle a'apparente et les actes que l'on fait en ont tenu compte pour se faire valoir. Le simulacre est au coeur de cette procédure qui vise à authentifier un acte - seulement vrai par le certificat d'un autre - l'authentique se confond avec l'authentification. La condition d'auteur est ainsi malheureuse puisqu'elle doit pour s'affirmer, chasser ceux-là mêmes qui cautionnent l'authenticité de sa conduite. Il a les échanges en aversion par crainte de l'endettement et cependant il n'existe pas en dehors d'eux. Il a de plus une conscience aiguë de son intégrité. Il est saisi de l'angoisse du corps morcelé pour a'être identifié à son oeuvre.
Et sa réalité est quotidienne; cette façon de vivre transparaît dans les expressions consacrées du type : " il se cherche ", " être ailleurs ", " être dans la lune ", " avoir la tête en l'air ", " il m'a mis hors de moi ", " être à côté de ses pompes " - et dans les pleurs de l'enfant qui est tombé sans se faire mal, dans le côté toujours un peu ridicule du fait de tomber - que l'homme ne partage pas avec l'animal - qui marque notre division en màme temps que notre impuissance puisqu'il atteste que le sujet humain, perdant l'équilibre, peut croire que son corps est ailleurs,que là où il est. Sauf l'enfant autistique qui, n'ayant pas accéder à l'humain, ne tombe pas.
Mais pour que l'auteur mette par son oeuvre, son identité en question, encore faut-il qu'il s'identifie à elle. Cette condition n'est pas exceptionnelle, le plaisir narcissique n'a pas besoin d'être cultivé pour être.
Bien des conduites présentent les indices d'une identification :
· Tel cet auto-portrait de R. Lichtenstein, photographie réaliste que masque une figure typographiée.
· Telle Mael, trois ans, qui utilise un assemblage de châssis, le parcourant comme un appartement, s'emparant des cloisonnements pour en faire des chambres à ses poupées.
· Tels ces " Rêves à la Cocteau " qui recherchent les points de jonction avec la réalité par ces deux personnages faisant à moitié corps avec le plan de la représentation de leur autre moitié.
· Tel encore - mais par la métaphore, cette fois - l'hommage rendu à Chirico par ce collage de Cieslevich qui inclut dans l'oeuvre le portrait de son auteur.
Relier son sort au sort de son oeuvre peut aller jusqu'à la confusion du corps biologique avec ce qui en devient alors une extension, comme une prothèse, n'est pas une attitude rare. Le régime juridique français de la propriété artistique en comporte bien des indices - qui ne peuvent logiquement se justifier que du principe de " l'intégrité de la personne humaine " tant les prérogatives de l'auteur sont exorbitantes du droit commun de la propriété (35).
On ne peut saisir le fondement de ce statut que si l'on abandonne l'idée du corps biologique, c'est-à-dire cette idée que le corps s'arrête aux frontières définies par notre individualité physique. Sinon, comment rendre compte de ce droit moral que comporte ce régime de la propriété artistique ?
L'article 6 de la loi du 11 mars 1957 qui régit la propriété littéraire et artistique définit ce droit comne perpétuel, imprescriptible et inaliénable et comme un droit de la personnalité. " Perpétuel ", cela signifie que le droit moral peut être exercé après la mort de " l'auteur ". Ce détachement de la personnalité " juridique " par rapport à l'individualité biologique n'est pas loin de celui qu'opère la théorie de la personne par rapport au sujet; il y a là comme l'indice de la personne qui ne cesse de contester le sujet biologique (cf. p, 15). Et ce ne sont pas seulement les frontières de la vie qui sont ainsi contestées mais aussi l'impossibilité physique d'être ici et ailleurs en même temps :
· d'une part, la protection juridique de l'oeuvre s'aligne sur l'autre principe juridique de l'intégrité de la personne humaine en accordant à " l'auteur " le droit au respect de son oeuvre c'est-à-dire, la faculté de veiller à ce que son oeuvre, après divulgation au public, ne soit pas " dénaturée ou mutilée " - notons au passage comment les deux sens acceptés de " mutilation ", ici, se rejoignent; le " Larousse Universel ", édition 1949, la définit ainsi : " retranchement d'un membre ou de quelqu'autre partie du corps. Retranchement d'une ou de plusieurs parties d'une oeuvre d'art, d'un texte : mutilation d'une statue. Suppression de parties essentielles : la mutilation de la vérité. - Il y a là les prémisses d'une identification de l'oeuvre à son " auteur ";
· d'autre part, " l'auteur a seul le droit d'autoriser la communication de son oeuvre au public et d'en fixer comme il l'entend, les modalités de divulgation " (art.15, L. 11mars 1957). En sachant que le droit à la " paternité " de l'oeuvre permet à " l'auteur " d'exiger la mention de son nom sur l'oeuvre et tous documents la mentionnant, c'est une sorte d'ubiquité qui est ainsi permise.
Le bénéfice de cette condition d'auteur qui permet cette survie et cette " télé-présence " est subordonnée à une chose, l'oeuvre, et à son " originalité ":
L'alinéa 1er de l'article 5 de la loi du 11 mars 1957 pose le principe que " le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé par le droit d'auteur ".
Faire de l'originalité le critère de l'oeuvre d'esprit, c'est marquer la
condition de l'identité reconnue, (différente de l'identité obligatoire découlant par exemple du registre d'état civil) qui ne " s'origine " que par l'oeuvre et une certaine oeuvre.
La propriété artistique, parce qu'elle revendique l'originalité, l'appartenance en propre de la nouveauté, apparaît donc comme le désaveu de l'emprunt : négation du père, n'acceptant qu'une seule paternité, elle nie la dette en son principe. La logique de la loi du 11 mars 1957 veut en effet que si l'on n'est pas auteur, on est ",imitateur voire " contrefacteur ". L'alternativie ainsi posée ne suspecte aucun échange; elle attribue la novation au pouvoir de " l'individu " lui seul. Or quotidiennement, et de la même façon que l'idiomatisation de la langue place chacun de nous en situation de traduction créant de " la pensée sans penseur " (36), la particularisation de l'activité, son aspect vernaculaire, nous oblige à réadapter notre conduite et à détourner les modes d'emploi prévus par les constructeurs. L'échange est de ce fait au coeur de toute activité, fût-elle la plus originale et la plus " personnelle " - il ne cesse culturellement que par schizophrénie ou paranoïa.
Dans ces conditions, comment comprendre " la propriété artistique ", telle que l'organise le régime juridique français, sinon comme une tentative d'appropriation de l'origine même de l'oeuvre; l'identité de " l'auteur " en dépend. D'où l'importance donnée à la signature qui marque cette propriété. La parodie qu'en ont fait Rauschenberg et Oldenburg la souligne; importance telle qu'elle peut concurrencer l'oeuvre elle-même jusqu'à la remplacer ... par " Ben ". Importance combattue par tous ceux qui, depuis les manifestes de " Support-Surface ", feignent de l'ignorer. Et lorsque la signature est apposée, ce fragment de surface se détache de l'oeuvre tout en proclamant son rattachement. Acte contradictoire, il fait irruption dans l'espace même de l'oeuvre ou bien s'y mêle avec discrétion, s'y conformant pour se faire oublier. Parasite ou vécue comme tel, c'est une trace qui trouve sa justification ailleurs que dans l'oeuvre elle-même.
Une exception le révèle, une aquarelle de Paul Klee, " jadis surgi du gris de la nuit ... ", où les bords dialoguent avec le dedans pour montrer leur rupture (37) : 1a signature, 1a date, 1e numéro partagent avec 1e titre 1a même écriture cursive; ils encadrent l'aquarelle qui reprend exclusivement le titre de l'oeuvre. Ce titre est cette fois-ci écrit en capitales, mais il faut une longue attention pour le lire car les lettres soudées délimitent dans leur espace des zones de couleurs variées qui contrarient la formation des mots. L'opposition est flagrante entre la liberté prise dans l'aquarelle et l'application consciencieuse qui se lit sur les bords, la luxuriance du dedans accentue la pauvreté des bords et tourne en dérision, les appendices qui les occupent : titre, date, numéro et signature.
La signature va de paire avec le détachement, jugé insupportable, de l'oeuvre par rapport à l'artiste. Elle intervient, en effet, au moment où il va exposer, où il va s'en séparer. Il est concevable qu'elle opère alors comme une compensation en le rattachant symboliquement à l'oeuvre qui précisément lui échappe.
Cette recherche de l'originalité doublée d'une identification est dangereuse; car, dans l'aveuglement qui la constitue, elle ne sait séparer ce qui revient à l'oeuvre de la destinée de la personne, mettant à son propre compte ce qui n'est que le produit d'une technique, l'assimilant à " son " style, son autographe. Par crainte de lui devoir son programme, ses intentions, l'auteur a aussi la technique en aversion bien qu'il la cultive. Et il ne la reconnaît qu'appropriée sans savoir qu'elle l'approprie.
A ce stade, un retour à ma pratique est utile. Il apparaît que l'appropriation de l'image de Pinocchio se réalise par certaines opérations qui en apportent plus que l'apport lui-même. Autrement dit, je dois autant aux opérations techniques qui réalisent l'extraction du fragment d'image qu'aux autres qui hantent sa manipulation.
Ainsi, c'est par les procédés de reproduction autant que par l'effet reproduit que la face cachée de l'écran vint à jouer un rôle actif de planche à monotypes. De la même façon la distinction surgit entre la séparation en deux de la couche d'encre dans l'impression à partir d'une planche, ce passage dont parle G. Dupuis et le report intégral du film qui me fit voir une face cachée.
· c'est par l'agrandissement de l'image que le détail s'impose et que s'oublie l'ensemble,
· c'est par le découpage que je choisis et élimine,
· c'est par l'assemblage de deux pièces, deux morceaux d'image que se compose une troisième image,
· c'est par la peinture couvrante que son film devient cache et pochoir.
" Un emprunt peut en cacher un autre "
C'est bien aux antipodes de l'aversion de l'échange et de la technique qu'il est utile de placer maintenant l'analyse.

B - L'ÉLOGE DE L'ECHANGE ET SES MODALITES


L'éloge de l'échange artistique n'est plus à faire, J. Laude, G. Lascault, A. Leroi-Gourhan s'y sont employée chacun à leur manière. Mais c'est surtout J. Laude (38) qui la détaille dans les problématiques posées essentiellement par G. Braque, J. Gris, Picasso et Matisse dans leur confrontation à l'art nègre par les fragments venus d'ailleurs.
L'étude de J. Laude se situe au coeur d'un problème de communication ou de convergence. Elle est mentionnée après " la question de l'auteur " qui insistait sur le processus opposé de divergence (bien qu'il n'en soit pas exclusivement question).
Alors que l'analyse de M. Dufrenne et de J. Cassou tend à conférer à " l'art " une portée universelle, par delà la divergence ethnique, J. Laude ne lui attribue qu'une " signification et une fonction relatives " ; il met l'accent sur le rôle actif des échanges qui réalisent un " transfert de signification et de fonction ". Le processus qui conduit à " l'Art " n'est pas à dissocier de celui qui privilégie les échanges qui s'établissent malgré les différences. C'est qu'en effet, la communication est visée par ces deux attitudes par deux voies opposées :
· l'une tend à homogénéiser artificiellement l'univers des activités humaines en les alignant implicitement sur le standard de " l'art "occidental,
· l'autre tend à résoudre les obstacles à la communication par une perspective de traduction, d'interférences.
Et il en est une autre encore, que l'activité des beaux-arts met souvent en évidence : la célébration de la communication; dans cette perspective, les beaux-arts sont les moyens d'une fête qui tend à abolir la question des divergences en ne connaissant que des participants.
C'est sous le nom d'emprunt que J. Laude désigne encore le " transfert de signification et de fonction ". En en considérant sa valeur, il distingue deux types (38) :
· l'emprunt exotique; " l'art nègre est pris comme source exotique ", il se manifeste par l'utilisation explicite d'un élément iconographique,
· l'emprunt plastique, l'art nègre " est pris comme référence plastique ", (...) cette fois il agit non pas en tant qu'exemple d'art sauvage ou primitif mais, avec les caractères propres qui lui sont alors reconnus, en tant qu'art africain " ...
Notons que le premier type procède plutôt de l'homogénéisation. Quoiqu'il en soit, s'il fallait rendre compte d'un échange par les oeuvres " d'art ", entre ces deux lieux, il faudrait l'envisager dans les deux sens - ce qui développerait l'analyse de l'implantation des musées en Afrique, par exemple, ou celle de l'utilisation des verroteries et autres objets de traite, ou encore celle de l'appréhension de la photographie par ceux qui la découvrent.
Par ailleurs, les différents vocables utilisés tour à tour en synonymie:
· p. 19, " interprétation " - " classifixation des interprétations de l'art nègre "
· p. 13, " influence " - " qu'entend-on par influence ? "
· P. 9, " emprunt " - " le mécanisme de l'emprunt ou de l'influence "
· P. 27, " transfert " - " le mécanisme des transferts ",
marquent bien la complexité de la relation qui peut être qualifiée d'échange, par souci de son caractère bilatéral. C'est qu'en effet, le transfert matériel d'un objet concret s'inscrit dans un échange à la fois d'information (collections, musées, " souvenirs ", etc...) et artistique, car il va donner lieu à une production par son utilisation directe (comme ces miroirs incorporés aux statuettes) ou indirecte (reproductions intégrales ou partielles, transpositions par des procédés techniques différents, confrontations à d'autres pratiques).
Ensuite, l'étude de J. Laude restreint son objet à l'échange par delà une frontière de pays à pays. Ce n'est là qu'une coordonnée de l'échange qui est non seulement " diatopique " (39) mais, " diachronique " - ce dont il traite d'ailleurs marginalement quand il envisage la sculpture de Picasso, " Les Demoiselles d'Avignon " et le " Portrait de Gertrude Stein " dans leurs relations avec l'ancien " art " ibérique reprenant en cela l'étude de John Golding (40) et aussi lorsqu'il aborde la " leçon cézanienne " pour mesurer sa part dans la pratique de Picasso, Braque et Juan Gris (41) - et aussi " diastratique " - il le suspecte d'ailleurs dans son commentaire de " La nature morte à la chaise cannée ", p. 368 : " l'idée d'entourer sa nature morte d'une corde est peut-être venue à Picasso à la vue de certains " chromos " (de format et de dimension identiques) que, même encore aujourd'hui, l'on peut trouver dans les bazars ou les boutiques de souvenirs " et dans son analyse du collage où il rapporte que " sur les gravures de mode de certains journaux féminins, dans les dernières années du XIXe siècle, (notamment, le " Journal des Dames et des Demoiselles ") était parfois collé un morceau d'étoffe découpé à la forme de la robe présentée; ce morceau d'étoffe donnait aux lectrices à la fois la couleur et la matière du tissu " (p. 370).
Certes, l'ambition de J. Laude n'était pas d'élaborer une théorie sociologique de l'échange, mais de repérer et de montrer les effets de son dynamisme dans la production plastique.
Pour ce qui concerne ma pratique, l'échange diastratique correspond à cette sortie, déjà évoquée, des " beaux-arts " vers " les arts et métiers ".
" Sortir ", non pas dans le sens uniquement matériel du déplacement, mais dans celui du voyage qui me place dans l'obligation d'interpréter une autre technologie et une autre problématique du mode d'emploi. C'est le principe technologique lui-même, ignorant les frontières sociales de la division du travail en métiers qui m'amène à organiser la rencontre de deux activités éloignées par leur finalité - qu'elles appartiennent à un autre pays, une autre époque ou un autre milieu. Parmi les incitations au voyage, la technique tient ici une première place: c'est " le principe de l'écran et du trou "(42) qui provoque lui-même le rendez-vous de tous les tissus ajourés, de toutes les cartes pqrforées, de tous les pochoirs et de tous les caches.
De cette façon, la photographie - où la lumière passe ou ne passe pas - rejoint, non seulement les rideaux d'appartement, mais aussi l'orgue de barbarie où l'air passe ou ne passe pas.
La " méthode indirecte " de la sérigraphie " professionnelle ", les décalcomanies et les rubans de tulle peints se rangent aux côtés des reports de peinture sur tarlatane de Ch. Bonnefoi.


1 - LA FONCTION INVENTIVE DE L'EMPRUNT


La formule peut paraître paradoxale, voire, être assimilée à une contradiction dans les termes, puisqu'emprunter peut évoquer un acte qui fait l'économie de l'invention.
Lorsque A. Leroi-Gourhan aborde ces deux problèmes (43), dans " Evolution et techniques " publié en 1945, en des termes qu'il confirme dans la réédition de 1975, il les traite d'abord successivement, de la page 351 à 376 marquant leur distinction, pour parvenir finalement à une relative fusion de leur réalité correspondante, de la page 392 à 395. Examinons plus en détails son cheminement en relevant les éléments qui rapprochent les deux notions.

Trois points rendent tout d'abord l'invention toujours suspecte d'emprunt :
1- l'isolement n'existe pas,
" Existe-t-il un seul groupe connu qu'on puisse qualifier à cour sûr d'isolé ? " (p.351), " (...) le milieu extérieur (...) crée, dans le milieu intérieur des troupes, un dosage spécial des éléments techniques et des associations. Ce dosage, par les effets qu'il imprime au groupe technique, pourrait donner l'impression de l'isolement du groupe; il correspond en fait à une spécialisation profonde du milieu intérieur avec un double jeu de conséquences sur le devenir ethnique et sur les emprunts " (p. 355), " C'est un peu arbitrairement qu'on peut isoler le cas d'une invention toute liée au milieu local. En réalité, de proche en proche, tous les groupes sont en relation d'échanges " (p. 392).
2- il existe toujours des précurseurs,
" (...) en face de chaque acquisition technique, depuis l'antiquité les hommes placent le nom d'un inventeur et celui d'un pays. En réalité, dans la marge historique, figurent aussi toujours les noms de quelques précurseurs " (p. 377),
3- des éléments préexistent à l'invention, " une première distinction s'impose dans la composition du milieu technique au moment où l'invention se matérialise : les éléments préexistants peuvent avoir une origine purement locale, agir par de faibles débordements des traditions techniques; ils peuvent, par contre, pénétrer par emprunt au moment même de l'invention, agir en étranger sur le milieu intérieur. La discrimination n'est pas aisée " (p. 388).
Inversement, trois autres points font apparaître l'emprunt sous un aspect novateur :
1- l'emprunt s'effectue selon certaines conditions,
" il doit d'abord combler un besoin préexistant, ou mieux le satisfaire, ou en créer un nouveau qui soit compatible avec la vie immédiate du groupe; en d'autres termes, l'emprunt doit rencontrer le milieu favorable dont nous prendrons une vue plus sûre par l'invention. Lorsqu'il est assimilé, l'objet nous paraît marqué par deux autres conditions : il a dû subir l'empreinte personnelle du groupe emprunteur, prendre un " facies " local et se plier aux exigences des matières premières de son nouvel habitat " (p. 559), " le simple fait que toutes les techniques praticables sous tous les climats n'existent pas encore partout démontre que l'emprunt n'est pas une simple question de présence d'un objet empruntable dans la zone d'action de n'importe quel groupe ethnique " (p. 372).
2- l'emprunt est personnalisé,
" les harpons des anciens forestiers (Indiens du kac Athapasca), la plupart des autres objets qu'ils ont forcément pris aux maritimes (Eskimo) ont des formes, des profils tout personnels, comme si les forestiers les avaient apportés sur ces lieux, ce qui est invraisemblable " (p. ]58), " recevant un couteau de pierre ou une marmite indienne, dès la première copie, l'Eskimo en fait un objet eskimo " (p. 360).
3-l'emprunt est adapté,
" Ce qui est important dans l'emprunt, ce n'est pas l'objet qui entre dans un groupe technijue nouveau, c'est le sort qui lui est fait par le milieu intérieur " (p. 356),
" De 1890 à 1900, le gouvernement américain a importé chez les Eskimo d'Alaska des rennes et quelques pasteurs lapons pour développer l'élevage (.,.) le chien, qui était avant tout employé au traîneau, se trouve remplacé par le renne pour les moyens de transport, mais comme le traîneau lapon n'a pas été importé, c'est le traîneau à chiens qui s'adapte au nouvel usage. Des modifications sensibles de sa taille et de sa hauteur découlent de l'adaptation (p. 366).
Son analyse aboutit finalement au constat d'une relative confusion de l'emprunt et de l'invention :
· p. 379, " Dans l'énorme masse des documents de l'Histoire, de l'Archéologie et de l'Ethnologie; il en est très peu dont on possède l'acte de naissance. Lorsqu'on déclare que le cheval domestique apparaît pour la première fois en Mésopotamie préhistorique, cela signifie simplement que le plus ancien document est tiré de ces régions; mais on a de bonnes raisons pour croire qu'il s'agit d'un emprunt. Il en est de même lorsqu'il s'agit de la poterie, de la métallurgie, du tissage ou de l'agriculture " ... " (leur) invention (entre guillemets dans le texte) est une abstraction mythique qui ne signifie rien sinon qu'à une chose existante, on suppose un commencement ".
· et p. 394, " Une certaine identité se révèle par conséquent entre l'invention et l'emprunt ".
À certains moments, l'emprunt lui apparaît même lié à l'invention :
· p. 395, " il est donc difficile en pratique d'envisager isolément l'emprunt et l'invention ".
Et dans une relation qui fait parfois de l'emprunt un catalyseur d'inventions :
· p. 388, " On a établi précédemment que les groupes, même rustiques, connaissent sans pouvoir les assimiler une foule de techniques étrangères et il semble qu'une large part d'emprunt marque l'origine de très nombreuses inventions locales ".
· et p. 394, " Il est presque normal que le groupe possédant des éléments préexistants qui n'ont pas encore trouvé le jeu d'associations favorables tire de l'extérieur un objet ou une idée qui le conduit à des applications nouvelles ".
A. Leroi-Gourhan ne prête pas toutefois à l'emprunt une fonction inventive; la liaison de l'emprunt à l'invention tient largement, selon lui, à ce qu'on pourrait désigner comme un état actuel des connaissances (cf. p. 380 et 389). Autrement dit, ce serait la recherche future qui permettrait de les distinguer dans les faits.
Son analyse oscille entre ce positivisme qui voudrait que tel fait soit un emprunt et tel autre une invention et une recherche au travers d'exemples du processus de l'invention. Pour s'en convaincre, il faut se reporter à la page 389 où l'invention apparaît comme le résultat d'un échange, une adaptation de l'emprunt à la technique locale :
" Si l'on prend l'exemple du métier à tisser marocain (...) il reste que dans la zone méditerranéenne existe, sans équivalent dans le reste du monde, un type de métier à tisser qui tranche catégoriquement sur tous les types qui l'environnent. (...) Il semble que les éléments préexistants du problème soient les suivants : le groupe possède un métier vertical sur lequel est tendue une chaîne dont les fils sont unis soit par la technique du Gobelin, en les passant à la main, soit par celle du point noué, qui n'en diffère pas beaucoup et n'est pas plus rapide. L'intention technique est que le groupe, connaissant ou pressentant l'existence d'étoffes tissées plus économiquement, cherche un moyen d'exécuter ces étoffes. La solution universelle la plus simple consiste (...) à rendre mobiles tous les fils pairs, en les nouant à des lisses fixées sur une lame mobile. Cette solution implique la position horizontale de la chaîne. Dans le cas présent, la chaîne étant verticale, tout dispositif équivalent au type classique aurait été sans effet : la barre d'écartement serait tombée sur les lisses et celles-ci, étant molles, auraient gêné l'ouverture des fils impairs. L'invention a consisté à fixer les fils pairs par des lisses immobiles et à avancer ou repousser les fils impairs au moyen d'une unique barre d'envergure. La solution apparaît bien comme originale : alors que dans le type commun, les lisses rendent mobiles les fils pairs et que la barre d'écartement immobilise les fils impairs, les lisses, dans ce type vertical,immobilisent les fils pairs, la barre assurant l'ouverture des fils impairs ".
L'intérêt de cet exemple est qu'il montre la nécessité de l'invention. Non seulement l'emprunt n'est plus en concurrence avec l'invention, mais, il apparaît qu'à partir du moment où l'on emprunte un élément, il faut adapter celui-ci, l'articuler à sa technique propre.
L'analyse de A. Leroi-Gourhan, à la différence de celle de J. Laude, ne comporte pas que le moment de l'acceptation d'une technique étrangère. Mais, l'articulation de l'emprunt et de l'invention qu'il propose dans cet exemple peut s'y transposer.
Si l'on prend l'exemple des japonaiseries de Van Gogh, il apparaît en effet qu'elles relèvent d'un processus similaire. En 1887, il réalise trois tableaux à la peinture à l'huile qui ont été désignés parfois comme des copies d'estampes japonaises correspondantes. Le terme de copie n'est pas approprié :
si le souci de la fidélité au motif s'y dénote, il n'en est pas de même pour la technique; c'est avec en tête le mode d'emploi du tableau et de la peinture à l'huile qu'il aborde l'estampe et la gravure japonaise. La différence ethnique n'est pas une simple question de mentalité, elle est ancrée dans une rupture technique. Il y a lieu, toutefois, de préciser les points de rupture.
Ainsi, l'habitude propre aux estampes japonaises, de ne pas faire de distinction entre une zone réservée à la peinture et une zone propre à l'écriture, aux mentions de la signature, du titre, et des noms des propriétaires successifs, se trouve confrontée à celle, occidentale, de figurer sur le cadre et au dos ces indications - mise à part la signature, qui est néanmoins confinée, lorsqu'elle existe, à une zone relativement fixe, ce bas droit de la page qui coïncide avec la fin de la dernière ligne d'écriture.
Que fait alors Van Gogh ?
Il procède différemment dans chaque tableau:
- dans le " Prunier en fleurs ", Van Gogh ne se contente pas de recopier les caractères portés par l'estampe, il en ajoute de chaque côté selon deux bandes qui tiennent à la fois du placard japonais et du cadre occidental. Dès lors, et compte tenu de leur importance, ces caractères incluent le cadre dans la peinture; ce qui constitue une nouveauté dans la tradition occidentale de l'encadrement.
· Cet effet de traduction est encore plus sensible s'agissant du " Pont sous la pluie " : les mentions écrites qui étaient incorporées à l'estampe sont déplacées sur le cadre qu'il surajoute. Elles acquièrent du mème coup une singulière importance, autant pour un occidental les voyant sans les lire parce qu'il ignore le japonais, que pour un japonais qui les intègre ordinairement à l'espace de l'estampe. Paradoxalement, l'invention résulte de l'obligation ressentie par Van Gogh de satisfaire à une convention - convention qui a ici plus de présence avec le cadre de bois que précédemment, avec l'encadrement peint -.
· La " figure " se distingue des deux autres tableaux en empruntant à plusieurs estampes ses motifs. Leur assemblage toutefois n'introduit pas de distorsion, et la mise en parallèle avec les oeuvres japonaises indique la copie des motifs pris isolément. Les solutions de liaison que Van Gogh met en place entre les motifs extraits résultent du type particulier de cet emprunt qui consiste à puiser en différentes productions. Van Gogh est contraint à inventer par ce seul fait d'avoir à intégrer ces fragments dans une seule et même composition, ce qu'il réalise par des solutions de continuité quand les roseaux, les hérons, la grenouille sont réunis dans un même espace, et par une solution de rupture quand il réutilise, en l'accentuant par une marge qui coupe le bas du kimono,. l'insert reproduit sur la couverture du " Paris illustré ". La question est aussi posée de savoir si l'encadrement ainsi réalisé s'inscrit véritablement dans une série à trois variantes.
Quoi qu'il en soit, la confrontation de ces trois japonaiseries met en scène une problématique du cadre et relègue en coulisses la leçon de gravure que les estampes auraient pu donner. L'invention qui consiste à insérer le cadre avec ses mentions " para-picturale " dans l'espace de la peinture n'est pas ici imputable au passage de la gravure à la peinture, ces réalisations auraient pu se référer à la peinture japonaise tout aussi bien.
Alors que par ses japonaiseries Van Gogh laisse délibérément de côté la technique de l'estampe, lorsqu'il emprunte aux japonais l'encre de chine et le roseau taillé, il ne prend aucune oeuvre particulière comme objet de travail. Mais il en résulte qu'en peinture, il pourra ensuite se servir du pinceau en procédant comme avec le roseau taillé, radicalisant ainsi sa touche " à la fois morcelée et tirée " (44). A la fin du mois de juin 1666, il écrit d'ailleurs : " le noir et le blanc sont des couleurs aussi, car dans bien des cas, ils peuvent être considérés comme couleurs, leur contraste simultané étant aussi piquant que celui du vert et du rouge, par exemple. (...) Le japonais dessine vite, très vite, comme un éclair, c'est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple " (45).
Quand il ne s'agit pas de simuler un effet apparent réalisé par un autre, emprunter revient à combiner deux ensembles. Ce qui se traduit par des adaptations, des substitutions, des adjonctions, des soustractions qui en créent un troisième.
Ainsi l'emprunt fait à Bellmer s'analyse comme une mise en rapport de deux technologies, celle de l'assemblage de volumes avec la peinture d'une surface plane. M'intéressant à la combinatoire, les articulations ne pouvaient être les mêmes : il en résulte un assemblage de plans et une combinatoire à partir des lignes du réseau ainsi formé.
De même, l'emprunt fait à Alechinsky aboutit à substituer à un seul imprimé pris comme support - carte géographique, plans de ville ou titres de propriété - plusieurs imprimés (le même répété, " GROCCHIO ") de petites tailles me permettant de couvrir des surfaces aussi grandes que je le désire pour un prix abordable. Cette substitution ne fut pas neutre puisque le collage-découpage des imprimés constituait déjà une intervention par rapport à l'image. J'étais ainsi placé dans l'obligation de faire autrement que par des tracés en surcharge.
Enfin, et pour ce qui concerne le point de départ du même travail, l'emprunt à la technique du puzzle amena un remaniement des tirages qui devaient initialement servir de contre-épreuve : il fallait autant que possible obtenir des tracés interrompus par les bords, favorisant la combinatoire.
Ces modalités de l'intégration de l'emprunt montrent que la question de l'emprunt à l'autre n'est pas séparable de l'interférence de deux techniques.


2 - L'EMPRUNT A L'AUTRE ET L'APPORT D'UNE AUTRE TECHNIQUE


Quelques remarques de J. Laude permettent d'entrevoir la manière dont les deux processus se confondent dans le dynamisme de l'échange artistique. Mais il faut tout d'abord, en préciser les conditions : il y a échange artistique dès lors que deux " technologies " différentes se trouvent mises en rapport, soit par le truchement d'un autre " constructeur ", ou d'un autre " exploitant ", soit par changement de " cadre " financier, spatial, horaire. Ces conditions sont réalisées quotidiennement lorsqu'une chose ne livre pas spontanément son mode d'emploi, en changeant de milieu (par exemple, de'chez soi au " spécialiste professionnel "), en voyageant de pays à pays, en utilisant un vieil objet (ancien costume ou ancienne habitation, etc ...) (46).
Tel que le problème est présenté par endroits, on pourrait se demander, par exemple, ce que la peinture de Picasso doit à la sculpture plutôt qu'à la sculpture nègre. De fait, maints passages du livre de J. Laude donnent à penser dans ce sens :
· p. 336, " L'étude des volumes conduit donc à celle des plans "
· p. 344, note 65, " à partir de1909, selon D.H. Kahnweilier, Picasso se sert des moyens de la sculpture pour éviter le clair-obscur. Et il s'en sert dans sa peinture ". (Il cite D.H. Kahnweiler : " En 1909, dans une nature morte, " Le piano ", il essaya de provoquer l'objectivation de la lumière par de légères saillies sur la surface plane, une sorte de bas-relief à peine perceptible en somme; il exécuta ces saillies en plâtre, et peignit sur la surface bossuée ainsi obtenue ... "), note 65 toujours, il cite R. Penrose : " Picasso-sculpteur est, pour ainsi dire, le " manager " de Picasso-peintre ... "
· p. 347, " Depuis 1907, Picasso cherchait à conférer à sa peinture une présence, une stabilité, ce que J. Golding a proposé d'appeler " une plénitude plastique où l'expérience de la sculpture serait en quelque sorte assimilée. Ce qu'il reprochait à la peinture, traditionnelle, c'était d'offrir une vision ou une idée insuffisante de ce qui est représenté ". Aussi chercha-t-il à conférer à ses oeuvres " une dimension qui n'existait en un sens que dans la ronde bosse…un des traits les plus importants de ce type de sculpture (étant) la possibilité, et même souvent le désir, que l'on a de tourner autour et de l'observer sur tous ses angles ".
· p. 367, " Au cours des années 1913-1914, les deux peintres (Braque et Picasso) essayaient de rendre la forme par une combinaison de peinture et de sculpture. Au lieu de montrer, par recoupement, qu'une surface se place au-dessus ou devant une autre, ils peuvent alors faire saillir ces surfaces et faire voir leur rapport par un relief véritable " (C'est D.H. Kahnweiler qui est cité).
Dans le système d'échange, il apparaîtrait donc que la sculpture nègre entre en concurrence avec le principe lui-même de la sculpture, le passage de la sculpture à la peinture étant, à la limite, aussi déterminant que le passage d' une ethnie à une autre. Dans les extraits mentionnés, une hypothèse affleure : l'activité outillée porterait en elle-même, par le passage d'un domaine à un autre, les ressorts de son dynamisme, c'est-à-dire, de l'invention. On soustrairait alors la technique de l'échange en lui faisant une place à part et en réduisant du même coup l'échange à un échange d'information, à la " sémiotique " (47). Le rapport de la peinture à la sculpture fait partie de l'échange dans la mesure où il est constitutif de l'artistique occidentale. Opposer terme à terme la sculpture occidentale à la sculpture nègre, c'est fabriquer l'universel de " la " sculpture; car, à l'époque, le sculpteur nègre, ignorant le tableau et la peinture de chevalet, ne dissocie pas l'usage du plan de sa pratique volumétrique.
A quelle(s) condition(s) peut-on alors préciser la part de l'activité technique ?
Si l'on oppose des produits concrets en raison de déterminismes différents auxquels ils participeraient, soit technique (faisant alors parler de sculpture, peinture, gravure, photographie, etc ... tout court), soit social et propre aux échanges, on soustrait une partie de l'activité humaine au jeu des échanges. Ceci revient à poser implicitement le principe de l'existence de la technique pure, autonome par rapport au social - tel que J. Baudrillard l'envisageait dans " le système àes objets ", avant la " critique de l'économie politique àu signe " (48), en réservant un caractère exclusivement technique aux engins de la conquête spatiale ou en divisant l'objet en deux parties, l'une fonctionnelle, l'autre " gadget " _.
Or il n'est pas possible de cerner une pratique qui soit techniquement homogène, aussi restreinte soit-elle par le matériel qu'elle utilise. Et c'est par l'hétérogénéité technique que se montre le social en chaque activité : plusieurs font quand " je " fais parce que les " matières " premières " sont toujours plus ou moins préfabriquées et parce que le travail fait appel à la compétence de plusieurs métiers - aussi " spécialisé " soit-il , les modes d'emploi prévus par d'autres vont
à son aide -.
Il s'en suit que si la sculpture peut être analysée en tant qu'activité, c'est à la condition de ne pas confondre l'indépendance du processus explicatif avec l'autonomie par rapport au social. Ce qui est dû " à d'autres " et ce qui revient " à l'oeuvre " ne partagent pas le concret, ne le " fragmentent " pas, il conviendra d'y revenir. Il s'agit ici de préciser l'interférence des deux processus au niveau de l'échange artistique.
On peut, à cet égard, mettre en parallèle deux attitudes mentionnées dans le livre de J. Laude (49) :
· celle de Picasso qui " picturalise " les sculptures bakotas, p, 356,
· celle des Congolais qui " sculpturalisent " leur portrait dessiné par Stanley, p. 386, note 227.
Elles montrent comment l'appréhension des objets est fonction de la technique en usage.
D'abord, la peinture de Picasso, soucieux de la " figuration d'un volume sur un plan ", va à la rencontre d'objets " de très faible relief ", les " biéris ". La transposition picturale les aplatit encore avec les solutions mises en,place par les sculptures bakotas - " présentation de toutes les faces d'un volume en les regroupant dans une image synthétique, et dissociation des éléments du corps humain pour les articuler plastiquement " -. L'échange artistique consiste ici, pour Picasso, à voir en plan ce qui est en relief - sans prendre parti quant à l'antériorité des solutions de Picasso -
Quant à la remarque faite par Stanley sur l'appréhension du dessin par les Congolais qui recoupe d'ailleurs la mention, p. 385, des difficultés des Bushogos (Congo Léopoldville) à saisir l'image proposée par la photographie, elle suggère la question de savoir si ce n'est pas en raison du mode dominant de production, la sculpture, que les congolais voient, à l'époque, comme des reliefs, puisqu'ils retournent les dessins, les plans présentés.
Dans les deux cas, l'objet est spontanément détourné de son mode d'emploi. Il convient de préciser ce processus de détournement en reliant encore deux autres passages de " La peinture française et l'art nègre " :

Il apparaît en effet que " le style dépouillé " dont parle J. Laude en citant, p. 338, C. Zervos, doit un peu au dépouillement, réel celui là, dont les masques et les statuettes avaient fait l'objet avant leur arrivée en Europe : on enleva ce qu'on considérait comme des accessoires, notamment les cagoules. J. Laude précise, p. 371, que " sur les cent huit objets que reproduit Carl Einstein dans " Negerplastik ", un seul comporte à sa base la cagoule traditionnelle de fibres qui devait complètement protéger le visage, le cou et la nuque du danseur ".
L'objet fabriqué n'est pas transféré tel quel dans un autre lieu, le transfert est corrélatif d'une transformation jugée anodine. Acceptation en quelque sorte conditionnelle, qui marque une admission d'autres objets plus conformes à l'idée commune de la sculpture, comme objet de matière homogène et d'une seule pièce, héritée de l'antiquité greco-romaine. La communication se réalise ici au prix d'un détournement qui est une annexion puisque n'est pas reconnue la différence.
Si ces " fragments " apparaissaient aux yeux des collectionneurs comme des parasites, il est concevable qu'ils constituaient une frontière, une barrière les empêchant de retrouver un certain standard de " l'art occidental ".
La confusion de l'emprunt à l'autre et de l'apport d'une autre technique a lieu, encore, lorsque l'on passe d'un milieu professionnel à un autre par la voie du bricolage. Se trouvent alors combinés de multiples programmes relevant de techniques qui échappent au bricoleur qui les interprète au travers de la sienne, avec le matériel dont il dispose. Comme précédemment, il y a rencontre de deux techniques. Mais elles se trouvent combinées ici non plus par le recours à un principe extérieur mais par l'utilisation d'un autre matériel au moins (matériaux et engins).
C'est par le commun dénominateur de l'activité combinatoire que G. Lascault rapproche le bricolage du collage (50) - particulièrement les monstres qui en sont issus, reprenant alors la question de la différence entre l'ingénieur et le bricoleur posée par Lévi-Strauss pour conclure semble-t-il avec Derrida à une théologie honteuse impliquée par cette distinction - puisque " le bricoleur ne fait que combiner des formes, il ne crée pas ". On peut alors ajouter qu'il est des combinaisons plus ou moins inventives. G. Lascault aboutit à présenter une sorte d'invention sans inventeur. Ceci est particulièrement remarquable quand il rapporte les propos de Grandville (51) :
" (...) je n'invente pas, je ne fais qu'associer des éléments disparates et enter les unes sur les autres des formes antipathiques ou hétérogènes ". A noter aussi que l'invention dans son sens étymologique ne crée rien qui ne soit
déjà là. L'artiste est-il un bricoleur ? G. Lascault mentionne aussi, p. 240, " qu'il n'est pas toujours conscient des images qui l'ont impressionné et secondé dans sa tâche; (...) des formes le hantent bien après qu'il a oublié leur origine ".

La manière dont les formes le hantent pourrait bien être très concrète, c'est-à-dire dépendante non seulement d'une collection matérielle d'images - qui n'est pas le " répertoire " dont parle G. Lascault - mais de la colle et des ciseaux ou d'autres engins tranchants.
À cet égard, " la préparation de la colle d'os " peut s'analyser comme la contre-métaphore du collage, la reconnaissance implicite du " sens " fabriqué. Métaphore inversée puisque c'est la colle qui fabrique le collage. Et d'ailleurs, le procédé du collage tel qu'il est décrit et pratiqué par Erro, Marina Scriabine, s'effectue à partir d'un bagage d'images (52).
Mais que dire de ces collages qui techniquement n'en sont pas parce
qu'ils n'ont recours ni à la colle ni au découpage ? On peut encore admettre que la technique du collage infléchit en retour notre perception de telle sorte qu'on parle couramment de " forme nettement découpée ", de " détails " comme on dit d'un écran " qu'il dessine bien ". Le sens figuré dévoile ici la médiation de l'outil et sa productivité.
L'histoire du collage d'Herta Vescher (53) rassemble sous ce titre non seulement les papiers collés et les collages mais également les collages de papier de couleur (sans toutefois y inclure les papiers découpés de H. Matisse) qui ne recherchent pas, encore moins que les papiers collés, une troisième image mais la composition, c'est-à-dire une relation formelle entre les morceaux collés. Elle y présente encore des collages pratiqués en photographie dénommés photomontages.
Voici donc deux termes appelés à compléter la réalité technique du collage : la composition et le montage.
Rechercher une composition par des relations formelles entre des éléments perceptifs (ligne, point, plan) n'oblige pas à se servir du collage-découpage.
Le positionnement relationnel des formes est toutefois grandement facilité par l'utilisation de papiers découpés et il n'est jamais si facile que par la photocomposition ou " le synthétiseur électronique d'images " qui permettent non seulement de faire varier les intervalles mais aussi, la taille, la forme et la couleur des éléments. Autrement dit, le collage-découpage n'est pas la seule installation technique de la composition. A l'inverse tout collage implique une composition dans le sens matériel - et pas nécessairement plastique - de l'assemblage.
Cette nécessaire productivité du collage-découpage - ce qui ne signifie pas invention - est décelée pertinemment par Eisenstein (54). Voir à ce sujet " le cinématisme " - autant dans le montage cinématographique que dans ce qu'il appelle alors le montage de certains tableaux d'El Greco - où celui-ci combine des fragments de productions antérieures.
Par ce rapprochement de la peinture et du cinéma, composition et montage deviennent synonymes. Il y a seulement d'un côté un montage de la séquence, successif, linéaire (par le cinéma, mais aussi par le livre) et de l'autre un montage du plan, simultané, tabulaire ; cadrage d'un côté et mise en page de l'autre, son inversion.
Dès lors, la relation visible d'un photogramme à l'autre n'est pas différente du chemin de " lecture " guidant le parcours du regard. La représentation du mouvement dans l'art occidental organise parfois une vision " filmique " du tableau (tel " le martyre des dix mille chrétiens " d'Albert Dürer). Inversement les cas sont nombreux où le montage d'une séquence est étudié comme un montage tabulaire : les " BD " de Fred Forest en regorgent, et dans les photographies de Rafaél Navarro, chaque prise de vue est une négation du photogramme.
Il n'est donc pas étonnant que la productivité du collage soit résumée par Eisenstein lui-même (55) dans " l'effet Koulechov " :
" La juxtaposition de deux fragments de film ressemble plus à leur produit (multiplication) qu'à leur addition, en ce sens que le résultat de la juxtaposition diffère toujours qualitativement de chacun des fragments pris à part ".
Notons tout d'abord que " de film " peut être mis entre parenthèses compte tenu de ce qui vient d'être dit.
Ensuite, le résultat de la juxtaposition ne se limite pas à un effet
perceptif ou imaginatif si on étend la productivité du collage à la fabrication elle-même. Le collage induit un travail qui porte sur la relation entre les deux fragments. L'oeuvre de Albert Pepermans présente de nombreux exemples de ce travail induit, lui qui utilise aussi les services de la photocopieuse.
L'utilisation de l'image de Pinocchio recourt au même processus à l'issue d'un découpage qui ne porte pas uniquement sur l'image elle-même mais sur le processus de fabrication. De sorte que les associations et les interférences qui en résultent se rapportent non seulement au collage des fragments d'image entre eux mais également au collage de ces fragments par rapport au subjectile, à celui des fragments de châssis et pour résumer - ce qui va être " détaillé " - au " collage-découpage " de la gravure, la peinture et la sérigraphie, des processus techniques qui les soutiennent.
Le mariage d'une technique avec une autre n'est pas toujours vécu comme " monstrueux " : deux exemples peuvent être cités de pratiques faisant intervenir comme ici la gravure, la peinture et la sérigraphie :
· Ce sont les " papiers peints " (56) et certaines oeuvres de Joan Miro.
C'est sous le nom de " domino " qu'on désigne un " papier ou dessin grossièrement imprimé avec des planches de bois, et colorié au moyen de patrons ".
Il est concevable que pour les détails, le coloriage à la main soit intervenu aussi en même temps.
Quant à la " polytechnique " de J. Miro qu'on peut trouver dans " chiffres et constellations amoureux d'une femme ", elle aboutit à des ensembles hétérogènes - plus qu'à des mélanges intimes - où des aplats de couleurs appliquées au pinceau masquent des pulvérisations au travers de pochoirs ou des frottages de couleur s'accrochant au relief de la toile ou à celui du carborendum préalablement collé. Si la rencontre de la peinture avec les crachis découpés par le pochoir n'a lieu qu'au niveau des effets visuels, celle des frottage avec la gravure mêle intimement les procédés : la couleur- matière de la peinture remplace l'encre d'imprimerie moins compacte, elle révèle et métamorphose les fines granulations d'un relief obtenu par adjonction de matière et par un frottement qui tient à celui du pinceau applicateur et à la force du geste d'empreindre. En l'état de notre documentation, le deuxième exemple apparaît plus nettement inventif, pourtant, le principe est le même : dans les deux cas : l'activité se compose de plusieurs techniques.
Le fait initial déclencheur de ma série de travaux est aussi le produit d'une rencontre avec une autre technique. Mais sans qu'il soit possible de le dissocier d'une rencontre avec un autre. C'est en effet par les influences conjuguées de la technique du puzzle, du tangram et des poupées réarticulées de Bellmer que s'accomplit la déviation de la reproduction linogravée par planches séparées d'une image en couleurs vers une destination à possibilités multiples.
Et la mise en interférence de la peinture, la gravure et la sérigraphie vers laquelle évolua progressivement ma pratique met en présence des techniques qui ne sont parfois séparées que par des métiers. C'est pourquoi, par exemple, C. Bonnefoi s'y trouve associé par le report d'un film à la décalcomanie aux " appliqués " (57), à la fabrication des pochoirs sérigraphiqi:es .telle que la décrit H. Caza (58). C'est pourquoi la sérigraphie fait appel à la peinture sous-verre, ses églomisés et ses exemples hongrois (59), aux tulles brodés, aux rubans de tulle peints, aux rideaux etc ...
Autrement dit, si cette démarche du collage refuse de composer seulement à partir de produits, elle doit s'efforcer de déceler le processus sous le procédé institué. Il n'est pas dit qu'au total les frontières établies entre la sérigraphie, la gravure, la peinture aient encore lieu d'être, ni mème celle qui les sépare des autres secteurs de l'activité.

 

NOTES


(1) John GOLDING (et avec lui bon nombre d'historiens d'art) donne au collage un sens restreint et opposé à celui des " papiers collés "; il réserve le collage pour désigner le collage d'images qui fait oublier l'opération technique réalisée. Marina SCRIABINE, dans ses " réflexions et expériences " (cf. son article " Collages ", publié dans " Recherches Poïétiques ", tome II, le matériau; éd. Klincksieck, Paris, 1976) après avoir ouvert le sens du terme, le restreint finalement à l'intérêt qui motive sa pratique du collage. Retenons ici le sens qu'Herta WESCHER lui attribue dans son histoire du collage (" Die Geschichte der Collage, vom Kubism bis zur Gegenwart ", éd. Dumont Schauberg, Cologne, 1974; trad. anglaise de Robert
E. Wo1f sous le titre " Collage ", éd. Harry N. Abrams, New York, 1974) qui inclut aussi bien la pratique cubiste que dadaïste et surréaliste. Il a pour avantage d'ouvrir la problématique et d'être ainsi introduit.
(2) Gaston BACHELARD note d'ailleurs dans " Paysages, notes d'un philosophe pour un graveur, Albert Flocon ", éd. de l'Aire, Lausanne, 1982, p. 15 t " Au lieu des enquêtes sur tâches, j'imagine des enquêtes similaires sur traits, à partir de gravures ... ".
(3) " Dans de tels barbouillages, on doit voir de bizarres inventions, celui qui voudra regarder attentivement cette tâche, y verra des têtes humaines, divers animaux, une bataille, des rochers, la mer, les nuages et autres choses encore, c'est comme le tintement d'une cloche qui fait entendre tout ce que l'on imagine " - Léonard de Vinci cité par Brassaï dans son articie " Du mur des cavernes au mur d'usine " in " Graffiti "; Paris,1961
(4) Gilbert LASCAULT : " Le monstre dans l'art occidental ", éd. Klincksieck, Paris, 1975 - p. 91.
(5) André BRETON : " Manifeste du surréalisme " p. 55 cité par G. Lascault, p. 110; cf. note ci-dessus.
(6) Claude ROY : Arts fantastiques ", éd. Delpire, coll. Encyclopédie essentielle, 1960, Paris.
(7) Philippe DUBOIS : " Le collage ", article accompagnant le diaporama sur le collage du Centre National de Documentation Pédagogique, 3ème trim. 1978
(8) Jean GAGNEPAIN : la théorie de la personne prend place dans la théorie de la médiation qui fait l'objet des séminaires à l'UER de langage de l'Université de Haute Bretagne. Avec la théorie de la norme, elle est la suite du tome I : " Du signe de l'outil ", Pergamon Press, 1982;
Philippe BRUNEAU : " Le portrait ", article publié dans la " Revue d'archéologie moderne et d'archéologie générale ", n° 1, 1982, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne. .
(9) Maud MANNONI : " L'enfant arriéré et sa mère ", éd. du Seuil, coll. " Points " Paris, 1964 ;
p.47 - " Raymonde " : Elle a une démarche en canard et ses bras semblent être là pour la gêner plus que pour la servir ".
p.44 - " Daniel " : Et l'enfant en réponse s'est voulu oiseau pour ne pas avoir de corps, ne pas avoir d'envie ".
(10) René Passeron : " L'oeuvre picturale et les fonctions de l'apparence ", éd. Vrin, Paris, 1974, p. 529.
(11) Exposition collective, Rennes, janvier 1982 .
(12) Etude publiée dans la revue " Galerie-Jardin des Arts ", janv. 74, n°155.
(13)Jacques DÉRRIDA : " La vérité en peinture ", coll. " Champs ", éd. Flammarion, Paris, 1978.
(14) p. 322, cité en (13).
(15) La citation est de O. MANNONI qui résume ainsi une thèse de Lacan dans son étude, " je sais bien ... mais quand même " in " Clefs pour l'imaginaire ou l'autre scène ", éd. du Seuil, Paris 1969, p. 55.
(16) Jean LAUDE : " La peinture française de 1905 à 1914 et l'art nègre ". éd. Klincksieck, Paris, 1968.
(17) cf. Louis CANE : " La peinture et la loi ", entretien avec Michel Braudeau paru dans " Art Press " n° 63.
(18) Dans la théorie de la médiation, la parité et la paternité forment l'instituant et l'institué de la personne; voir note 8.
(19) Cf. l'article de Florence de Mèredieu sur Roy Lichtenstein : 'Une rhétorique de la figure ", " Art Press "
(20) Raymond QUENEAU : " Cent mille milliards de poèmes ", éd. Gallimard, Paris, 1961.
(21) Helen OXENBURY : " Drôles de hasards ", coll. Pêle-Mêle, Gallimard, Paris,1980
(22) Alain BARGILLIAT : " Photo Litho ", Institut National des Industries et Arts Graphiques, Paris, 1965.
(23) Michel CAZA : " Les techniques de la sérigraphie ", Presses du Temps Présent Paris, 1963, 1969.
(24) Cf. l'article de Hans NAEF publié dans la revue " L'Oeil ", janvier 57.
(25) " (...) en donnant à " art " sa large acception latine ou ancienne (comme dans " Arts et métiers ") ", extrait de l'article de Philippe BRUNEAU et Pierre-Yves BALU'T, " Positions " paru dans la revue citée en (8) .
(26) Gilbert DUPUIS : " L'invention en gravure ", thèse de 3ème cycle, arts plastiques, Université de Haute Bretagne, 1980.
(27) déjà citée en (8).
(28) Cf. l'ouvrage collectif publié aux Editions Klincksieck : " La poïétique ", tome I et II, et notamment l'article de René PASSERON : " Poïétique et nature ", p. 9.
(29) La remarque de Laurence Alloway est citée par Edward Lucie-Smith dans " L'art d'aujourd'hui ", chez Fernand Nathan, 1977, p. 242.
(3O) Déjà citée en (21).
(31) René PASSERON : " Histoire de la peinture surréaliste ", Le Livre de Poche, Paris, 1968.
(32) Cité par Jean-Marie PONTAVIA : " Identité/Identifications ", article paru dans la Revue " Artitudes ", n° 35/58, p. 90.
(33) Viviane FORRESTER : " Van Gogh ou l'enterrement dans les blés ", éd. du Seuil, coll. Fiction et cie, Paris, 1985.
(34) Cf. " La théorie de la personne ", de Jean GAGNEPAIN, cité en (8).
(35) Tels qu'ils sont présentés par le Dictionnaire permanent du droit des affaires, les droits d'auteurs comportent en effet :
le droit patrimonial, dont,
· le monopole d'exploitation
· le droit de reproduction
· le droit de représentation
· le droit de suite
et surtout le droit moral, droit de la personnalité, perpétuel, inaliénable et imprescriptible,dont,
· le droit de divulgation
· le droit de repentir (l'auteur peut ainsi mettre fin à l'exploitation des oeuvres " qu'il jugerait indigne de son talent monobstant la session de son droit d'exploitation "

- le droit au respect de son oeuvre
· le droit à la paternité de l'oeuvre (il permet à l'auteur de faire reconnaître1'oeuvre comme sa création, et par conséquent d'exiger la mention de leur nom sur 1'oeuvre et tous documents la mentionnant .)
(36) J. GAGNEPAIN : " de la personne ",cité en (8).
(37) Voir à ce sujet l'analyse de J.C. LEBENSZTEJN dans " Zigzag " : " Deux aquarelles de Klee ", p. 249, Aubier-Flammarion, Paris, 1981.
(38) Jean LAUDE : " La peinture française de 1905 à 1914 et 1'art nègre ", éd. Klincksieck, Paris, 1968.
(39) Jean GAGNEPAIN : " de la personne " (" échanges et communication "), cité en (8).
(4O) John GOLDING : " Le cubisme ", éd. Le Livre de Poche, 1968, Paris, pp. 75 à 79.
(41) p. 525 à 522, cité en (58).
(42) déjà cité en (26).
(43) André LEROI-GOURHAN : Evolution et techniques, Tome II, Milieu et Techniques, éd. Albin Michel, 1945 et 1975, Paris.
(44) p. 132, cité en (lO).
(45) cité dans " Le Journal de l'art moderne ", p. 59, éd. Skira.
(46) " ... tout ouvrage est le fruit, en même temps que du trajet particulier au sens où nous l'entendons, qu'impose la conjoncture et du vecteur qui spatialement, temporellement, financièrement le mesure, de celui bien sûr qui l'exécute, mais non moins de celui qui en profite et qui - en raison de la connotation sociale des termes usage et usager - reçoit chez nous le nom d'exploitant ". (extrait p. l73, " Du signe, de l'outil " Pergamon Press, 1982).
(47) Jean GAGNEPAIN : " de la personne ", (" échanges et communication "), cité' en (8).
(48) Jean BAUDRILLARD : " Pour une critique de l'économie politique du signe " éd. Gallimard, 1974, Paris.
(49) P. 353 à 356, cité en (38).
(5O) p. l02, cité en (4).
(51) p, 109, cité en (4).
(52) Marina SCRIABINE : Article publié dans l'ouvrage collectif " Poïétique " cité en (31) sous le titre " collages, réflexions et expériences ".
(53) déjà cité en (1).
(54) S.M. EISENSTEIN : " Cinématisme, peinture et cinéma ", éd. Complexe, Bruxelles, 1980. .
(55) cité par S. L'HERMITTE et C. PARRINETON dans leur manuel des arts plastiques 4e, 3e; éd. Magnard, 1983, Paris, p. 26.
(56) cf. le catalogue de l'exposition " Trois siècles de papiers peints " présentée en 1967 au Musée de Rennes et notamment la préface de J.P. SEGUIN.
(57) Marie-Janine SOLVIT, " Les appliqués ", coll. Manu-presse, éd. Dessain et Tolra, Paris, 1980.
(58) Voir notamment la découpe et le report des films de gélatine sur l'écran sérigraphique, p. 54 et l19, cité en (26).
(59) Cf. Le catalogue de l'exposition " La peinture sous-verre " présentée à la Maison de la Culture de Rennes en 1982.