N'ETRE PAR LA TECHNIQUE

 

 

D'UNE DEICTIQUE DE L'ETRE...
De l'indice à l'indication
Indications du sujet et indications de personne
2- Les engins de l'être
3- Les tâches de l'être
4- Les machines de l'être
... A UNE SCHEMATIQUE INSIDIEUSE
1- La schématique
2- La déïctique pénétrée de schématique
Pratiques de l'être
L'être protéiforme
Notes

 

 

 

 

 

N'ETRE PAR LA TECHNIQUE
 

Invoquer par ce titre à la fois la naissance et la néantisation de l'être, c'est dire la dialectique de la personne constituée d'une double négation: à la fois du sujet en tant qu'appartenance à l'espèce et de la convergence que la politique tend à installer. C'est aussi faire référence à la théorie de la médiation et situer le propos en réponse-question sinon en écho aux actes de l'UFR sciences du langage de Rennes 2 .

Un des traits distinctifs de la sociologie qu'ils posent est d'analyser doublement le rapport à l'Autre avec un grand "A" en faisant ressortir un principe de dette occulté par la relation trinitaire oedipienne "d'origination", bref, en doublant la relation à l'autre d'une relation à autrui .

Une autre spécificité réside dans la distance théorique et clinique (constitutive du modèle d'une raison diffractée ) garantissant les analyses contre un sociologisme qui, en même temps qu'il pose des domaines réservés, ambitionne de les étendre . Il ne s'agit pas tant de contrer cette annexion (à ce jeu, la contre-dépendance n'est pas loin qui ferait de l'art une rationalité surdéterminante des réalités) que de faire apparaitre d'autres modalités de l'humain dans le rapport culturel au monde, et particulièrement ici , une anthropotropie qui défie le logos (l'ergologie avec) par efficience muette d'un tropos.

On ne peut sans cesse faire appel à la technique sans en poser quelque part l'autonomie. Or les analyses socialement autorisées à traiter de l'art témoignent bien souvent d'une évacuation hâtive relégant la technique à l'état de moyens. L'artificialisation de l'humain devrait impliquer une plus grande attention aux faits techniques dans leur organisation implicite, c'est-à-dire indépendamment de leur rationalisation. La crainte légitime que le slogan , "nous sommes tous manipulés" énonce, dénonce en même temps la mise à l'écart d'un manipulant qui ne ferait qu'exécuter une "idée" formée ailleurs. Par la division du travail tous cependant l'un et l'autre, bien que la robotisation et son corollaire du chômage réduise le nombre des manipulants. On tend ainsi à passer d'une occultation sociale de leur nombre à leur éviction du champ de la citoyenneté : le travail au noir est une parade qui ne blanchit pas celui qu'on envoyait au charbon. Il est vrai que le blanc est relatif et dans la pénombre généralisée (des marchés noirs), le gris en est un.

Pour autant il ne s'agit pas ici de socioartistique par laquelle une forme d'organisation sociale se manifeste techniquement en un "style", mais de l'inverse , d'ergocénotique où s'éprouve la part déterminante de la technique dans le rapport au social. Il n'est donc pas question ici de repérer les modes d'incidence de l'être sur l'art, sa dialectique dans l'échange de biens auquel il donne lieu, mais les indications qui supposent que l'art participe aux changements de l'être (en montrant iconiquement ou non le sujet) , qu'il fait la société en l'artificialisant.

Il est donc à noter l'importance du double processus inversé où le schéma en tant que corps acculturé par la technique déstabilise le style (marqué par l'arbitrarité de la personne): alors que le style se rapporte à l'insistance du technicien à "signer" son travail , à faire par la personne, le schéma procède inversement à partir de la technique porteuse d'un devenir, en fonction de la manière d'être qu'elle implique.

D'une déictique de l'être ...De l'indice à l'indication

 
Rappelons d'abord le critère négatif du portrait avancé par Philippe Bruneau : ce n'est pas la ressemblance mais la reconnaissance sociale qui confère à une image le caractère de portrait. C'est dans la mesure où dans une image seront présents les attributs socialement admis comme constitutifs de l'identité d'une personne qu'on pourra l'assimiler à un portrait. On conçoit en effet aisément qu'un personnage célèbre comme Dante puisse être identifié par un trait du visage, la commissure des lèvres vers le bas, censé correstpondre à son attitude exprimée envers la condition humaine et le dédain pour la vie terrestre. Cette identification abusive imputée à Vasari par Didi-Huberman n'exclut pas qu'on puisse admettre cependant comme portrait le détail de la fresque de Giotto citée en référence sur la base de ce savoir mythique, relatif à Dante, majoritairement partagé.
 
Il s'avère ainsi que la déictique de la personne se réalise selon le mode de l'indication, la convention faisant le lien entre l'indice élaboré et le sens identitaire. Les images de la personne ne sont pas restreintes aux pièces d'identité: ce qui se montre le plus souvent c'est plus largement un classement et un métier, un sujet, sa divergence et convergence autrement dit la dialectique de la personne.
 
 

Indications du sujet et indications de personne

 

La pratique de Roman Opalka mettant en scène son blanchiment-viellissement progressif est exemplaire, et la soumission de cette progression inéluctable à l'arithmétique du nombre n'en fait pas pour autant de "l'art conceptuel" . Son principe réside plutôt dans un rapport au sujet que la permanence de la personne conteste en le réinvestissant dans une unité plastique.
 
Dans la production d'emblême, la plastique tient sa spécificité du réinvestissementde la mécanologie dans la plastique dans une déictique de l'être qui fait valoir téléotiquement les moyens. Se constitue ainsi, par le retour sur qui fait (classement) et pour qui il fait (métier), une production d'insignes et d'enseignes mettant en scène les matériaux et les engins, les tâches et les machines.
 
1- les matériaux de l'être

 

Matériaux spécifiques de l'être, l'imputrescibilité réalise l'artficialisation de la personne en outillant l'accès à son éternité par négation du sujet biologique: les matériaux dits "nobles" sont ceux qui assurent la pérénité du portraituré ou celle du sculpteur qui aura lui-même muté en passant de la glaise au bronze. A l'encontre de cette tradition, les constructions de papier et de carton de Braque et Picasso, sont les indices d'un autre rapport aux biens qui pour entrer dans le patrimoine ne présentent pas nécessairement la garantie de l'éternité ; bien au contraire ils participent à la conscience d'une condition éphémère, voire à la néantisation de l'être. La vente de boules de neige osée par David Hammons surenchérit dans ce sens, en faisant valoir par dérision l'acharnement douloureux à participer par un métier à une société qui ne veut en reconnaître l'inutilité légitime. Certains, plus sociologues, y verront la critique noire (qui n'ignore pas le caractère bien souvent dérisoire de son arsenal) adressée à un système économique libéral qui condamne une classe au chomage, parce qu'elle ne peut vendre que les insignes d'appartenance à sa propre classe, tandis que d'autres sont établis d'emblée dans un commerce sur la base d'une valeur ajoutée qui n'est autre que l'attestation d'une réussite sociale.
On comprend donc aisément l'angoisse institutionnelle et schizoïde des conservateurs qui ont à gérer cette éternité de culture qui n'est pas toujours assurée par les matériaux qui composent leur fond d'oeuvres d'art. Les imperceptibles mouvements de la matière sont toujours là qui contrecarrent l'idéale stabilité de l'uchronie.
Le souci de l'artiste ne rejoint pas toujours celui du conservateur (considérons la pâte à modeler présente dans les oeuvres de Christian Boltanski, Jean Pierre Pincemin, Catherine Daval et plus encore la fragilité de la paille introduite par Andreevitch Mansouroff) bien que le temps du musée, mort de l''art soit passé: la conduite fait être différemment qu'on revendique ou non cette différence et par anticipation d'un autrui qu'est l'avenir. Le recours à l''éphéméréité de la paille et à la malléabilité d'une pâte toujours susceptible d'évoluer par déformation sont des indications de relativité qui contrecarrent un art qui plastiquement tend toujours à s'instaurer pour l'éternité. Que cet art ambitionne de faire partager par tous la raison d'être de ses promoteurs et le musée apparaît trop étroit, trop restreint pour y accueillir plus que l'élite et les spécialistes: les "events" en hélicoptère ou en ski de Sam Francis, de même que cette coloration des eaux du Grand Canal par Uriburu sont des expansions de matière qui artificialisent un impérialisme plus joueur que le nationalisme qui préside aux manifestations aériennes de la patrouille de France ou celle des Etats-Unis: les représentations conventionnelles étant plus figées que les gaz et les colorants écologiquement employés. On aurait tort de n'y voir que des enflures, des gonflements dindonesques de l'ego (les parfums aussi sont de s gaz qui permettent de toucher à distance) dès lors que leurs protagonistes n'ignorent pas l'aspect dérisoire des dispositifs mis en oeuvre. Il faudrait inventorier les expériences de Land'art pour développer probablement des atténuations à cette manière d'être en n'oubliant pas qu'elle se loge dans l'art (de la même façon que nous sommes inséparables de nos logis et plus généralement des lieux que nous nous sommes appropriés) plus qu'elle ne le traverse. Le temps aussi s'incorpore à l'ouvrage qui garde en mémoire telle l'écriture, les évènements d'une histoire qu'on ne cesse de remanier en la récapitulant parce qu'elle est toujours un tant soit peu contemporaine: ainsi non seulement les édifices qui artificialisent l'être par leur fonction manifeste, mais tous les ouvrages nous font être à la manière de ceux qui en ont déterminé le mode d'emploi: difficile d'y échapper: le détournement porte une contre-dépendance qui fait que le ready-made pour être ainsi dénommé n'exige plus qu'on passe par le "blanchiment" ou l'aura du musée, il suffit d'un certain regard qui doit autant aux pères de culture
qu'on se reconnait avoir qu'à Marcel Duchamp lui-même: la roue défonctionalisée, parce qu'en l'air, n'est indicatrice de l'être désinvesti qu'en référence au mode d'emploi habituel par lequel nous avançons en échappant à la motricité. C'est bien sur leur fonction usuelle que sont appuyés l'entonnoir et la ventouse transmués en indicateurs de folie.

2- Les engins de l'être
 

 

 

Les temps sont révolus où le miroir fournissait la clé du narcissisme en même temps qu'un mode d'emploi indûment appliqué à l'art pour le coup spéculaire . On se souviendra des dénigrements proclamés par Supports- Surfaces soutenant une pratique jugée depuis par trop matériologique, c'était en somme mais autrement que les analystes, dépasser le stade du miroir, en rejetant son illusionnisme et en impliquant une surface non dématérialisable. Pourquoi cette fixation sur le miroir?

 
A l'encontre de la tendance qui prévaut à prendre les oeuvres comme des miroirs unificateurs de la personne (comme l'affichait la collection "Miroirs de l'art", Les époux Arnolfini deVan Eyck, le cadre miroir de Max Ernst, le miroir gris de Gerhard Richter), on peut citer les miroirs multiples fragmentés de Michelangelo Pistoletto; ils sonnent le glas de l'ontocentrisme. Le privilège du miroir n'a pas cessé avec son éclatement, qui fournit maintenant la métaphore de l'homme moderne et permet de penser que la production par multiplicité de pièces contribue au démembrement -remembrement de l'être . L'exposition peut être ainsi considérée du point de vue de l'insistence / existence, de l'exentration /décentration de la personne. Elle inaugure le destin de l'oeuvre qui dès lors se sépare de celui de son père; l'exposition est en ce sens une désappropriation, à l'instar des immersions de Marcel Dinahet. La mobilité de l'oeuvre y aide techniquement depuis que la peinture s'est arrachée à l'immobilier où, par des fresques, elle s'incorporait. Il faut toutefois franchir le seuil de l'exposition; n'est artiste que celui qui s'expose au regard de l'autre, même si la société n'est pas absente dans la solitude de l'atelier. La désappropriation en cause est à moduler selon les trois politiques anallactique, synallactique et chorale. Faire tourner autour de la terre un gigantesque marteau est un projet qui dénonce la poubelle de l'espace et qui a été refusé par la NASA au titre même de ce fait dénoncé; mais plus encore, il parodie utopiquement l'impérialisme qui ne connait anallactiquement aucune limite à "son" territoire. La question est posée si l'on considère maintenant le miroir comme un pont-aux-ânes égologique de savoir comment chaque objet usuel participe techniquement à la constitution de l'être, qu'il s'intègre ou non à un fétichisme. Il s'agit maintenant, si l'on ne snobe pas les techniciens que nous sommes tous, de faire apparaître les aides de tous ordres assurant toutes manières d'être que nous trouvons par la production, dussions-nous être dans nos petits souliers. L'évantail est vaste pour accueillir moulte recherches soucieuses de rapporter les impressions confuses, les sentiments ou états d'âmes,( termes témoignant tous d'une nécessaire déconstruction ) à la constitution de la personne, et pas seulement à son inscription en art. Sont en cause, puisqu'ils nous font être ailleurs et autrement: les rapports à la voiture, au bateau, au parapente, parachute, delta-plane, à l'équipement de plongée mais encore au pinceau et burin qui ne nous déplacent pas, jusquà la casserole à récurer car il n'est pas d'art mineur qui ne module notre altérité comme notre altruisme.

3- Les tâches de l'être
 

 

Notons en préalable un fait de langage qui fournit un indice: aux désinences en "age" et "tion", termes qui désignent des tâches, correspondent des terminaisons en "ment", "é", "i", "u", etc... noms et participes passés qui renvoient à des représentations sociales, sentiments ou états d'âme: déchirage / déchirement, pliage / repliement, flottage / flottement, automation /automatiquement, serrage / serrement, abattage / abattement, sciage / scié, nettoyage / nettoyé, largage / largué, rivetage / rivé, occupation / occupé, etc...

Larguer les amarres, mettre les voiles ce n'est sans doute pas rompre tout lien social, mais renouveler un munus et un nexus par la navigation qui fait exister à l'étranger des terriens en promouvant l'appartenance aux marins en dépit parfois des différences de classes.
Se faire entendre des autres, ou être bien en vue, on le conçoit à l'évidence par le phénomène des médias, tient autant sinon plus au fait que la star en question dispose de la sonorisation et de la mise en scène diffusée; c'est en ce sens qu'on parle le plus souvent d' une entreprise de manipulation pour désigner l'effet de duperie apportée par une technique porteuse d'une fin qu'on réduit toujours au projet. Il ne fait aucun doute que l'audience soit ainsi à distinguer de la célébrité, bonne ou mauvaise.
Mais c'est au quotidien et pas seulement dans ces faits auxquels on nous fait artificiellement participer que la personne se fait artificiellement: la conscience de l'illégitimité qui nous fait dénoncer le simulacre sous l'artifice masque l'arficialisation constante de la personne. Pour autant ce n'est pas une adhésion absolutiste à l'authenticité qui fonde ce rejet, mais l'assimilation du fonctionnement technique au jeu social dans la hâte du dépassement des conflits.
 

 

4- Les machines de l'être

 

 

La distribution sociale du travail n'est pas telle que les uns s'occupent des moyens tandis que les autres, par génie, seraient voués aux fins. Chacun appréhende les deux faces de l'outil même si l'appareillage est réparti entre plusieurs : les rapports aux patrons et aux dessins, aux mannequins et aux tissus relèvent de la compétence commune du styliste et du modèliste: le travail ensemble n'est pas tel que l'un travaille pour seulement approvisionner l'autre en matière élaborée (à l'instar de l'enchaînement qu'a priori on perçoit dans l'atelier du maître-verrier entre le cartonnier, le peintre -verrier et le cuiseur-monteur ou dans la haute couture préparant le défilé de mode, de l'habillage à la coiffure jusqu'au maquillage, ou encore dans l'industrie cinématographique entre le réalisateur, l'équipe de tournage et le laboratoire photographique qui assure le développement du film) les deux ont de leur affaire une vision complète quand bien même la hotte d'extraction est prévue pour les grillades comme pour sérigraphe par le chaudronnier et que le technicien-monteur, à défaut d'instruction de l'ingénieur en bâtiment, la pose un peu bas en fonction des seuls rapports au barbercue qu'il connait n'incluant pas le soulèvement du cadre sérigraphique vers le haut.
La conclusion qui s'impose, à savoir que le travail forme l'être-ensemble, n'est pas une nouveauté, tout le syndicalisme ouvrier et la décadence actuelle de l'esprit de solidarité proportionnel au chômage et à la robotisation l'attestent: l'intégration des appareillages toujours plus accentuée produit la désintégration des conditions sociales.
Il n'est que plus intéressant de constater ce qui pourrait valoir de contre-exemple: la formation de groupes sur la base du partage dans l'utilisation d'appareillages communs que chacun séparément ne peut avoir à lui seul; même s'il s'agit seulement de se répartir un temps d'utilisation, ce passage obligé par la négociation est l'occasion d'un échange relatif aux produits et modes d'emploi ou sont testés les positions dominantes, corrigées les représentations sociales. En marge de ce constat ni optimiste ni pessimiste (la solidarité se révèle parfois proche d'une dépendance mutuelle), le travail du peintre n'est que physiquement solitaire, dans le sens où il ne dispose seul de la conduite de son oeuvre, qu'il y ait un seul poste de travail ou qu'il occupe successivement tous les postes. Ce qui est à mettre en évidence, c'est la condition particulière qu'il établit par son installation qui est telle qu'il n'attend pas le sèchage mais, plus encore que le service du fournisseur, la visite du commissaire d'exposition qui lui précise les caractères de l'espace offert à son oeuvre. Ainsi, les rapports expansionnistes au lieu d'exposition n'ont de limite que celles qu'imposent les modes d'emploi du lieu même. Qu'on se refère, dans la lignée de l'art de l'appropriation de Daniel Buren, à Rockenschaub et son recours à la location d'échaffaudage, on comprendra que le spectateur par son parcours seul puisse redessiner l'oeuvre en l'employant et qu'ainsi le travail soit fait de l'anticipation sinon d'une demande, du moins d'une attitude, de la part de l'artiste comme du spectateur.
 
... A UNE SCHEMATIQUE INSIDIEUSE

 

 

 
1- La schématique
 

Si l'on veut toutefois prendre en compte plus qu'une déïctique de l'être, il faut montrer que la manière d'être n'est pas une représentation induite par l'oeuvre'~mais un statut, une notabilité qui aide à l'établissement du quidam en tant que citoyen et une fonction qui le fait participer à la cité. La différence entre une déïctique de l'être et une schématique peut être montrée à travers le vêtement: c'est peu dire qu'il est indicateur d'appartenance sociale: c'est parce qu'il est censé montrer la classe d'appartenance que par lui on travaille magiquement et pratiquement à déplacer les frontières, qu'on réaménage par l'uniforme des différences trop marquées au nom d'une autre "raison sociale". L'aubaine est en effet la raison de l'Entreprise, d'une Collectivité territoriale ou de l'Etat qui nous recoiffent de l'insigne d'une nationalité, d'un pays ou d'une "boîte", cellule économique. Réalité ou billevesée politique, réalité sociale en tous cas, où les trois modalités de la politique sont indiquées et pratiquées, en relation dialectique de double négation avec l'espèce et la divergence. Plus globalement, la schématique se conçoit à travers ce que dit en substance Aristote: I'être et ses biens sont confondus. Avoir le paréo des "Femmes de Tahiti" de Gauguin, ou l'empreinte d'un bas-relief de Roi, de Reine, de Lord ou de Ladie, comme à l'Abbaye de Westminster, c'est prendre à l'autre sa célébrité pour s'assurer un peu plus de notabilité. La question du fétichisme ne concerne pas seulement la clientèle de l'art, elle est posée à l'artiste qui croit vivre avec un autre en faisant son oeuvre, être de son temps en intégrant dans sa pratique les objets usuels nouveaux et les techniques nouvelles (ce point concerne donc aussi la magie). La "perméabilité" de la production à l'histoire ne va pas sans le processus inverse. Le producteur tient une place privilégiée parmi les facteurs de l'être artificiel puisqu'il est par définition celui qui fait les biens en question et pas seulement celui qui se les approprie. Producteurs, nous le sommes tous, aprosopiques aussi, puisque la personne est un devenir à la différence du signe, de l'outil et de la norme, capacités constituées dès l'accession. De sorte que les perversions et les psychoses ne nous sont pas aussi étrangères que l'aphasie et l'atechnie; nous vivons quotidienement avec nos fétiches et nos badges forts de la gloire de l'autre, nos estrades et écrans de parade, de fusion et d'effusions, nos miroirs enjoliveurs ou brisés, notre arsenal de pouvoirs ou "d'impouvoirs" en échos. L'appropriation n'est pas lié à la possession: le regard suffit. Si la peinture gestuelle a pu s'imposer déïctiquement ou être récusée plastiquement comme "témoignage d'un vécu'' on peut penser que c'est le processus d'identification fétichiste qui fait trace plutôt que trait. C'est dire que le spectateur s'anime à son tour en reproduisant alors dans une mimétique mentale les mouvements de l'opérateur. Toute l'ambiguité des travaux basés sur la citation se révèle: transferts quels que soient l'interprétation et la distance prises avec le travail de l'autre qui font parler d'appropriation.
 
Dès lors que le trajet n'est plus privilégié, ce sont les conditions du travail qui infléchissent la condition sociale de l'opérateur. L'artiste travaillant seul est maître de son temps dans le sens où il peut aller à son rythme; "plongé" dans une équipe d'imprimeurs, il lui faut maintenir le cap de son projet tout en répondant aux offres d'aide qui ne manquent pas de lui être soumises à chaque difficulté rencontrée et qui risquent de le faire dévier. Cette pression ressentie fait que le travail s'accélère pour ne pas donner prise à l'appropriationdétournement de l'autre. Les trois modalités de la politique sont à considérer pour nuancer ce schéma anallactiquement marqué: I'échange suppose que chacun gouverne sans fixité des positions ni changement constant et qu'à certains moments aussi on fasse la pause.
 

2- La déïctique pénétrée de schématique

 

 

 Faire un dessin suppose une identité fixe par delà les variations de contour, d'orientation et de fragmentation et une unité par delà la pluralité des formes isolées. A l'opposé des tensions de Jan Voss chez l'imprimeur, qui doit continuellement et résister et tenir compte du projet de l'autre, se situe le dessin d'enfant tel que la théorie de la médiation permet de le voir et tel que Jean-Claude Quentel l'analyse, c'est-à-dire fait de façons de faire multiples juxtaposées parce qu'il ne peut faire de l'autre en lui .
Si nous sommes tous en devenir, autrement dit sociologiquement non achevé, c'est que l'enfant ne cesse pas d'être en nous, adultes. La pratique de Jan Voss nous le rappelle autrement en rapportant explicitement à l'être un principe de fragmentation initié par la pratique du morcellement par touches des impressionniste, systématisée par Cézanne et encore exploitée dans le cubisme (rapporté souvent exclusivement soit à une perspective multiple soit à la mise en scène du faire) et ses papiers collés, dans le collage et l'assemblage, jusqu'à l'image de synthèse actuelle. Que Jan Voss adopte la solution du déchirage-collage et qu'il redouble dans ses peintures et dessins cette façon de faire rupture et continuité, ces faits prennent une particulière importance si on les rapporte à la constitution d'une identité et d'une unité toujours déstabilisée par la pratique qui apporte de l'autre. C'est en cela que la fragmentation ne met en péril l'unité et l'identité de l'être que dans les moments où s'absolutise une pratique dans l'excès d'une politique d'attachement à un certain monolithisme fait d'élitisme, de conservatisme et de centralisme. A d'autres moments du sujet, I'influence est prègnante et force à muter. Découpages, collages, montages réaménagent la condition de l'être tout en l'indiquant encore sur le mode festif: le répétitif et le fragmentaire, tel qu'il est illustré dans "Charlot et les temps modernes", peut-il produire autre chose que des tics, une animation de l'être qui ne soit pas motricité résiduelle ? Choisir de faire d'abord pour trier et ordonner ensuite, c'est la stratégie qui préside au collage-découpage; on renonce à s'établir d'emblée dans l' utopie d'un espace homogène et unique, dans l'uchronie d'une anticipation et d'une rétroaction intégrale des faits formels et thèmatiques. Cette gestion de l'instable par réinvestissement de ce qui ne s'est imposé qu'un court moment dans une récapitulation fonction d'autres bribes d'espace, c'est le pari qui transparait dans le travail de Jan Voss.
L'industrie déïctique se réalise aussi par l'architecture dont la fonction schématique principale rejaillit sur l'objet de la monstration. C'est bien conscient de cet effet que les minimalistes ont précisé les conditions spatiales d'exposition en définissant idéalement un lieu, le cube blanc, qui par sa "neutralité" pouvait ne pas interférer avec les effets de sens de lloeuvre. Cette position extrême a l'avantage de marquer une politique de l'art fondée sur le principe intangible du respect de l'intention de l'artiste et du sens de l'oeuvre. Plus généralement c'est la modalité anallactique de la politique qui est alors impliquée, celle qui tend à abolir les frontières entre les lieux, à homogénéiser les milieux, à arrêter le temps, ceci sur la base d'une conscience civique du bien commun. Il ne s'agit pas ici de faire le procès d'une attitude de droite que nous adoptons tous dès qu'il s'agit pour nous de préserver ou de répandre un usage selon nous bienfaisant, mais de percevoir comment l'art s'incorpore architecturalement pour parfaire un destin. A l'encontre de cet avenir tout tracé, déjà établi, se situe la politique de gauche pour laquelle il n'y a pas d'âge d'or mais un grand soir supposant l'adhésion au progrès social et par suite, le changement constant fonction, non d'une valeur hiérarchiquement établie mais du critère démographique. Si le rejet de la subjectivité (en conflit avec la nécessité proclamée du respect de l'échelle humaine) est un des traits du Minimal art, sa prise en compte en même temps que du caractère évolutif des formes situe les protagonistes de l'Anti-form à l'antipode. Relativement à la politique synallactique sousjacente, ceux-ci font du changement et de l'éphémère le principe de leur production. Que l'on définisse généralement ces deux tendances par leur rapport à l'art conceptuel, n'empêche pas qu'une nouvelle pertinence apparaisse à confronter leur politique.
Plus globalement c'est l'art occidental tout entier qui manifeste une politique anallactique de l'art dès lors qu'on universalise la partition, beaux -arts / arts et métiers,qui l'a constitué.
 
Le fait de partager avec d'autres un même espace tend architecturalement et artificiellement à établir une unité qui se trouve ainsi confortée, qu'elle soit ainsi jugée fausse ou révélée . L'artifice, comme la maison, nous habite. Et ce n'est pas seulement jouer sur les mots que de poser "I'exploitation de l'homme par le home". Marx d'ailleurs appréhendait ce processus qui dans la concentration du capital voyait le réaménagement des classes.
 
Dans le rapport à ceux que l'artiste voudrait spectateurs et qui s'avèrent de plus en plus passants on ne peut négliger de considérer que la fonction d'interpellation que l'artiste assigne à l'oeuvre est une façon d'outiller l'imposition d'un regard. On ne peut non plus appréhender l'échange d'informations non verbales sans distinguer l'échange outillé des mimiques et des gestes informatifs. La sémiotique telle que la définit la théorie de la médiation implique le langage et la société, mais l'art de surcroît par le signal impliqué: il y a par l'art une fixité du message élaboré, un non-réaménagement de l'ouvrage offert à la vue à la différence du verbal situable dans une interlocution où pour se faire comprendre on redit tout de suite autrement . Si tant est qu'il puisse obtenir une réponse, I'artiste ne peut réaménager instantanément sa production en fonction des réactions qu'elle sucite. Certes on peut écourter un certain feed-back et organiser une rétroaction rapide, mais l'interactivité ainsi aménagée suppose l'accès non-immédiat à un certain mode d'emploi. En somme, en constatant qu'une représentation, un mode d'emploi, une occupation et une exploitation de l'espace tendent à s'imposer au public sans que celui-ci en retour puisse faire quoi que ce soit pour en changer, on redit autrement que l'art manipule de la personne. L'agacement d'un certain public se conçoit mieux si l'on prend en compte ceNe fixité inhérente à l'art qui rejoint paflois la politique anallactique dans son immobilisme.
 
L'architecture, le vêtement et le portrait ne sont pas les seules activités où se repère une fonction schématique.
Nous ne cessons de contester l'être biologique que nous sommes: prothèses, pharmacopées, drogues et cosmétiques réaménagent notre contour, notre motricité et praxie. L'ergosomasie n'est pas sans ergocénotique comme le malade sans imaginaire. A la base du recours aux techniques médicales qui ont en charge de maintenir artificiellement la permanence du corps propre, son intégrité anatomique et son métabolisme, il y a la non-coïncidence sinon la rupture entre le corps biologique et l'identité revendiquée (la restauration du potentiel par le kinésithérapeute va plus loin que la seule récupération naturelle des forces). La conséquence est qu'il n'y a pas de capacité biologique qui ne soit en même temps dépassée ou restreinte par cette capacité civique stimulée ou inactivée, stimulante ou défaillante. Poser la possibilité d'un art thérapeutique en dehors de l'art médical reconnu, c'est adhérer à une conception dialectique d'un sujet acculturé. Mais il y a loin entre le constat que l'art nous met en forme et la mise en évidence des processus en cause.
 
La danse conteste autrement la biologie: on peut certes parler de métaphore à propos d'une danse qui mime la mécanique des fluides dans ses mouvements ondulatoires, ses expansions et déformations; la métaphore cesse dès que le danseur qui a à gérer en mouvement l'équilibre de sa propre masse procède à une analyse dynamique. S'il s'agit pour lui de tirer de son poids le maximum de puissance, il n'est pas éloigné du rapport à la charge que doit contrôler tout transporteur en répartissant la cargaison dans l'anticipation de la vitesse, des arrêts et des changements d'orientation de son véhicule. Etre à soi-même son propre transporteur implique davantage qu'une représentation et un autre processus que l'instrumentation où le corps est moyen d'une fin qu'il est encore. C'est qu'une analyse outillée intervient qui élabore du matériau et de l'engin dans le rapport au corps (la souplesse, la solidité, le ressort, les pointes, les ouvertures) et l'engage dans des options et combinaisons de mouvements articulatoires, d'élongations, de tensions, de constrictions et de relâchements qui doivent aux dispositifs techniques disponibles de division, de mesure et de modelage. Le rapport à un sol élaboré est présent à chaque unité et identité constitutive de ce travail sur soi, mais le non-recours à de l'outillage concret n'empêche pas le corps nu de se mouvoir selon une analyse technique.

Si la danse utilise le corps pour produire des figures, le corps se fait en même temps par l'analyse que la technique rend possible par ailleurs.

 

Magies de l'être

 
La magie de l'être se dénote par le terme même de pouvoir utilisé en ergologie puisque celui-ci renvoie autant aux qualités utiles de la matière élaborée qu'au pouvoir politique censé régir la condition du citoyen.
L'activité n'est pas exceptionnelllement magique, on peut certes y rapporter plus particulièrement certaines pratiques de l'art telle celle d'Yves Klein ( qui, entre autres, imputait au bleu le pouvoir de s'imprégner de son énergie et de la transmettre) et celle de Joseph Beuys qu'il comprenait comme celle d'un chaman; mais l'ubiquité et la pérénité sont nos préoccupations constantes: immortalité du bronze,villes et places pubiques, échelles de temps nucléaires (la gestion des déchets radioactifs -durée de la radioactivité et durée de vie - gestion automatisée sur plusieurs siècles) et astronomiques (- 100 000 ans avant que les pas des premiers hommes sur la lune ne s'effacent - Giovani Anselmo et les forces lentes, la corrosion)
 
La sculpture, art de l'éternité, défie le temps en recherchant des matériaux indestructibles. Mais ce faisant, c'est la mort qu'elle trouve finalement, car le marbre possède une vocation fiJnéraire évidente (...) Mes sculptures de sable vivent, affirmait -il, et la preuve en est qu'elles meurent. C'est le contraire de la statuaire des cimetières qui est éternelle parce que sans vie.
Michel Tournier, Le médianoche amoureux, p. 27
 
Dans les entreprises de séduction la technique tient une part importante; si nous disons en récriminant contre les techniques d'information: les médias nous manipulent, il faut supposer la conjonction d'une attente qui se satisfait des apparences et un mode de représentation qui insidieusement module l'objet présenté en information. La question de l'information mensongère réprimée par la loi ne semble pas a priori concerner le plasticien à qui n'incombe plus l'obligation de représentativité illusionniste depuis que la photographie remplace les portraits miniatures des échanges épistolaires. Il n'empêche que le noir et blanc, le cadrage, I'éclairage et le point de vue réaménagent l'objet au point d'en produire un autre. Le mensonge n'est donc pas appréciable en fonction du seul rapport subjectif à l'objet mais aussi en considérant que l'informateur lui-même peut avoir négligé les indications qu'il donne sans le savoir par l'image parallèlement à ce qu'il dit. Quant aux indications en cause, dire qu'elles contiennent une part de magie c'est dire par exemple que sur le dépliant publicitaire l'ordinateur est moins présent visuellement que l'écran allumé du moniteur. En somme, rien dans ce procédé n'est franchement abusif légalement mais par cette image, on fait scintiller un potentiel, par l'indication d'un pouvoir accru du seul fait de la possession du matériel offert.

 
Pratiques de l'être

 

 

La séduction ne s'exerce pas uniquement sur le mode de la magie: par le parfum on fait sentir sa présence qu'on parvienne ou non à toucher l'autre physiquement; on dispense aussi l'autre d'avoir à subir l'odeur naturelle du corps, ce qui peut néanmoins toujours s'interpréter comme une façon d'imposer une odeur forte.
Dans le même ordre du sentir, la technique chirurgicale actuelle permet d'assister à l'opération de son propre corps en directe: un écran de télé-vision nous présente à quelques mètres de nous le travail qui se produit sur nous même dans l'insensibilité quasi-totale. Le corps est ainsi mis à distance et nous sommes alors techniquement
séparés de notre propre corps. Un tel rapport n'est pas loin de celui mentionné encore par Michel Tournier (La goutte d'or ) où la photographie est censée voler l'être, obligeant le sujet à participer à des milieux qu'il ne connait pas, à exister là où il ne vit pas, à l'abandonner à d'autres époques. On rejoint ainsi sur un mode fétichiste et narcissique les propos de Philippe Bruneau sur le portrait ( qui assure de la personne cf. Ramage n°1 ) en centrant toutefois l'attention sur le rapport à l'instituant. L'artificialisation de l'institué peut être saisie dans ce façonnage du corps que le métier impose parfois:
 
Mais le travail n'est rien encore. Car le "crassous", placé au plus bas de la hiérarchie du bord, se doit au service de l'équipage souvent ivre de fatigue, d'énervement et d'alcool. Il seconde normalement le cuistot, courant d'un pont a l'autre avec soupières, cafetières et gamelles, ou ii distribue à la ronde vingt cigarettes allumées qui lui remplissent la bouche et l'asphyxient. p. 10-11
 
(...) Quelques fois, le dimanche tout le monde insiste pour qu'il aille décrocher l'accordéon. Il s'essaie un peu à jouer . Il dit qu'il peut plus bien avec ses gros doigts de paysan. p.60-61
Michel Tournier ,Le médianoche amoureux.

 

 

3- La plastique produit une façon d'être

 

 

 Si l'on concoit avec Philippe Bruneau que selon des modalités empiriques et magiques le vêtement réaménage les différences sociales en les accusant ou en les atténuant, que les industries funéraires font aussi l'histoire, la part de la plastique dans cette modification d'être reste à préciser.
On peut noter par exemple dans la référence souvent faite à un narcissisme mégalomaniaque une représentation simpliste qui omet outre l'implication d'un complice, I'exigence l'oeuvre (cf;. Ie Land'art, le multiple et l'art monumental: Christo, Alain Jacquet et Richard Serra). La plastique à cet égard peut aussi bien s'appréhender comme une pratique à corps perdu .
L'exposant est lié par son exposition: dès lors qu'elle a lieu elle fait de lui un notable ou un spécimen interchangeable sans que cette condition ainsi produite résultat puisse être infléchi par ce qu'il peut encore dire, ou faire par l'attitude qu'il peut nouvellement prendre: les conditions techniques de la mise en vue de son oeuvre le fixent ontologiquement. Ce n'est ainsi que redire autrement l'habituelle dépossession de soi dont les commentaires d'exposition se font l'écho.
Le plasticien, par définition travaille à être par son oeuvre; celle-ci est physiquement un autre corps (qu'il ait fait ou non l'objet d'une désappropriation) et l'ex-position dit bien la séparation qu'elle installe vis à vis d'une position antérieure.

 
L'être protéiforme

 

 

 Le faire plastiquement nous engage à être par le rythme, autant dire à nous méprendre quant à l'identité des objets et des sujets en raison d'une attention polymatérielle et polytropique aux choses . Il s'agit en somme de présenter les traits d'un homo plasticus, plus que d'un homme de l'art, en limitant sa portée à celle d'un modèle provisoire d'analyse. Si la technique infléchit la personne, il n'est plus possible de maintenir la conception d'une identité et d'une unité (d'un noyau substantiel mythiquement établi dans le rapport occidentaliste au "je" que le "il" est loin de détroner: "le journal d'il" de Gérard Duchêne qui met à distance le soi-même peut être appréhendé aussi dans un rapport d'étrangéité narcissique où soi se confond avec un pour autrui) susceptible d'émigrer à travers différentes façons de faire: autrement dit, le style, en tant que technique mécanologiquement et téléotiquement appropriée risque à chaque fois d'être déstabilisé par la production d'une autre manière d'être, d'une autre acculturation du sujet. Le risque toutefois est modulé selon la politique adoptée: le passage d'une technique à une autre fait être différemment mais c'est à condition d'être à l'affût d'un changement; la politique synallactique fait évoluer le style à l'opposé de l'anallactique qui le fixe et autrement que la chorale qui, en le simulant, le met en scène et en compétition.
Non seulement n'être par la plastique, comme les autres façons d'être, comporte en soi une contradiction qui rend théoriquement compte de l'inachèvement de la personne dont chacun tend à participer, mais cette seconde naissance culturelle qui s'appuie sur la technique, est toujours provisoire puisqu'elle ne s'aide que des liaisons indissociables aux fins comme aux moyens où l'étant ne cesse de prendre forme.


Sans doute pèse alors la menace d'une schizomélie
par laquelle le sujet change de style au gré des matériaux et des dispositifs qu'il met en oeuvre. Si elle est présente dans la dénonciation de la manipulation, c'est qu'elle est la manifestation d'un conflit permanent ; je rappelle en cette fin les propos du début: la technique déstabilise en modulant le schéma ; à l'inverse, le style résulte d'une appropriation.

 
 
En distinguant drastiquement la déïctique de l'être de la schématique, I'indication du sujet ou de la personne du changement induit, la représentation sociale de la réalité sociologique, on se coupe méthodologiquement d'un jeu encore plus complexe de leurs interférences où sont intriquées trois modalités de la rationalité: le langage, I'art et la société, dans une perspective plus systématique de reconstruction des réalités concrètes. Il importait toutefois d'appréhender la fonction heuristique du modèle par quelques recoupements de réalités d'analyse mis en relation avec les réalités concrètes rencontrées par la pratique de l'art.

Gilles Le Guennec

 
Notes

 

 

 
1-Cf. sur la socioartistique: "A d'autres ", in "Fragmentation ", t.2, Gilles Le Guennec, thèse de doctorat, Rennes 2, 1987

2-Lire à ce propos "Huit propositions sur le style ", Philippe Bruneau, Ramage n°5
 
 3- L'objection que la théorie de la médiation permet d'opposer à la sémiologisation des industries de l'être, à savoir que des trajets sont produits qui n'ont pas l'information pour visée, implique qu'on porte l'attention à la fois sur la différence entre indice et indication et sur le passage de l'un à l'autre.
 
4- Le portrait, Ramage n°1
 
5- Didi-Huberman, "La ressemblance comme mythe à la renaissance", conférence du 14 déc. 1992 à Rennes 2
 
6- Musée du Bargello à Florence

7- Cf. Roman Opalka, Art Press n°168

8- Cf. Philippe Bruneau, Ramage n°1, 22; n°2,165-167, Mage n°1, 128,151
 

9- René Pirard, " Un pont-aux-ânes égologique: la reconnaissance de l'image spéculairen, Anthropo-logiques n°1, Bibliothèque des Cahiers de l'lnstitut de Linguistique de Louvain, Peeters, Louvain-La-Neuve, 1988

10- Ce propos d'un architecte peut être éclairant:

Ma formation technique me permet de percevoir tout de suite l'utilité qu'on peut tirer de tel ou tel accident de l'architecture, d'un volume, d'une couleur. Je n'ai pas de problème d'aller et retour avec les techniciens parce que quand je conçois quelque chose, presque par réflexe, je sais comment cela sera construit.
De même cette réponse de Jan Voss à la question:
Votre travail de gravure ne produit-il pas une manière d'être différente de la peinture? Non, je ne pense pas. Je suis seulement plus tendu quand je travaille à l'imprimerie: je dois aller plus vite pour éviter que ceux qui m'entourent ne décident à ma Dlace auand un problème se pose.
 
11- La pratique de la palette graphique à laquelle on ne peut seul financièrement accéder, relève de ce principe; elle inverse la tendance traditionnelle de la production de l'Art en solo.
 
12- Il serait toutefois interessant de répertorier tous les termes techniques qui attestent d'une représentation induite du social par l'art, par exemple dans le Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis: écran (du rêve), mécanisme (de défense), construction (de l'inconscient), (choix d'objet par ) étayage, (le stade du ) miroir, ... pour ne donner que quelques exemples relatifs aux seules rubriques.
 
13- Cet exemple correspond à une pratique commerciale des musées qui va au devant de ce fétichisme mais qui, tout compte fait, ne fait que pallier une impossibilité financière d'acquisition. Au Musée d'Orsay on peut ainsi "dérober" à l'olympia de Manet: sa perle en verre nacré, son bracelet en plaqué or, les boucles d'oreille de la nourrice en pâte de verre et plaqué or.
 
14- On peut penser que l'histoire fonctionne dans le sens inverse; c'est d'abord le sens et la portée de la photographie sur nos vies qui se sont modifiés, et c'est ensuite que des artistes comme Rauschenberg et Richter tirèrent parti des conditions nouvelles du perçu. Benjamin Buchloh, Formalisme et historicité, autoritarisme et régression, trad. Claude Gintz, éd. Territoires, 1982, p. 51
 
15- L'expression est de Pierre Soulages à qui la trace dématérialisée de la peinture gestuelle ne convient pas
 
16- Jean-Claude Quentel, Le dessin chez l'enfant, in Tétralogique n°7, anthropologie clinique, actes du colloque international de Rennes 2, 1989
Son article redonne actualité à la thèse de Georges-Henri Luquet en faisant valoir particulièrement l'absence d'une perspective adulte comme défaut de mise en perspective (cf. 3- dessin et imprégnation, p92-97)
Si le dessin d'enfant traduit, tout comme le récit, I'impossibilité de l'enfant de fournir une composition où opèrent une certaine permanence malgré la diversité des éléments produits et, inversement, une relative variation malgré l'identité des éléments réalisés, c'est bien que la question de pose du principe d'identité qui va permeffre de récapituler le dessin durant sa réalisation comme étant le même dessin au-delà des éléments produits. (p. 96)
 
17- Cf. "Le public du Musée National d'Art Moderne en 1990: une enquête sur la réception des collections permanentes, Hana Gottesdiener et Jean-Paul Ameline, Les Cahiers du MNAM n°38

18- Cf. I'entretien de Laurence Louppe avec René Thom, Partitions du vivant, paru dans l'ouvrage édité à l'occasion de l'exposition Danses tracées réalisée par les Musées de Marseille, éd. Dis Voir, 1991
"Un premier modèle consiste à considérer chaque danseur comme la molécule d'un fluide; et par l'interpolation du déplacement des danseurs, on construit la dynamique des milieux continus qu'on peut considérer comme un fluide. La première problèmatique sera de définir I a déformation globale par l'ensemble des danseurs au cours du temps: déformation par expansion, ou déformation par contraction." (p. 74)
René Thom

19- "Les publications artistiques en provenance de France et surtout Cahiers d'Art, étaient une autre affaire; elles vous tenaient au courant des développements les plus récents à Paris, la seule place qui comptât vraiment. Pendant un moment la peinture parisienne exerca plus d'influence sur l'art new yorkais par l'intermédiaire de reproductions en noir et blanc que par des exemples directs, ce qui fut peut être une bénédiction cachée, cela permit à des Américains d'acquérir plus d'indépendance dans leur sens de la couleur, ne fût-ce que par incompréhension ou ignorance".
Clement Greenberg, "The Late Thirties in New York "~ 1957~ dans Art and Culture, boston, 1961, p.231. Cité par Benjamin Buchloh, p.6 (note 14)

20- philippe Bruneau, Ramage n°2, Mage n°1,122-128
"Les industries schématiques modifient la condition et sont ainsi productrices d'être(...) I'art n'est pas le simple reflet d'une condition préexistante qu'il ne modifierait pas mais bien un des moteurs de la société."
Philippe Bruneau, Mage n°l, Art et société, p.120
 
21- (...) définit non sur la base exclusive de la configuration des choses faites ou des façons de faire, mais tel que Philippe Bruneau le propose, en articulation avec l'organisation du travail. Cf. Ramage n°5
 
22- "J'aime bien me jeter à fond dans une technique et ne penser qu'à ça, oublier que je suis, que j'ai été peintre..."
Pierre Soulages, extrait de "Soulages Eaux-fortes, lithographies",
1952-73, Yves Rivière, Arts et Métiers Graphiques, Paris, 1974, p.22